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Qatar : peut-on être écolo et aimer le sport ?

La Coupe du monde au Qatar montre que le sport peut être synonyme de destruction du climat et de la biodiversité. Au-delà du foot, témoignages d’écolos qui ont arrêté ou, surtout, adapté leur pratique.

Quand les écologistes parlent publiquement de sport, il faut reconnaître qu’ils passent souvent pour des rabat-joie. Le Tour de France est « machiste et polluant » a assuré le maire de Lyon, des activistes ont saboté des greens de golf cet été, Europe Écologie-Les Verts (EELV) a appelé au boycott de la Coupe du monde de football au Qatar… Militants et élus rappellent régulièrement que le sport – professionnel comme amateur – présente des dérives incompatibles avec l’urgence climatique : transports incessants, construction d’infrastructures inutiles, pollution, consommation d’énergie… En plus d’être souvent réservé à des classes sociales favorisées.

Alors que faire quand on est écolo et fan de sport ? Comment le réinventer pour qu’il n’entraîne plus d’injustices ? Témoignages.



« Chez les Verts, quand je disais que je faisais du sport de compétition à haut niveau, c’était mal vu »

  • Anne-Marie Heugas, maîtresse de conférences à l’Université Paris Saclay et co-secrétaire de la commission sports à EELV

J’ai été athlète de haut niveau dans les années 1980, j’étais membre de l’équipe de France d’athlétisme. J’étais par ailleurs deuxième série au tennis. Je suis devenue professeure d’EPS au lycée et au collège, puis préparatrice physique à haut niveau en tennis. Après de nombreuses blessures, je me suis beaucoup calmée. Je fais de la randonnée, je nage, je suis inscrite en salle de sport.

Lorsque je suis entrée chez les Verts à la fin des années 1990, quand je disais que je faisais du sport de compétition à haut niveau, c’était assez mal vu. Tout le courant de Jean-Marie Brohm [un sociologue très critique du sport] irriguait le parti dans ces années-là.

En 2015, j’ai codirigé l’ouvrage Sport et écologie, l’esprit d’équipe [1], pour montrer que le sport, ce n’est pas que ça. Le sport a d’autres valeurs. C’est formidable en terme de lien social, de partage, de santé. On voulait éclairer sur ce que pouvait être le sport, et alerter sur le fait qu’il devait respecter l’environnement, et les uns et les autres. L’écologie, c’est le bien vivre ensemble, le côté social, relationnel.

Le chantier de construction du Lusail Stadium, à une vingtaine de kilomètres de Doha, la capitale du Qatar, fin décembre 2019. © Giuseppe Cacae/AFP

Si on voulait vraiment être puristes, on ne ferait plus rien, plus d’événements sportifs. Mais ce n’est pas possible, on l’a vu avec le Covid : on est quand même des êtres sociaux, on a besoin de partager des événements festifs, de s’amuser. Ça fait partie de l’être humain. Selon moi, il n’est pas question de supprimer des événements, mais il faut les réinventer.

Il y a plein de leviers possibles. On peut réduire le nombre de participants, le nombre de spectateurs. Il faut arrêter les énormes événements, ce n’est plus possible. On peut aussi créer des événements plus territorialisés : la source essentielle d’impact environnemental de ces événements, c’est les transports. On pourrait aussi défendre l’écoconditionnalité lors de ces compétitions : accorder une ristourne aux personnes qui viennent en transport en commun, etc. En tout cas, on ne peut pas continuer comme ça.



« Je n’irai plus voir des Coupes du monde à l’autre bout du monde »

  • Jean-François Julliard, directeur général de Greenpeace France

Je suis un grand fan de sport depuis toujours. J’ai joué au foot pendant plus de vingt ans, j’ai fait du ski, de la rando, de la plongée sous-marine, j’allais voir de la Formule 1… Je continue de pratiquer un peu – on a une équipe de foot à Greenpeace ! Mais beaucoup de choses ont changé.

La Formule 1, j’ai mis ça de côté. Après mes 18 ans, j’ai arrêté d’aller voir des Grands prix, je trouvais ça abusé. Aujourd’hui, je n’irais plus voir des Coupes du monde de football à l’autre bout du monde. Je l’ai fait à une époque ! Je suis allé voir la Coupe du monde en Afrique du sud en 2010. J’en avais profité pour visiter le pays pendant trois semaines. Aujourd’hui, je ne traverserais pas un océan pour aller voir des matchs.

Pour celle de cette année, je ne veux pas faire de fausse promesse : je me connais, je vais la regarder. À Greenpeace, on est moins convaincus par un boycott du visionnage que par un boycott de déplacement. On incite les responsables politiques à ne pas s’y rendre. Ce serait un geste fort qu’Emmanuel Macron n’y aille pas, par exemple.

« Et si les JO avaient toujours lieu en Grèce désormais ? »

Je pense malgré tout que le sport a une capacité unificatrice sans précédent. Annuler toutes les compétitions internationales résoudrait un problème écologique, c’est clair, mais cela pourrait créer d’autres problèmes. On a besoin du sport international dans un monde en crise. C’est souvent l’occasion de voir des démonstrations de solidarité entre des pays qui se font la guerre, des discussions entre des populations qui n’ont pas lieu sans ces événements-là.

