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ReportageAlternatives

Près de Nantes, des paysans adoptent des champs abandonnés

Alexis Viaud, paysan boulanger, a été l'un des premiers à être aidé par l'association.

Au sud de Nantes, une association redonne vie aux vignes laissées à l’abandon, pour y restaurer la biodiversité ou installer des paysans. En cinq ans, le bilan est positif.

La Chapelle-Heulin (Loire-Atlantique), reportage

« Avant, ici, il y avait 65 vignerons. Aujourd’hui, il n’y en a plus que 8. » Alain Gripon, jeune retraité viticole de La Chapelle-Heulin, a vu ces dernières années les vignes alentour se faire plus rares. Entre 1999 et 2012, le Vignoble nantais a vu ses espaces dédiés à des vignes en production régresser, de 14 000 à 11 000 hectares, selon Terres en vie. Pour y remédier, cette association créée en 2017 redonne vie aux parcelles de vignes abandonnées.

Dans un petit bâtiment en bois, les membres du groupe local de La Chapelle-Heulin sont réunis pour leur réunion hebdomadaire. Autour de la table, une dizaine de participants : des propriétaires ou ex-propriétaires de terres, un paysan, le gérant d’un groupement foncier agricole, des citoyens et citoyennes engagées. Ce mardi de janvier est glacial, mais le chauffage d’appoint installé devant la bibliothèque et le dynamisme des participants réchauffent l’atmosphère. On y discute terrains à recenser ou organisation d’un chantier de défrichage.

C’est le cœur des actions de l’association, qui réunit plus d’une centaine de membres sur le Vignoble nantais, au sud de Nantes, dans huit groupes locaux : La Chapelle-Heulin, Monnières, Maisdon-sur-Sèvre, Le Pallet, La Haye-Fouassière, Vallet, Le Loroux-Bottereau et Le Landreau. Là-bas, on y produit notamment du Muscadet. Du moins, sur les parcelles de vignes qui sont encore en production. Beaucoup sont en friche. Après une sorte d’âge d’or des années 1970 à 1990, cette activité séduit moins. « Les épisodes de gel des années 1990 et 2000 ont accentué le déclin. Ceux qui partent à la retraite ont du mal à trouver des repreneurs, car les résultats ne sont pas toujours bons », explique Alain Gripon. Terres en vie remet en état les terrains laissés à l’abandon, y plante des haies, et y gère l’installation de paysans.

Depuis 2017, l’association redonne vie aux parcelles de vignes abandonnées. © Héloïse Leussier / Reporterre

Des parcelles en friche éparpillées sur le territoire

Pour redonner vie aux vignes laissées à l’abandon, encore faut-il savoir où elles se trouvent et à qui elles appartiennent. « Il y a plus de 10 000 parcelles cadastrées [référencées dans une base de données administrative] dans le vignoble, avec toutes les successions, même la chambre d’agriculture n’y comprend pas tout », avance Michel Dupré, retraité, qui a travaillé dans l’agriculture et dans la gestion d’espaces naturels. L’association, dont il est l’un des membres fondateurs, opère un vaste travail de cartographie. Elle a créé un outil informatique pour inventorier les observations faites sur le terrain.

Une fois cartographiés, les terrains peuvent être loués à Terres en vie. C’est ce qu’on fait Marie-Thérèse Rondeau et sa sœur, Bernadette Bossard, qui avait hérité de terres. « On était sept héritiers pour un peu moins de 4 hectares. Les petits-enfants n’habitent plus dans le coin. C’était le mieux à faire. Avec l’association, nous avons pu y replanter des haies », expliquent ces filles de vignerons, bénévoles dans l’association depuis près de deux ans. Autour de la table, d’autres membres de l’association sont dans la même situation.

Les terrains en friche sont cartographiés, ils peuvent ensuite être loués à Terres en vie. © Héloïse Leussier / Reporterre

Les propriétaires qui louent à Terres en vie ne le font pas dans la perspective d’un gain financier. « La location finance simplement leurs impôts fonciers », indique Miche Dupré. Quand certains décident de vendre, Terres en vie fait appel à Passeurs de terres. Il s’agit d’une coopérative régionale de foncier agricole, cofondé par Terres de liens Pays de la Loire et des partenaires locaux [1]. Elle est financée par des citoyens qui acquièrent des parts sociales. « Nous achetons au prix du marché et louons dans la fourchette basse du fermage, qui est déterminé par des arrêtés préfectoraux. Souvent, les propriétaires sont contents de voir les terres reprendre vie », explique Philippe Jeunet, président de Passeurs de terres. Selon lui, en Pays de la Loire, ce phénomène de déprise agricole, c’est-à-dire des terres qui restent sans repreneurs, dans de telles proportions, est propre au vignoble. « Ailleurs, c’est moins visible », observe-t-il.

