Prix du gaz et logement mal isolé, la double peine des précaires

- Unsplash/CC/Julian Hochgesang
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Énergie Écologie et quartiers populaires SocialLe prix du gaz en France et en Europe explose depuis plusieurs mois. Une augmentation aux causes multifactorielles, qui met en difficulté les personnes les plus précaires.
« J’allume le moins possible le chauffage ; pour dormir, je mets un gros pull et un plaid sur ma couette. » Mathieu [*] a récemment vu augmenter la facture de gaz de son deux pièces : elle est passée de 98 à 130 euros par mois. Une somme importante pour ce quadragénaire dont la seule source de revenus est l’Allocation aux adultes handicapés. Il aimerait louer un autre appartement au plus vite, le sien étant très mal isolé. « Même avec le chauffage à fond, l’hiver, il fait 17-18 °C chez moi. » Noëllie, comédienne dont la vie professionnelle a été durement chamboulée par la pandémie de Covid-19, est confrontée au même problème : propriétaire d’une maison dans les Cévennes depuis avril, elle a eu la « désagréable surprise » de découvrir une facture de gaz de 800 euros pour les mois de novembre et décembre, quand bien même l’intermittente se limite dans sa consommation. « Je regarde tous les jours avec angoisse mon compteur. Le tarif journalier va de 15 à 18 euros. »
Cette précarité énergétique a été renforcée ces derniers mois par l’explosion du prix du gaz en France. 12 millions de Français ont souffert du froid durant l’hiver 2021 pendant au moins 24 heures (soit 20 %, contre 14 % en 2020), d’après le médiateur national de l’énergie. Deux explications sont notamment avancées dans ce rapport : la mauvaise isolation des logements d’abord — 5 millions de nos concitoyens vivent dans des passoires thermiques —, mais aussi les difficultés financières. Ainsi, 36 % des personnes concernées par cette précarité énergétique ont limité leur consommation de chauffage faute de ressources suffisantes. En outre, 25 % des Français (contre 18 % en 2020) ont « rencontré des difficultés pour payer certaines factures de gaz ou d’électricité ».
90 % du gaz importé
Depuis janvier 2021, le tarif réglementé du gaz a en effet augmenté de 57 % en France selon la Commission de régulation de l’énergie, avec une hausse historique de 12,6 % au 1er octobre 2021. Une hausse des prix, ressentie partout en Europe et qui, par ricochet, augmente aussi le prix de l’électricité, déterminé par celui du gaz.
« L’Union européenne est structurellement dépendante des importations de gaz : 90 % du gaz qui y est utilisé est issu d’importations, notamment depuis la Russie, son principal fournisseur », explique Neil Makaroff, responsable Europe au Réseau Action Climat (RAC). Et d’évoquer des travaux sur le réseau russe du gaz qui auraient pu avoir des effets sur les prix, ainsi que des tensions diplomatiques entre l’Allemagne et la Russie, Vladimir Poutine étant accusé de profiter de la dépendance énergétique de l’Europe pour inciter le Vieux continent à accepter la mise en route du controversé gazoduc Nord Stream 2. Neil Makaroff met en outre en avant des stocks de gaz moins élevés que d’habitude en Europe, la froideur de l’hiver 2021 ayant impliqué de puiser dans ces réserves, mais aussi la reprise économique mondiale en 2021 : « Cela a entraîné une demande forte en énergies fossiles. La Chine en particulier achète de grandes quantités de gaz, ce qui fait mécaniquement exploser les prix du gaz et de l’énergie au niveau mondial. »
« Avec une habitation mieux isolée, on consomme beaucoup moins »
D’où plusieurs propositions du RAC afin de préserver les plus précaires de cette hausse des prix, tout en limitant notre consommation en énergies fossiles, lesquelles sont extrêmement polluantes. L’association estime ainsi que l’État doit augmenter en moyenne le chèque énergie à 710 euros par an, comme le préconisait en 2018 l’Observatoire de la précarité énergétique. Actuellement, ce chèque versé en France à 5,8 millions de ménages aux faibles revenus est compris entre 48 et 277 euros — un « bonus » de 100 euros a été versé en 2021 en raison de la hausse des prix de l’énergie, et le gouvernement a annoncé mettre en place un bouclier tarifaire pour l’ensemble de la population en 2022. Insuffisant, selon Neil Makaroff, pour qui une telle mesure ne fait que déplacer le problème à l’année suivante. Pour lui, la solution se trouve dans la transition énergétique. « Sur le moyen terme, la priorité est la mise en place de programmes pour rénover les logements, car avec une habitation mieux isolée, on consomme beaucoup moins. Par ailleurs, il faut rompre notre dépendance aux énergies fossiles au profit des énergies renouvelables. »
Faire des travaux d’isolation dans sa maison : voilà en effet ce qu’aimerait faire Noëllie pour réduire sa facture de gaz. Problème, malgré certaines aides mises en place par l’État, elle n’a pas les moyens de financer le complément. « Ces mesures d’aides, c’est super, mais entre l’avance de frais ou la part à payer à la fin, je n’ai pas les ressources pour financer la partie qui reste à charge. » La comédienne est donc dans une impasse ; débourser une fortune pour acquitter ses factures ou investir beaucoup d’argent dans une rénovation coûteuse.