Origine du Covid-19 : fermes à fourrure plutôt que fuite en labo ?

Un élevage de chiens viverrins dans le nord-est de la Chine en décembre 2020. Ce n'est pas le cas ici, mais il est fréquent que des fermes intensives d'animaux à fourrure réunissent des renards, des chiens viverrins et des visons dans la même exploitation. - © Human Society International
Un élevage de chiens viverrins dans le nord-est de la Chine en décembre 2020. Ce n'est pas le cas ici, mais il est fréquent que des fermes intensives d'animaux à fourrure réunissent des renards, des chiens viverrins et des visons dans la même exploitation. - © Human Society International
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Santé Covid-19 MondeChristian Drosten, spécialiste mondialement renommé des coronavirus, désigne dans une interview donnée à un journal suisse l’industrie de la fourrure comme source probable du Sars-CoV-2. Explications.
Virologue mondialement respecté, directeur de l’Institut de virologie de l’hôpital universitaire La Charité de Berlin, en Allemagne, codécouvreur du Sars-CoV-1 en 2003, puis d’un second coronavirus en 2012 (le Mers), le docteur Christian Drosten a exposé dans un long entretien paru samedi 5 juin dans le journal suisse Republik pourquoi il jugeait que les fermes à fourrure chinoises étaient à l’origine de l’actuelle pandémie.
Drosten, l’une des principales autorités mondiales sur les coronavirus, a d’abord rappelé que les chiens viverrins (raccoon dogs) et les civettes avaient été les hôtes intermédiaires incontestables lors de l’épidémie du Sars-CoV-1. Ces animaux sont des prédateurs naturels de chauves-souris. Certains sont capturés dans la nature pour être ajoutés à ceux élevés dans les fermes à fourrure. Les représentants de ces deux espèces expectorent naturellement lorsqu’ils grognent et sifflent, ce qui favorise les transmissions aéroportées. Christian Drosten mentionne aussi les visons qui sont élevés en compagnie des autres espèces à fourrure, comme les chiens viverrins.

Deux « thèses du laboratoire »
Concernant l’hypothèse de la fuite de laboratoire, il ne la juge pas impossible a priori d’un point de vue génomique, mais peu probable dans les faits. Il convient selon lui de distinguer deux « thèses du laboratoire ». Il qualifie la première (la fabrication d’une arme biologique) de « malveillance intentionnelle » et passe rapidement sur celle-ci, notant qu’il conviendrait davantage de s’adresser aux services de renseignements qu’à un scientifique pour en rendre bien compte.
Pour la seconde (l’évasion accidentelle), il détaille comment se déroule habituellement les expériences dites de « gain de fonction » — des expériences de modification des virus en laboratoire qui sont actuellement sur la sellette. Selon M. Drosten, en imaginant qu’un chercheur ait voulu, dans une perspective d’accroissement de connaissances scientifiques, manipuler un virus existant pour en modifier les propriétés de contagiosité à des fins expérimentales, il serait parti d’un coronavirus connu et maîtrisé. Puis il aurait opté pour un protocole permettant de modifier le site de clivage de la furine (une enzyme protéase) de façon à optimiser la protéine de pointe, celle qui facilite l’entrée du virus dans la cellule humaine.

Les fermes à fourrure dans le viseur
Mais ce n’est pas ce que l’on observe sur le Sars-CoV-2. Certes, celui-ci a un site de clivage de la furine optimisé ; mais Drosten fait le constat que toute l’épine dorsale du Sars-CoV-2 est différente de celle du Sars-CoV-1. Or, explique-t-il, un chercheur qui aurait procédé de la sorte en modifiant l’ensemble du virus plutôt que la seule partie nécessaire se serait inutilement compliqué la tâche. On ne serait alors plus dans le cadre d’une manipulation ordinaire, et la fuite dans la nature depuis un laboratoire d’une telle chimère ne pourrait plus être qualifiée d’accidentelle. Sur la base de ce raisonnement, M. Drosten considère donc que le vecteur d’émergence le plus probable se trouve du côté des fermes à fourrure, dont il souligne ne pas comprendre qu’elles n’aient pas été fermées depuis quinze ans pour éviter une résurgence du Sars primitif. Les éléments qui étaient réunis en 2002 et 2004 et qui ont causé la première épidémie n’ayant pas été supprimés, il est logique à ses yeux de leur imputer également l’émergence de la pandémie actuelle.
Drosten avait déjà désigné comme coupables les chiens viverrins dans une interview accordée au Guardian en 2020. Il précise qu’au moment d’organiser son équipe scientifique à Wuhan en janvier et février dernier pour déterminer l’origine du Sars-CoV-2, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ne l’a pas approché. Faut-il y voir un souci de ne pas froisser les hôtes chinois, avec qui la composition de la délégation avait été négociée ?

La déclaration de M. Drosten survient alors qu’une équipe sino-britannique vient de publier dans la revue Nature le résultat d’un travail s’étalant de 2017 à 2019 comportant un inventaire des animaux vivants sauvages ou d’élevage vendus au marché Huanan de Wuhan les mois qui ont précédé le début de la pandémie. Photo à l’appui et alors que les autorités chinoises l’ont toujours nié, les chiens viverrins y figurent bel et bien, et semblent être — comme l’ensemble des autres animaux documentés — dans un état sanitaire désastreux.
À l’heure où l’hypothèse de la fuite de laboratoire retient très souvent l’attention des médias, il est notable qu’un scientifique de l’importance de Drosten vienne rappeler la possibilité que l’origine du Sars-CoV-2 soit à rechercher dans l’industrie chinoise de la fourrure, la première mondiale. Bien sûr, les nombreux silences des autorités chinoises sur l’activité du laboratoire de Wuhan suscitent la suspicion. Mais Drosten souligne un silence tout aussi frappant sur la situation sanitaire de l’industrie de la fourrure : il indique ne pas avoir vu « une seule étude dans la littérature scientifique » recherchant le Sars-CoV-2 dans les animaux d’élevage à fourrure, alors que la cause du premier Sars-CoV était là ! « Je peux vous dire qu’il n’y a aucune étude dans la littérature scientifique — aucune — qui apporte la moindre lumière sur la question de savoir si les élevages de chiens viverrins, ou même d’autres carnivores, les visons par exemple, en Chine sont porteurs de ce virus, le Sars-CoV-2. »
On notera enfin que M. Drosten est l’un des conseillers les plus influents de la chancelière allemande Angela Merkel pour la gestion de la crise sanitaire dans le pays. Comme d’autres virologues à travers le monde, il subit dans son pays des menaces de mort. L’extrême droite et des membres du courant « anti-restrictions » l’accusent d’avoir étalonné les tests PCR pour le monde occidental à un niveau trop sensible. Ce qui a, selon eux, conduit à la mise en place de mesures inutilement coercitives bloquant l’économie nationale.