« Cessons d’affaiblir la loi de protection des lanceurs d’alerte »

Le scandale des algues vertes a été médiatisé grâce à la journaliste Inès Léraud. Ici dans la baie de Tresseny en Bretagne, le 25 septembre 2023. - © Vincent Feuray / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP
Le scandale des algues vertes a été médiatisé grâce à la journaliste Inès Léraud. Ici dans la baie de Tresseny en Bretagne, le 25 septembre 2023. - © Vincent Feuray / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP
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La protection des lanceurs d’alerte est attaquée par des textes de loi. Pour les auteurs de cette tribune, alerter est un acte citoyen qui doit être préservé.
Gilles Bruey est libraire indépendant et cofondateur des Rencontres annuelles des lanceurs d’alerte, Francis Chateauraynaud est sociologue et inventeur du concept de lanceur d’alerte, Daniel Ibanez est cofondateur des Rencontres annuelles des lanceurs d’alerte et Nelly Pégeault est journaliste, ex-rédactrice en chef de la revue Nature & Progrès.
Quand la pneumologue Irène Frachon dénonça les méfaits du Mediator ou que le comptable Antoine Deltour rendit public le très juteux système permettant aux multinationales d’échapper à l’impôt, quand Inès Léraud s’évertua à médiatiser les causes et dégâts des algues vertes, aucun d’entre eux ne mesurait alors les conséquences que cela aurait sur son avenir, sa vie, et parfois même celle de ses proches.
Au moment d’alerter, ils n’ont fait qu’agir selon leur conscience, n’imaginant pas ce qu’ils auraient à subir pour avoir fait émerger une vérité que des intérêts, souvent privés, préféraient garder dissimulée.
Le nom de ces lanceurs d’alerte est souvent devenu l’emblème même de la cause qu’on leur a laissée porter. Si certains les perçoivent comme des héros dignes d’entrer au Panthéon, d’autres, en revanche, les qualifient davantage comme des ennemis par qui le scandale est arrivé et dont nul autre ne doit s’inspirer à l’avenir.
Les lanceuses et lanceurs d’alerte se voient quant à eux comme des citoyens ordinaires mobilisant des principes fondamentaux de la République, comme celui énoncé dans l’article 4 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen : « ne pas nuire à autrui » (ce qui était le cas du Mediator), ou l’article 2 de la Charte de l’environnement et son « devoir de préserver l’environnement », etc. Malheureusement la loi ne les défend pas toujours comme elle le pourrait et devrait.
Alerter n’est pas une option, c’est un devoir
En 2013, la loi Blandin [1] a été votée en vue de protéger les alertes en matière de santé publique et d’environnement (elle a notamment donné lieu à la création du devoir d’alerter dans le Code du travail). Or, cette protection est sans cesse attaquée par d’autres textes de loi visant à en affaiblir la portée. En 2016, par exemple, la loi Sapin en a restreint le champ d’action au seul cadre professionnel. Si vous n’êtes pas salarié d’une entreprise responsable d’une pollution, d’une atteinte à la santé publique ou d’une fraude fiscale, n’espérez pas bénéficier de la protection des lanceurs d’alerte pour avoir révélé des risques ou des délits !
Depuis 2022, la directive européenne dite de protection des lanceurs d’alerte (UE 2019/1937) s’impose à la France, et sa transposition a permis de corriger une partie des restrictions de la loi Sapin. Hélas, la loi de 2018 sur le secret des affaires en gomme les effets, car la définition des « secrets d’affaires » est si vaste que n’importe quelle information interne à une entreprise peut être classée dans cette catégorie.
« Pour qu’à l’avenir ceux qui ont entravé l’alerte se retrouvent devant les tribunaux »
Avec cette loi, des scandales comme ceux du Mediator et du Bisphénol A, ou des affaires telles que les Panama Papers ou LuxLeaks auraient pu ne pas être portés à la connaissance des citoyens. Comme le signale l’ex-sénatrice Marie-Christine Blandin dans un récent entretien à Basta ! : « Les avocats d’affaires peuvent s’en donner à cœur joie en s’appuyant sur cette loi pour faire condamner les lanceurs d’alerte. »
Alors que se profilent les huitièmes Rencontres annuelles des lanceurs d’alerte (les 10, 11 et 12 novembre à la Maison des sciences de l’Homme Paris-Nord), en présence d’un grand nombre d’entre eux, il convient de rappeler l’importance pour une société de mieux se protéger grâce aux alertes en sanctionnant non pas ceux qui les portent, mais ceux qui les entravent, comme ce fut le cas dans l’affaire Lactalis.
En effet, la défense de l’intérêt général n’est pas une option, mais un devoir découlant de notre Constitution. Alerter est un acte de protection de la société et de son fonctionnement. C’est un acte de citoyenneté qui s’inscrit dans les principes de la République.
C’est pourquoi lors des huitièmes Rencontres des lanceurs d’alerte, ouvertes gratuitement au public, nous discuterons des moyens permettant d’envisager un retournement de situation. Pour qu’à l’avenir ceux qui ont sciemment entravé l’alerte et nui dangereusement à leur porteur se retrouvent devant les tribunaux et en supportent les conséquences. Avec la crise écologique, l’enjeu est plus que jamais d’actualité.