En revanche, il faut arrêter la course au « toujours plus » : la Fifa qui voudrait faire une Coupe du monde de football tous les deux ans au lieu de tous les quatre ans ; la création de la Ligue des nations, une compétition de foot sans aucun intérêt qui rajoute des déplacements et des matchs en plus…

On pourrait aussi arrêter de faire tourner certaines compétitions. Arrêtons de nous dire que tous les quatre ans, on doit trouver une nouvelle ville qui va devoir construire de nouveaux stades pour les Jeux olympiques, de nouvelles piscines, de nouvelles installations… On pourrait se dire que les JO seront désormais en Grèce, parce que ça a du sens historiquement, et on construirait des installations qui serviraient réellement pendant cinquante ans.



« J’ai arrêté le rallye auto »

  • Hervé, animateur de la Fresque du climat

À 18 ans, j’ai commencé le rallye automobile. J’ai grandi en Haute-Saône, dans le pays de Peugeot. C’est ça qui fait vivre toute la Franche-Comté : la semaine, on fabrique des voitures ; le week-end, on s’amuse avec les voitures. On roule, on rigole avec les copains, c’est super.

En 2015, lors de la COP21 à Paris, j’ai découvert qu’il y avait de vrais problèmes environnementaux, dus, entre autres, aux transports. Je me suis dit « Merde, il y a trop de gaz à effet de serre, et moi je m’amuse à cramer de l’essence tous les week-ends ! » J’ai compris que je faisais partie du problème. Une fois qu’on sait, on ne peut plus continuer.

En 2017, j’ai complètement arrêté le rallye auto. Ça a été difficile parce que je faisais ça tous les week-ends depuis des années. J’ai perdu une bande de copains au passage : certains ont compris mon choix, d’autres non. À la place je me suis mis au VTT pour retrouver des sensations, l’adrénaline des courses. J’ai la chance d’habiter en Lorraine, il y a des forêts partout où aller se balader. Je continue, encore aujourd’hui, à regarder la Formule 1... Personne n’est parfait, on a tous des petites dissonances.

Rallye Monte-Carlo, 2020. Flickr / CC BY-NC-ND 2.0 / Nico Quatrevingtsix

Le sport, c’est la joie, il n’y a rien qui rassemble plus que le sport. Mais il faut l’interpeller, le repenser, apprendre à ralentir sur tout. De toute façon, il arrivera un moment où on n’aura plus le choix ! Par exemple, la finale de la Coupe de France des rallyes [2] a été annulée à Béthune (Pas-de-Calais) en octobre, à cause de la pénurie de carburant. Il y a dix ans, j’aurais gueulé. Mais est-ce normal que certains aient de l’essence pour aller s’amuser le week-end alors que d’autres n’en ont pas pour aller au boulot ?



« Ne plus aller skier en station n’est pas un renoncement »

  • Charlène Fleury, activiste climat pour Alternatiba et Stay Grounded [3]

J’ai toujours baigné dans le milieu du ski. J’ai grandi à Chamonix, mes parents travaillent dans le secteur du ski. J’ai aussi fait du rugby, de la boxe, pas mal d’escalade. J’ai reçu une éducation où le sport fait partie de l’équilibre d’une vie.

Quand je suis devenue activiste, je me suis posé la question de la compatibilité du sport avec les enjeux climatiques actuels. Dans ce processus, j’ai remis en question les pratiques sportives qui impliquent de nombreux déplacements ou la consommation de beaucoup d’énergie – ce qui est le cas du ski, notamment à cause de la neige artificielle. C’est une industrie très paradoxale, puisqu’elle nécessite qu’on ait des hivers froids pour avoir de la neige... et en même temps elle aggrave le réchauffement climatique.

Du ski de fond à Corrençon-en-Vercors (Isère). © Angela Bolis / Reporterre

Aujourd’hui, je ne prends plus de plaisir à aller skier en station. Je n’utilise plus les remontées mécaniques. Cela me pose des problèmes éthiques, je ne m’y reconnais plus. Je préfère aller faire, de temps en temps, des randonnées à ski. Mais ce n’est pas quelque chose que je vis comme une contrainte : c’est joyeux, en accord avec mes valeurs. Ce n’est pas un renoncement, mais une réaffirmation de la manière dont je veux vivre. Même si c’est compliqué à dire à sa famille qui vit encore là dedans...

Il ne faut pas non plus s’en prendre au sport comme une entité homogène. Il y a plusieurs niveaux : les Jeux olympiques, par exemple, sont un gaspillage d’énergie considérable. Il faudrait repenser la place de ce type de compétitions sportives dans notre société. Mais il y a aussi une fonction éducative, sociale, dans le sport. Et je ne sais pas comment arrêter ce type de compétitions tout en faisant en sorte que le plus grand nombre s’intéresse et ait accès au sport.

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