Pilule, avortement, PMA... Le difficile accès aux soins des femmes confinées

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Combien de femmes s’empêchent de consulter ou n’osent pousser la porte d’une pharmacie « comme si les questions de santé sexuelle et reproductive n’avaient plus le droit d’exister » ? À la culpabilité ordinaire s’ajoutent des obstacles liés au confinement, qui pèsent sur la santé des femmes.
Lucie, 20 ans, vit en zone rurale. La pharmacie la plus proche est à trente kilomètres – une pharmacie où elle a ses habitudes, mais où, en plein confinement, on refuse de lui délivrer la pilule car sa prescription touche à sa fin. Pourtant, par décret du 15 mars, les pharmacies sont autorisées à le faire en cas d’ordonnance expirée depuis moins d’un an, pour pallier la restriction drastique des consultations gynécologiques. « Je leur ai dit, mais ils ont refusé quand même », explique Lucie [1]. Elle a appelé sa gynéco, qui lui a posté une nouvelle ordonnance. « Elle n’arrivait pas à l’envoyer par courriel... Ça fait plus de deux semaines et je n’ai toujours rien reçu. Ça m’angoisse beaucoup, ma dernière plaquette est bientôt terminée. » Sans la pilule, Lucie souffre de douleurs terribles pendant ses règles : « J’ai des vertiges, mon corps me fait mal du ventre aux genoux, comme si des griffes se plantaient dedans. Je passe trois jours allongée à souffrir. »
En matière de contraception, tout repose sur les femmes : ce sont elles qui y réfléchissent et qui font les démarches pour obtenir une pilule contraceptive ou « du lendemain », un stérilet, un test de grossesse... Ce sont même elles, souvent, qui achètent les préservatifs. Quand une grossesse survient, désirée ou non, c’est encore elles qui doivent gérer – autant de charges qui s’alourdissent avec les contraintes du confinement. « Un des appels qui m’a marquée, raconte Perrine, conseillère au Planning familial des Bouches-du-Rhône, c’est une femme qui voulait prendre la pilule. Son partenaire n’aime pas le préservatif, elle stresse de tomber enceinte. Mais elle culpabilisait de déranger un médecin pour ça alors qu’il y a des gens qui meurent du virus ». Selon la conseillère, de nombreuses personnes s’interdisent (ou se voient refuser) l’accès à la contraception, au dépistage d’une infection sexuellement transmissible ou à l’interruption volontaire de grossesse (IVG), « comme si les questions de santé sexuelle et reproductive n’avaient plus le droit d’exister en ce moment ».

« J’avais très peur de devoir expliquer à la police pourquoi j’étais dehors, d’être jugée »
Au-delà de la culpabilité à recourir à des soins pourtant urgents, toute une série d’obstacles s’ajoutent à ceux qui déjà en temps normal font de l’IVG un droit menacé. La peur de sortir et d’être contrôlée, par exemple. Safiya [2], 24 ans, vit à Mayotte, mais est bloquée en Dordogne pour le confinement. Là, elle a découvert qu’elle était enceinte, malgré son stérilet. Elle a décidé d’avorter. Pour la prise de sang de confirmation de grossesse au laboratoire, elle a dû, par mesure de protection, se tenir loin du comptoir et expliquer la raison de sa venue à voix haute devant tout le monde, en violation du secret médical. La ville n’étant pas très touchée par le Covid-19, elle a obtenu rapidement rendez-vous à l’hôpital. Elle dit avoir longuement hésité avant de s’y rendre : « J’avais très peur de devoir expliquer à la police pourquoi j’étais dehors, d’être jugée. Je l’ai vue à un rond-point, j’ai stressé, j’ai pris la sortie suivante et fait un détour. »
Il y a aussi la peur d’être contaminée, l’isolement, le confinement avec un homme violent ou avec ses parents si l’on est mineure, l’impossibilité de téléphoner en toute intimité, le manque de centres de planification ouverts, l’allongement des délais d’attente du fait des réquisitions de personnels, ou encore le refus de prise en charge si l’on est atteinte du Covid-19. Et les fausses rumeurs, aussi, « alimentées par les mouvements anti-choix, qui disent qu’il n’est plus possible d’avorter en France, ni de se rendre en Espagne ou aux Pays-Bas si on est hors-délais [3], ajoute Perrine. Résultat, au cours de la deuxième quinzaine de mars, les appels au numéro vert « sexualités, IVG, contraception » géré par le Planning familial ont augmenté de 51 % par rapport à la même période en 2019. Alors que 65 % d’entre eux concernaient l’avortement, on assiste, selon le ministre de la Santé, à une « réduction inquiétante du recours à l’IVG ». La question des mineures est particulièrement préoccupante : selon Perrine, « à l’hôpital d’Aix, ils n’en reçoivent presque plus depuis le début du confinement ».
