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Culture et idées

Pinochet, Thatcher, Friedman… « La Stratégie du choc » se joue au théâtre

Le spectacle « La Stratégie du choc », mis en scène avec les élèves de l'École supérieure d’art dramatique (Esad) de Paris.

« La Stratégie du choc » de Naomi Klein est un spectacle prenant et poétique, malgré la gravité de ce qu’il décrit. Reporterre en est partenaire et animera une rencontre après la représentation du jeudi 30 juin.

L’air est électrique. Des bruits de décharge retentissent sur la scène. Un angoissant fond sonore enveloppe une comédienne allongée sur le sol. Elle filme son pied, son mollet, sa main, son visage hagard. La vidéo est projetée sur l’une des toiles blanches du décor. L’image d’un corps en souffrance qui a connu les pires tortures. La victime s’appelle Gail Kastner, une Canadienne qui a subi des électrochocs pour soigner sa dépression durant les années 1970. Un traitement expérimental pour « reprogrammer » le cerveau des gens, financé par l’agence étasunienne de renseignements, la CIA.

Les premières minutes du spectacle « La Stratégie du choc », adapté du livre éponyme de l’essayiste canadienne Naomi Klein, nous plongent immédiatement dans l’ambiance. Celle d’un ouvrage imposant tant par sa taille (861 pages) que par sa théorie. L’essayiste américaine analyse comment les désastres (naturels ou politiques) conduisent à des chocs psychologiques qui permettent d’imposer des réformes économiques ultralibérales à des populations totalement anesthésiées.

Les grands instigateurs de ce « capitalisme du désastre » sont les personnages principaux du spectacle mis en scène par des élèves de l’École supérieure d’art dramatique (Esad) de Paris pour leur spectacle de fin d’études. D’abord Milton Friedman, l’économiste américain, fondateur de l’école de Chicago, un courant économique qui promeut la liberté absolue du marché. Il est joué par une comédienne à la diction tranchante comme une politique néolibérale sur les services publics. Elle raconte l’histoire du crayon de papier, utilisée par Friedman pour vanter les bienfaits de la mondialisation économique.

Augusto Pinochet, Margaret Thatcher...

Second personnage phare de cette époque, Margaret Thatcher. Tailleur chic et talons hauts, la dame de fer du Royaume-Uni livre sur scène la bataille d’Orgreave (1984), l’un des conflits sociaux les plus importants de l’histoire du pays. Une grève des mineurs qui protestaient contre des suppressions d’emplois, durement réprimée par la police. Leur histoire résonne avec celle des mouvements sociaux du quinquennat d’Emmanuel Macron.

Dernier personnage en scène, sans doute le plus sanguinaire : Augusto Pinochet. Le dictateur chilien arrive en slip, drapé d’un morceau de tissu et coiffé d’une casquette militaire. Sur scène, les comédiens s’interrogent : comment jouer un homme qui a fait régner la terreur sur le Chili pendant dix-sept années [1], avant de mourir sans jamais avoir été condamné par la justice ? Comment raconter cette macabre histoire en évitant de sombrer dans la caricature ou le pathos ? La troupe tient à merveille ce subtil équilibre grâce à l’espoir. Trente ans après la fin de la dictature, le pays a élu un tout nouveau président de gauche, Gabriel Boric, ancien leader de la révolte étudiante et fervent opposant à l’école de Chicago. « Le berceau du néolibéralisme sera-t-il aussi son tombeau ? » s’interrogent les comédiens.

Cette adaptation réussie du livre de Naomi Klein ne cherche pas à choquer le public, mais plutôt à bousculer son imaginaire. « Il me semble que — travaillant sur un essai dont l’objet est précisément les chocs — nous ne voulions pas reprendre les armes de l’adversaire. Nous avons transposé la réflexion politique dans le champ esthétique : qu’est-ce qu’un choc au théâtre et quelle relation établit-il avec le public ? Nous ne voulions pas avoir avec les spectateurtrices un rapport basé sur la sidération », écrit Maëlle Dequiedt, la metteuse en scène dans la note d’intention.

Ceux qui ont lu et apprécié l’ouvrage de Naomi Klein seront émus par cette adaptation tantôt bouleversante, tantôt drôle, souvent poétique. Les néophytes découvriront la puissance du concept de la théorie du choc. En sortant, ils auront sans doute envie d’écouter le résumé audio des chapitres préparés par les étudiants dans un podcast. Ou peut-être de se plonger dans cet ouvrage qui, malgré son âge — quinze ans —, pose des questions qui restent d’une brûlante actualité.



Partenaire de cet évènement, Reporterre organise une rencontre avec les comédiennes et comédiens après la représentation du jeudi 30 juin, au théâtre de la Cité internationale (17, bd Jourdan, 75014 Paris). Les autres représentations, du 28 juin au 1er juillet 2022, sont ici.

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