Privée de gaz russe, l’Allemagne rétropédale sur le charbon

Centrale de Werdohl-Elverlingsen, en Allemagne, arrêtée définitivement en 2018. - Wikimedia Commons/CC BY-SA 3.0/Dr.G.Schmitz
Centrale de Werdohl-Elverlingsen, en Allemagne, arrêtée définitivement en 2018. - Wikimedia Commons/CC BY-SA 3.0/Dr.G.Schmitz
Face à la baisse des livraisons de gaz russe, l’Allemagne a décidé d’avoir recours au charbon. Cela ne remet pas en cause la sortie du charbon en 2030 pour le pays, affirme-t-il.
Berlin (Allemagne), correspondance
Robert Habeck n’a pas le sourire. L’écologiste, entré au gouvernement en décembre dernier pour décarboner l’économie allemande, n’aurait jamais imaginé un jour prolonger la durée de vie de centrales à charbon. C’est pourtant ce qu’a annoncé le vice-chancelier dimanche 19 juin.
Alors que la Russie a baissé de 60 % ses livraisons de gaz à l’Allemagne, l’urgence est d’économiser cette énergie encore indispensable pour faire tourner l’industrie du pays et chauffer ses habitants. Pour refaire ses stocks de gaz avant l’hiver, Berlin entend donc le remplacer là où il est facilement remplaçable : dans la production d’électricité, où il représentait l’an dernier 15 % du mix outre-Rhin. Dans ce contexte, le charbon est vu comme un recours. « C’est amer, mais c’est indispensable pour diminuer notre consommation de gaz », affirme Robert Habeck, dont le projet de loi passera devant le Parlement le 8 juillet.
Aucune centrale de houille ou de lignite ne va cependant rouvrir. Cinq sites, qui devaient fermer leurs portes fin 2022 et fin 2023, vont rejoindre la « réserve de réseau », un dispositif qui permet à Berlin de faire face à d’éventuelles pénuries. « C’est un mécanisme de précaution », explique à Reporterre Andreas Rüdinger, chercheur associé à l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri).
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La réserve compte actuellement dix centrales à charbon, qui ne fonctionnent qu’en cas de « menace sur l’approvisionnement ou la stabilité du réseau ». Elles doivent conserver suffisamment de combustible et de personnel pour pouvoir être réactivées en quelques jours, voire quelques heures. D’ordinaire, elles ne sont que rarement utilisées, lors de grandes vagues de froid par exemple. « Symboliquement, c’est une décision difficile, observe Andreas Rüdinger. D’un point de vue climatique, il faudra compenser la hausse des émissions de CO2. Mais la sortie du charbon en 2030 de l’Allemagne n’est pas remise en cause. » Le renforcement de la réserve est prévu pour être temporaire : les cinq sites supplémentaires devront fermer définitivement en 2024.
« Chaque kilowattheure compte »
Dans l’opposition, des voix s’élèvent pour dénoncer cette décision. La droite conservatrice réclame la prolongation des trois dernières centrales nucléaires du pays, qui ont l’avantage de ne pas émettre de dioxyde de carbone, contrairement au charbon. Un scénario rejeté à la fois par les exploitants des centrales concernées et par le gouvernement : les centrales, censées fermer en décembre, ne seraient pas à un niveau de sécurité suffisant pour envisager une poursuite de leur exploitation ; la livraison de barres de combustibles sur mesure prendrait au moins un an. « L’énergie nucléaire ne nous aide pas maintenant, ni dans les deux années à venir qui sont cruciales », jugeait lundi le chancelier social-démocrate Olaf Scholz.
Les tensions que connaît déjà le marché de l’énergie en Europe, en raison des conséquences de la guerre en Ukraine, mais aussi de l’indisponibilité d’une bonne partie du parc nucléaire français, font craindre un hiver 2022 particulièrement difficile. L’Autriche, l’Italie et les Pays-Bas ont eux aussi annoncé un recours accru au charbon.
En Allemagne, les autorités espèrent n’avoir besoin de charbon qu’à la marge. Priorité est donnée à la sobriété. Dès cet été, les industriels qui réduisent leur consommation de gaz seront rétribués — leur surplus sera partagé auprès d’autres entreprises, au prix le plus bas. Depuis le 10 juin, une grande campagne d’information incite également professionnels et particuliers à économiser l’énergie. « Chaque kilowattheure compte », répète Robert Habeck, qui appelle à une « mobilisation nationale ». Le gouvernement n’exclut pas le rationnement si les efforts ne sont pas suffisants, en particulier si le Kremlin décide de couper complètement le robinet du gaz. Lundi, le plus grand énergéticien allemand, RWE, annonçait l’arrêt des départs en retraite anticipée dans trois de ses centrales à charbon.