Afin de garantir le droit d’interrompre une grossesse non-désirée, une centaine de professionnelles ont réclamé, dans une tribune publiée le 31 mars, l’allongement dérogatoire du délai d’IVG de quatorze à seize semaines d’aménorrhée. Une mesure rejetée par le Parlement, et qui, pour le ministre de la Santé, est un sujet « trop important pour être traité dans l’urgence »... Pour l’heure, le gouvernement s’est contenté d’allonger le délai de l’IVG médicamenteuse à domicile (de sept à neuf semaines d’aménorrhée), d’assouplir les protocoles pour limiter les allers-retours dans les structures médicales et de favoriser les téléconsultations.

Dans un courrier adressé le 23 avril à des associations et parlementaires, le ministre admet également la possibilité de pratiquer des IVG tardives, au-delà de quatorze semaines, en cas de « détresse psychosociale » qui mettrait en péril la santé de la mère. Des mesures qui restent timorées face à la situation : avorter à domicile peut s’avérer impossible, en particulier pour les mineures qui ne souhaitent pas que leurs parents soient au courant, et quant à la « détresse psychosociale », sa détermination reste à l’entière discrétion des praticiens. Le refus d’allonger légalement le délai d’IVG laisse ainsi présager, au moment du déconfinement, « un engorgement des services, avec une arrivée massive de femmes en fin de délai ou hors-délai », conclut Perrine.
La crise sanitaire aggrave aussi les conditions dans lesquelles on avorte. L’interdiction d’être accompagnée par un ou une proche, pour Safiya, « ça, c’était le plus dur. En plus, toutes ces photos de bébés et de femmes enceintes placardées partout, c’est super violent quand tu viens pour une IVG ». La gynécologue qui l’a reçue était « une vraie porte de prison. Elle ne m’a pas du tout expliqué la procédure alors qu’elle savait que c’était la première fois pour moi. Échographie, retrait du stérilet… Ça a été expédié en dix minutes alors que j’avais attendu pendant 2 h 30. Je suis sortie le cœur brisé. » Le lendemain, elle avait rendez-vous avec une sage-femme pour une IVG médicamenteuse, et deux jours plus tard, devait prendre un second médicament à domicile. On ne lui a prescrit que du paracétamol et du Spasfon, alors que les anti-inflammatoires ne sont contre-indiqués qu’en cas d’infection au Covid-19. « J’ai beaucoup saigné et eu très mal pendant quatorze jours », explique-t-elle. À cause de l’épidémie, le suivi se fait par téléconsultation : le jour du rendez-vous, Safiya est restée collée à son téléphone, mais personne ne l’a appelé... « On m’a complètement abandonnée. Je devrais les appeler et pousser une gueulante, mais je suis seule, je dois guérir de mon IVG, alors je n’ai pas la force. »
Les parcours de PMA, déjà longs et souvent douloureux, sont interrompus
Considérés comme soins non-prioritaires, les parcours de procréation médicalement assistée (PMA) ont été interrompus à l’annonce du confinement, laissant de nombreuses personnes dans l’expectative, souvent sans soutien ni information. Quelques heures avant cela, Gaëlle [4] était en Belgique avec sa compagne pour faire une insémination artificielle. Les deux femmes s’empressent ensuite de rentrer à Marseille, où elles vivent. L’insémination échoue. « On ne sait pas quand les parcours PMA vont reprendre, ni quand on aura le droit de passer la frontière pour cela », explique-t-elle. Le plus dur, c’est l’impossibilité pour les lesbiennes de faire une PMA en France : « Déjà, ça changerait beaucoup de choses. Parce qu’à chaque fois que le gynéco donne le feu vert pour une nouvelle tentative, il faut s’organiser dans l’urgence pour le travail et la garde de notre premier enfant, faire le voyage depuis Marseille et rester deux jours là-bas. » Le projet de loi bioéthique « n’ouvre pour l’instant pas de possibilité réaliste pour nous vu le manque de donneurs de gamètes, qui pousse déjà beaucoup de couples hétéros à partir à l’étranger ».

