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Pesticides

Pesticides : les parlementaires bradent l’engagement de Macron

Un rapport parlementaire sur l’utilisation des pesticides suscite l’indignation des associations environnementales pour sa pusillanimité, sinon son recul par rapport aux engagements du président de la République. Delphine Batho, vice-présidente de la mission, a démissionné en guise de protestation.

C’était l’un des engagements les plus forts pris par le président de la République en matière d’écologie : le 27 novembre 2017, dans un tweet, il annonçait l’interdiction du glyphosate en France d’ici trois ans. Il lui a fallu moins de trois mois pour amender sa promesse et évoquer une dérogation pour environ 10 % des cas où il n’y aurait pas d’alternative. Les députés de sa majorité semblent le suivre dans cette timidité croissante vis-à-vis des défenseurs des pesticides.

La Mission d’information commune sur l’utilisation des produits phytopharmaceutiques, créée à l’automne dernier au moment des états généraux de l’alimentation et en plein débat européen sur le glyphosate, a rendu public son rapport le mercredi 4 avril. Il a provoqué l’indignation des associations environnementales et la démission de la députée Delphine Batho de la vice-présidence de cette mission.

Un rapport qui entretient « la fabrique du doute »

« Je ne peux pas cautionner ce rapport, a expliqué la députée à ses collègues parlementaires. Je ne peux pas cautionner un certain nombre de formules qui sont dans les titres de ce rapport et qui relativisent l’impact des pesticides sur la santé ou sur la biodiversité dont l’évaluation resterait “délicate”, “complexe”, “mal évaluée”, le lien de causalité qui ne serait “pas établi”, etc., etc. Ces poncifs participent d’une fabrique du doute qui n’est plus permise aujourd’hui. »

Selon elle, ce rapport devait « établir une feuille de route crédible, économiquement réalisable, de la décision du président de la République de sortir du glyphosate en trois ans ». Delphine Batho déplore que l’objectif ne soit pas repris dans le document, que les propositions sur le sujet soient « en deçà des engagements du président de la République ». Deux propositions concernent le glyphosate : l’une préconise une étude de l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire) et l’autre recommande l’interdiction d’un usage présenté par le rapport lui-même comme très « limité », voire quasi inexistant en France, du glyphosate.

Delphine Batho, députée de la 2e circonscription des Deux-Sèvres.

« Sur certains points, le rapport est même en recul par rapport à certaines orientations officielles », a également réagi l’association Générations futures. Ainsi, alors que récemment un rapport de l’administration préconisait l’interdiction des pesticides considérés comme les plus préoccupants, « les parlementaires demandent… de nouvelles études alors même que leur dangerosité avérée est reconnue par les autorités européennes ! » s’insurge l’association. « Le rapport envisage même par ailleurs de remettre en cause l’interdiction de l’épandage aérien », redoute-t-elle.

200 pages, 5 priorités, 35 propositions

Long de 200 pages (annexes comprises), le document, divisé en deux parties, fait un bilan des impacts des pesticides sur la santé et l’environnement pour ensuite proposer des solutions. « La gravité de ces dégâts et de ces menaces amène la mission à insister plus que jamais sur la nécessité de réduire drastiquement l’usage des pesticides pour tendre aussi rapidement que possible vers leur abandon », indiquent les rapporteurs, soulignant le lien entre pesticides et maladie de Parkinson, cancer de la prostate, ou certains lymphomes. Ils notent que « l’utilisation de ces produits constitue également un enjeu environnemental par la contamination de l’air, de l’eau, du sol et de leurs effets sur la biodiversité et les écosystèmes. » Mais ils soulignent aussitôt, concernant la sortie des pesticides, que « même s’il est lancé avec la plus grande énergie, le processus prendra du temps ».

