Quand les politiques jettent les avis des citoyens à la poubelle

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DéchetsLa tarification incitative fait varier la taxe sur l’enlèvement des ordures ménagères selon leur quantité. Or, regrette notre chroniqueuse, cette tarification sans pédagogie ni concertation peut être punitive et injuste.
Isabelle Attard a été députée écologiste du Calvados. Elle se présente comme « écoanarchiste ».

Il y a un peu plus de deux décennies, notre pays a mis en place une chaîne industrielle de tri et de ramassage des ordures ménagères. Heureusement, car nous avions vingt ans de retard sur des pays comme le Canada ou la Suède. Autant donc ne pas accentuer davantage cet écart temporel et sociétal.
Aujourd’hui, nouvelle étape : nous en venons à affiner ce que chaque foyer va devoir payer pour que ses poubelles soient ramassées. Et c’est là que ma réflexion, et mon courroux, coucou, commencent.
Je devrais être ravie, en tant qu’écologiste, qu’il y ait une différence de traitement entre les personnes faisant attention à réduire la quantité de déchets, et celles qui prennent le sujet par-dessus la jambe. Toute incitation à produire moins de poubelles est positive. Des livres et des défis comme « famille (presque) zéro déchet » peuvent servir d’exemple à un peu de stimulation ludique ! Et s’il y a une récompense à la fin du défi, qu’elle soit financière ou pas, après tout, pourquoi pas ?
Oui mais l’écologie punitive, ras-le-bol.
Car si les couples sans enfant à la maison, disposant d’un jardin, d’un composteur, d’une épicerie en vrac pas loin, vont être les grands bénéficiaires de la tarification incitative mise en place un peu partout en France par les intercommunalités, sur préconisation du Grenelle de l’environnement, ce ne sera pas le cas des autres. Les autres, eh bien ce sont les familles avec bébés pas encore passées à l’utilisation des couches lavables, les familles nombreuses et/ou monoparentales à faibles revenus vivant en appartements, les personnes âgées se faisant livrer leurs courses par le supermarché, c’est-à-dire, pour résumer, une grande partie de la population française.
Les citoyens font donc si peur aux dirigeants politiques ?
Et si ces personnes osent s’insurger contre ce qu’elles pensent être une profonde injustice, si elles osent comparer leurs factures actuelles avec celles à venir, si elles ont l’incroyable culot de se regrouper afin d’organiser la grogne et pour finir, si elles en viennent à se moquer des politiques ayant mis en place un tel système inique : Allez oust, direction la gendarmerie !
C’est ce qui est arrivé récemment à une de mes amies. La convocation à la gendarmerie a eu lieu juste après un post dans lequel elle exprimait sa colère à l’idée de passer de 62 à 388 euros pour le même service de ramassage de poubelles. [1]

Que reste-t-il donc en France de notre célèbre liberté d’expression ?
Plus grand-chose. On apprend vite à se méfier de cette pseudo-liberté sur les réseaux sociaux. Se lâcher peut coûter cher. Et même si les propos ne sont pas bien méchants, la plainte pour diffamation est l’arme des hommes et femmes politiques, peu sûrs d’eux, qu’ils dégainent pour faire taire illico toute les oppositions, aussi minimes et virtuelles soient-elles. Alors effectivement, si l’idée d’un rassemblement de protestation devant le siège de l’intercommunalité devient « un appel à la révolution », il est logique que les zadistes soient devenus des « terroristes » pour certains médias.
Les citoyens font-ils donc si peur aux dirigeants politiques ?
Soyons fous ! Imaginons un pays où les élus consulteraient les citoyens concernés
Soyons fous ! Imaginons juste un instant un pays où les maires, conseillers territoriaux, régionaux, présidents d’intercommunalités consulteraient, avant chaque projet, les gens concernés. Quels qu’ils soient. Du coup, des assemblées locales pourraient donner leurs avis, leurs contre-projets, voire leur veto absolu, si c’est nécessaire. Ce temps passé ne serait pas inutile contrairement à ce que j’entends ici ou là du côté des élus. Les concertations en amont évitent toujours les crispations en aval. Et les blocages, on sait à quel point ils peuvent faire perdre du temps, beaucoup de temps… jusqu’à 53 ans même, pour un certain aéroport !
Pour revenir à nos poubelles bien-aimées, quelles solutions ?
Idéalement, si les élus pouvaient ne pas prendre leurs concitoyens — c’est-à-dire accessoirement aussi leurs électeurs tous les cinq, six ans — pour des ignares, ce serait un bon début. Et si ces mêmes élus agissaient un peu plus comme des « animateurs de territoire » et non comme des « notables de territoires », ce serait vraiment constructif. L’organisation (sincère) de ces concertations très tôt dans la réalisation des projets, quels que soient les budgets mis en jeu, fédéreraient élus et habitants dans un objectif commun, accepté et compris par tous. Si la sincérité est au rendez-vous, les habitants le seront aussi.
Et puis, si l’aspect social des taxes de ramassage des ordures n’était pas oublié dans les calculs des cabinets d’expertise conseillant les collectivités (en gros, si l’humain était placé avant la finance), le sentiment d’injustice et de punition qui règne aujourd’hui ne serait plus qu’un vilain souvenir.
Enfin, un peu de pédagogie ! Sans explication sur l’importance du tri des déchets, la diminution voire la suppression des emballages et les moyens pour y arriver sans difficulté, la tarification incitative n’a aucun sens.
Alors, à vos poubelles citoyens, et que vive la démocratie locale !