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Programmes scolaires : l’écologie reste à la marge

Depuis le succès des grèves scolaires pour le climat, le ministère de l’Éducation nationale multiplie les déclarations en faveur de « l’éducation au développement durable ». Mais qu’en est-il dans les nouveaux programmes du lycée, voulus par Jean-Michel Blanquer ? Reporterre a enquêté et interrogé des professeurs pour une explication de texte. Bilan : peut mieux faire.

Pour sa traditionnelle conférence de presse de rentrée, mardi 27 août, le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, avait choisi un original décor de verdure, et planté le pupitre dans le jardin de son ministère. Une façon de souligner que l’une des trois priorités définies pour l’année scolaire qui s’ouvre est ce qu’il appelle le « défi environnemental ». Tous les établissements sont appelés à participer : « Ici, ce sera un potager, des plantations d’arbres, là le tri des déchets, partout une réflexion sur la consommation d’énergie. À la fin du mois de septembre, toutes les classes de collège et de lycée éliront un écodélégué pour œuvrer concrètement à cette transformation », écrit M. Blanquer dans son message de rentrée.

Le ministre avait semé les premières graines en juin, annonçant « 8 axes d’action » afin de mobiliser l’éducation nationale « en faveur du climat et de la biodiversité ». Une circulaire pour leur mise en œuvre a été publiée le 27 août dernier. Après le succès des grèves scolaires menées par la jeune Greta Thunberg, le ministère veut réaffirmer une ambition environnementale.



Pourtant, les nouveaux programmes du lycée, voulus par Jean-Michel Blanquer et appliqués en seconde et en première à partir de cette année puis en terminale l’an prochain, avaient suscité un tollé en décembre dernier, en pleine COP24.

« Les nouveaux programmes du lycée pour les cinq prochaines années ne laissent pas assez de place pour la transmission des bases scientifiques essentielles à la compréhension des problèmes majeurs que sont le dérèglement climatique et l’effondrement de la biodiversité, leurs causes, et les solutions permettant d’agir pour les enrayer », dénonçaient dans une tribune dans Mediapart les climatologues Valérie Masson-Delmotte, Jean Jouzel et Hervé Le Treut, et de nombreux autres scientifiques, rejoins par l’ex-ambassadrice pour les questions climatiques Laurence Tubiana, ou encore Pascal Canfin.

Les programmes n’étaient alors pas totalement finalisés. Le ministre semble désormais vouloir rectifier le tir, et le sixième de ses huit « axes » prévoit que les élèves vont « étudier le changement climatique et la biodiversité dans les nouveaux programmes de lycée ». Mais qu’en est-il ?

Le climat, surtout en terminale

Première matière concernée, la SVT — sciences de la vie et de la terre. En seconde générale, un chapitre sur la biodiversité et un autre intitulé « agrosystèmes et développement durable » permettent d’évoquer quelques problématiques écologiques. Le changement climatique, en revanche, n’y figure pas. Sylvain, prof de SVT dans un lycée des Yvelines, souligne également la disparition du chapitre « sur les combustibles fossiles et le cycle du carbone, qui existait dans l’ancien programme ».

Extraits d’un manuel de géographie en lycée professionnel.
Extraits d’un manuel de géographie en lycée professionnel.

En première et terminale, la SVT devient une option. Il faut se tourner vers le programme de la nouvelle matière « enseignement scientifique » pour évaluer ce qui sera enseigné à tous les élèves de lycée général, soit environ 58 % d’entre eux, [1] à raison de deux heures par semaine. L’introduction du programme des deux années fait référence aux effets de « l’espèce humaine » sur la planète, tout en notant que « c’est sans aucun doute la première [espèce[ qui s’en préoccupe ». [2].

En première, l’effet de serre est expliqué et le changement climatique peut être « mentionné ». « C’est léger », estime Sylvain. Il faut attendre la terminale générale pour que le « système climatique » et même le « climat du futur » soient étudiés dans le détail, ainsi que les enjeux des choix énergétiques. Une partie du programme plutôt appréciée des professeurs de SVT interrogés par Reporterre, mais qui arrive tardivement. « Le changement climatique passe de la seconde à la terminale, ce qui n’est pas du tout pertinent car les séries technologiques en sont donc privées », déplore Sylvain. Valérie Sipahimalani, secrétaire générale adjointe du Snes (Syndicat national des enseignants de second degré), va dans le même sens : « On aurait souhaité que le dérèglement climatique soit traité à un moment de la scolarité pour tous les élèves, et notamment que cela représente le gros du programme de l’enseignement scientifique en première. »

Au Conseil supérieur des programmes — l’instance chargée de proposer des programmes ensuite validés et éventuellement amendés par le ministère —, on défend ce choix de réserver le sujet aux élèves les plus âgés : « On pense qu’il faut une certaine maturité pour aborder ces sujets, mais cela ne veut pas dire qu’on n’en parle pas avant. »

En géographie, une difficile cohabitation entre enjeux économiques et écologiques

Autre matière où les questions écologiques peuvent être abordées, la géographie. C’est d’ailleurs quasiment la seule dans laquelle les élèves de la filière professionnelle (29 % des lycéens) entendent parler de « rapport de l’homme à son environnement », relève Isabelle Vuillet, professeur de lettres-histoire-géographie en lycée pro, et secrétaire nationale de la CGT éducation. « Avant on avait tout un pan du programme sur le développement durable, les risques technologiques et les risques naturels, qui a sauté. Les programmes sont désormais centrés sur la mondialisation, les transports et les réseaux de communication, sans quasiment aucun aspect critique », regrette-t-elle.