La remise en état, un effort considérable

Tous les membres de Terres en vie partagent une conviction : il faut reconquérir la biodiversité et améliorer l’autosuffisance alimentaire du territoire. Mais avant d’envisager une nouvelle vie pour les anciennes parcelles de vignes, il faut d’abord faire un gros travail de défrichage. « Bien souvent, sur les terrains, il reste des fils de fer, des ceps de vigne et des piquets avec des ancrages en profondeur. La remise en état agronomique d’un terrain, quand cela est fait par une entreprise, coûte 2 500 euros l’hectare. C’est un travail dur, très manuel », explique Michel Dupré. L’association organise donc régulièrement des chantiers participatifs, qui peuvent rassembler jusqu’à une cinquantaine de citoyens.

Après la remise en état des terrains, l’association gère l’installation de paysans sur ceux qui s’y prêtent. « Notre modèle fonctionne : il y a des jeunes qui veulent s’installer et de la demande pour des produits locaux », souligne Michel Dupré. Sept projets ont ainsi pu voir le jour, grâce à l’intermédiaire de Terres en vie, tous en bio. Alexis Viaud, paysan boulanger, fut le premier d’entre eux. Nous le rencontrons à Vallet, où il cultive des céréales et élève des brebis. Le pâturage des prairies toute l’année lui permet d’amender ses terres. « Après plusieurs années de culture intensive et d’abandon, cela prend du temps aux sols de redevenir plus fertiles », observe-t-il. Ce natif du vignoble, qui fut auparavant naturaliste dans une association de protection de l’environnement, a décidé de se reconvertir en 2016, pour « avoir un impact direct » sur le territoire.

Cédric Retours, éleveur de volailles à La Chapelle-Heulin, travaille sur des terrains en partie loués à Terres en vie. © Héloïse Leussier / Reporterre

« La force de l’association, c’est de favoriser un réseau. Planter 1 kilomètre de haies avec cinquante personnes, ça booste », souligne Cédric Retours. Cet ancien paysagiste, lui, a démarré en 2021 une activité d’élevage de volailles sur des terrains entourant sa maison, en partie loués à Terres en vie. Tout comme Alexis, il est membre du réseau de vente en direct Paysans du vignoble. « Quand j’ai su que des terrains étaient disponibles ici, j’ai commencé à mûrir mon projet, puis j’ai décidé de me lancer après plusieurs formations étalées sur deux ans, relate-t-il. C’est une chance de pouvoir vivre à proximité de mon élevage, beaucoup de jeunes paysans n’ont pas cette possibilité. Or le travail d’éleveur, c’est 7 jours/7. Il faut être disponible à tout moment. »

Le prix de l’immobilier, un frein à l’installation des paysans

« Ce n’est pas si simple pour des jeunes de s’installer, ils doivent trouver où se loger eux et leur entreprise », confirme Benoît Couteau, maire de Monnières, et membre de l’association Terres en vie depuis sa création. Sa commune subventionne l’association, et vient par ailleurs d’acquérir un terrain de 7 000 m² pour créer une « pépinière agricole », avec des locaux partagés pour des porteurs de projet. « Les actions de l’association sont très ancrées dans le collectif, ça m’a plu. Pour moi, c’est vers cela qu’il faut aller. Il faut qu’on s’habitue à coopérer », affirme l’édile, qui nous reçoit dans sa mairie.

Pourtant, le bénévolat ne peut pas tout faire. « On s’essouffle », confient certains membres de l’association. Terres en vie a eu un temps une salariée, grâce au fonds européen agricole pour le développement rural (Feader), mais ce financement n’a pas été renouvelé. L’association cherche à faire valoir son savoir-faire auprès des collectivités, qui ne la soutiennent pas toutes autant que Monnières. « Notre objectif phare est la professionnalisation de cette nouvelle activité de remédiation de l’environnement, explique Michel Dupré. Certains nous prennent pour des rigolos, mais il faut que notre expérience serve de modèle, nous en sommes convaincus. »

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