Une situation qui ne va qu’empirer avec la crise actuelle. « Quand ça va repartir, les listes d’attente seront longues », souligne Estelle, 42 ans, qui, avec son compagnon, essaie d’avoir un enfant depuis sept ans. Elle a vécu une grossesse extra-utérine, quatre inséminations artificielles et deux fécondations in vitro infructueuses. Fin février, elle a débuté un nouveau protocole : injections quotidiennes à heures fixes pour la stimulation ovarienne, traitement thyroïdien, cortisone, pulvérisations nasales… Ses ovaires sur-stimulés « bullent », la préparation est lourde pour le corps. « Même si je subis plutôt bien le traitement, j’ai mal au ventre en permanence et émotionnellement, c’est les montagnes russes. Je me replie sur moi pour encaisser », confie-t-elle. Alors qu’elle arrivait en fin de traitement et que la ponction d’ovocytes devait avoir lieu 72 heures plus tard, Estelle reçoit un texto de la clinique lui disant de tout arrêter. C’était le jour des élections municipales, le confinement n’était pas encore annoncé. « J’étais sonnée, et le soir je me suis fait la piqûre comme d’habitude. Le lendemain, j’ai eu la gynéco au téléphone et je me suis effondrée. »
Certaines cliniques terminent les protocoles en cours mais pas celle d’Estelle, dans une région bordelaise alors peu touchée par l’épidémie. Quand elle s’est inquiétée de la réaction de son corps à l’interruption brutale du traitement, sa gynécologue s’est contentée d’un « il ne va rien se passer », puis lui a expliqué que c’était à elle de surveiller le site internet du centre pour avoir des informations. Aucun soutien psychologique n’est mis en place. Estelle gère comme elle peut les bouffées de chaleur, la détoxification du corps, le retard de règles et les « petits vélos dans la tête ». « C’est dur d’envisager la suite », relève-t-elle, amère. À 42 ans, elle arrive à l’âge limite pour faire une PMA remboursée par la Sécurité sociale, et, de fait, pour qu’une clinique française accepte de la prendre en charge.
En temps de crise sanitaire, la santé reproductive et mentale des femmes est menacée du fait de réponses politiques insuffisantes, mais aussi parce qu’elle est déjà, en temps normal, négligée. « Sur le plan psychologique, quand on subit des échecs de PMA, mais aussi quand on fait une grossesse extra-utérine, on avorte, on accouche, on n’est pas accompagnées, conclut Estelle. Chacune se débrouille avec ses armes. On a beau le savoir, on le subit quand même... »
QUELQUES RESSOURCES
- IVG, contraception
- Numéro vert anonyme et gratuit d’écoute, d’information et d’orientation géré par le Planning familial sur les questions de sexualités, contraception et d’IVG : 0800.08.11.11 (du lundi au samedi de 9 h à 20 h en métropole, du lundi au vendredi de 9 h à 17 h dans les Antilles, et de 8 h à 18 h dans l’océan Indien).
- Site d’information gouvernemental sur l’IVG
- Fiche pratique IVG et confinement
- PMA
- Association Collectif BAMP !
- Association des Parents et futurs parents gays et lesbiens