Cinq priorités (« renforcer la protection sanitaire et environnementale ; développer les solutions alternatives ; renforcer la maîtrise des usages »…) sont déclinées en 35 propositions. La première est de demander de nouvelles études à l’Anses sur les substances les plus préoccupantes ; d’autres proposent de renforcer les dispositifs de surveillance des pesticides dans l’environnement ; plusieurs se concentrent sur les alternatives, proposant de développer le biocontrôle, l’agriculture bio (selon l’objectif du gouvernement de 15 % des surfaces agricoles d’ici à 2022), l’agriculture de conservation (tendant vers le sans-labour). « L’agriculture de précision », permettant de réduire l’usage des pesticides grâce à des épandages plus précis, est également valorisée, celle-ci devrait s’accompagner d’une « prime à la casse » pour les appareils d’épandages les plus vieux et le développement de robots miniatures pour le traitement des cultures. Le financement de nouvelles recherches, tant du côté des dangers que des solutions, est également largement encouragé.

« Ils font du saupoudrage technique »

« Le constat n’est pas mal, mais ce sont les solutions qui ne vont pas du tout, résume à sa façon François Veillerette, directeur de Générations futures. Ils préconisent de refaire des études, comme si rien n’avait été fait ! » Surtout, il déplore que les solutions permettant de réduire, de façon plus ou moins importante, l’usage des pesticides soient mises en avant au détriment d’une réflexion plus globale sur un système agricole dépendant de ces produits. « Ils font du saupoudrage technique, proposent de commencer par des petites recettes, puis nous parlent d’agroécologie, mais ils ne définissent pas ce que c’est, ne proposent pas de solutions agronomiques globales. Ils font les choses à l’envers », déplore le militant.

« On en sait assez pour décider », exhorte de son côté Delphine Batho, qui relève des « énormités ». Notamment, elle n’en revient pas que le rapport puisse mettre au même niveau, concernant le glyphosate, les expertises du Circ (Centre international de recherche sur le cancer), qui classe le glyphosate comme cancérogène probable, et de l’Efsa (l’Agence européenne de sécurité sanitaire), qui considère les preuves comme insuffisantes, mais dont les Monsanto Papers ont montré que les conclusions étaient fortement influencées par l’industrie. Elle déplore également que « le rapport ne pose pas le diagnostic de l’échec des politiques publiques conduites depuis dix ans et s’inscrit dans la continuité » (Reporterre a récemment analysé les raisons de cet échec), dénonçant le fait que les solutions proposées font peser le poids de la réduction des pesticides sur les agriculteurs plutôt que sur les pouvoirs publics. « C’est un rapport anachronique, qui aurait pu être écrit il y a dix ans », résume-t-elle.

Sur les pesticides, « on est encore dans l’inconnu »

« Madame Batho avait la possibilité d’apporter des modifications au document, elle n’a pas fait ce choix », répond de son côté le député de Côte-d’Or Didier Martin, l’un des deux rapporteurs du dossier. Ce député LREM précise à Reporterre que le rapport ne reprend pas l’interdiction du glyphosate dans les trois ans car « la décision est acquise. L’important était de voir comment la France peut défendre cette décision au niveau européen, pour cela elle a besoin de l’étude de l’Anses montrant qu’il y a un risque avéré. » Il faut continuer de faire des études, souligne-t-il, car selon lui, concernant le glyphosate et les pesticides en général, « on est encore dans l’inconnu ».

Didier Martin, député de la 1re circonscription de Côte-d’Or.

Les solutions proposées ne manquent-elles pas d’ambition ? « Oui, on est dans la continuité de ce qui avait été décidé de faire, mais qui n’a pas été fait ! » se défend-il. L’ambition est donc d’atteindre les objectifs posés antérieurement.

Reste à savoir quel peut être le poids politique de ce rapport. Le gouvernement est en train d’élaborer sa feuille de route sur les produits phytopharmaceutiques, qui va orienter toutes les décisions prises en matière de pesticides durant le quinquennat. « Nous avons rendez-vous avec les ministères de la Santé, de l’Agriculture et de la Transition écologique sur ces sujets », indique Didier Martin, ajoutant qu’il n’est qu’un « modeste député ».

« J’ai l’impression que ce document rend compte de l’état du débat en interne dans la majorité », estime Delphine Batho. « On attendait qu’il aide à muscler la feuille de route du gouvernement, qui en a bien besoin, avance de son côté François Veillerette. Maintenant, on espère que c’est juste un mauvais rapport, pas un signe avant-coureur des décisions gouvernementales sur le sujet. »

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