En seconde générale, une des thématiques importantes du programme de géo est intitulée « sociétés et environnement ». Le changement climatique et l’exploitation des ressources y tiennent une bonne place. Les transports plus « respectueux de l’environnement » sont évoqués en fin de chapitre sur les mobilités. Insatisfaisant, pourtant, selon Lila Hébert, professeure d’histoire-géographie à Cannes et membre du collectif Enseignants pour la planète : « Le terme “transition” est utilisé à toutes les sauces, mais c’est de la déclaration d’intentions. Par exemple, on parle de la préservation des milieux naturels en France, mais on oublie de dire que 5.000 hectares de concessions minières ont été accordés en Guyane en juillet. Le pays n’a pas commencé sa transition écologique, dans les faits que décrit la géographie, cela n’est pas une réalité. »

En première et en terminale, ces thématiques s’effacent pour laisser place aux métropoles et à la mondialisation. « Dès qu’on se met à parler d’Europe, de mondialisation et des grandes questions géopolitiques, c’est comme si l’environnement n’avait plus sa place », affirme Amélie Hart-Hutasse, membre du groupe histoire-géographie au Snes. « En terminale, une grosse partie est dédiée aux mers et aux océans, mais on n’y évoque pas une seule fois la pollution plastique, l’acidification ou la surpêche. On est focalisé sur les grands détroits où passent les porte-conteneurs », détaille sa collègue Lila Hébert. « On trouve tout de même le terme de ressources halieutiques, ainsi que le fait qu’il s’agit d’enjeux environnementaux dans la partie sur la France », précise-t-on au Conseil supérieur des programmes.

« Une vision gestionnaire, comptable, consensuelle et marchande de l’écologie »

Enfin, les profs de l’Association des professeurs de sciences économiques et sociales (SES) (Apses) demandaient eux aussi en juin dernier « une meilleure intégration des enjeux environnementaux dans les programmes de SES », déplorant notamment la suppression, sur décision du ministère, de la référence à la taxe carbone dans les nouveaux programmes. En seconde, donc dans le programme de tronc commun, seules les « limites écologiques de la croissance » sont évoquées. « Mais, il n’y a rien sur l’économie plus durable, on n’interroge pas la quête de croissance en soi, on n’interroge pas les conséquences de l’internationalisation du commerce sur l’environnement, et l’innovation est présentée comme la seule solution à la crise écologique », constate Benoît Guyon, prof à Belfort et coprésident de l’Apses.

Extraits d’un manuel de géographie en lycée professionnel.
Extraits d’un manuel de géographie en lycée professionnel.

Bref, autant de points des programmes qui montrent que l’institution a quelques trains de retard, estime Valérie Sipahimalani, du Snes. « J’ai l’impression, en lisant la littérature scientifique, qu’il y a eu de grandes avancées ces dernières années, et que, à l’Éducation nationale, on reste sur une vision d’il y a vingt ans », dit-elle. Sylvain, notre prof de SVT des Yvelines, est encore plus sévère : « En matière d’environnement, le gouvernement a une vision gestionnaire, comptable, consensuelle et marchande de l’écologie. L’école transmet donc cette vision à travers ses programmes. » Il note par ailleurs que le croisement entre écologie et social n’est pas amorcé : « La dégradation de l’environnement est le fait des “activités humaines”. Les humains sont tous mis sur un pied d’égalité (…). Exit les décisions des investisseurs et le système économique, ce sont tous les individus qui polluent, l’humanité en général. »

Le Conseil supérieur des programmes, auquel le ministère a laissé le soin de nous répondre, souligne de son côté que parmi les experts qui participent à l’élaboration des projets de programme, plusieurs sont particulièrement attentifs aux questions écologiques [3]. Celles-là sont « clairement » plus présentes dans les programmes, « notamment avec la création du nouvel enseignement scientifique en terminale », insiste-t-on.

Dans une lettre au Conseil supérieur des programmes datée du 20 juin, rédigée en réaction à la mobilisation des jeunes pour le climat, Jean-Michel Blanquer se félicitait de « l’effort manifeste » fourni pour introduire le climat et la biodiversité dans les programmes de lycée. Il souhaitait que la même direction soit donnée aux programmes du primaire et du collège, demandant au Conseil de lui faire des propositions d’ici novembre.

Encore insuffisant selon les professeurs. « La majorité des établissements sont des passoires énergétiques, cela paraît dérisoire d’enseigner ces questions-là sans pouvoir les mettre en œuvre », déplore Amélie Hart-Hutasse.

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