Média indépendant, en accès libre pour tous, sans publicité, financé par les dons de ses lecteurs

Culture

Quand nos campagnes refusaient de devenir une poubelle nucléaire

« Notre terre mourra proprement » a été réalisé en amateur par Catherine Fumé et François Guerroué.

Un film militant retrace l’histoire sociale du nucléaire en France. Écologistes et paysans reviennent sur quarante années d’opposition aux déchets nucléaires.

« La terre de nos aïeux était propre, nous voulons la transmettre sans reproche », « Non au laboratoire nucléaire », « Andra dégage ! »… Qui se souvient de ces slogans phares de la lutte antinucléaire ? Catherine Fumé et François Guerroué, deux militants opposés à l’atome, sont allés à la rencontre de celles et de ceux qui les scandaient dans les années 1980 et 1990. En recueillant leur parole et en les mêlant à des images d’archives, ils ont réalisé un documentaire-fleuve, Notre terre mourra proprement, qui revient sur quarante années d’opposition aux déchets nucléaires.


Le film autofinancé est en accès libre sur YouTube.

Des fûts de déchets radioactifs entreposés à l’air libre, rouillés, avec des couvercles parfois ouverts ou mal fermés. Juste à côté, un berger fait pâturer ses bêtes. Un représentant d’Infratome — l’ancêtre de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) — est interrogé sur le danger potentiel de ces déchets. Ce sont par ces images d’archives tragicomiques de 1974, censurées à l’époque, que débute le documentaire. « L’Andra n’est née qu’en 1979, les centrales étaient déjà en construction. La lutte contre les déchets radioactifs est la suite logique de celle contre les centrales », explique François Guerroué.

Aujourd’hui, presque tout le monde a entendu parler du site de Bure, dans la Meuse, où s’est implanté le projet Cigéo pour l’enfouissement des déchets radioactifs. Mais ce qui se passe à Bure aurait très bien pu se passer à La Chapelle-Bâton (Vienne), à Montcornet (Aisne), à Mezos (Landes)... Partout en France, a fortiori dans les zones rurales, l’Andra a essayé de s’implanter pour construire son « laboratoire géologique » : l’antichambre du centre d’enfouissement. À chaque tentative, les « gens du coin » se sont révoltés et ont fait échouer le projet de l’Andra. La logique était celle du « ni ici ni ailleurs », explique le documentaire, avec un soutien entre les luttes locales.

L’apport des paysans dans la lutte

Nombre d’anciens paysans et agriculteurs ayant activement participé à la lutte ont été interrogés dans ce documentaire. « Là où la lutte a pris un nouveau tournant, c’est quand les paysans sont entrés dans le mouvement, se souvient Charles, un paysan viennois à la retraite. À partir de ce moment-là, il y a eu d’autres moyens : on faisait des manifs tous les dimanches avec les tracteurs. »

Des animaux de fermes volontaires ont aussi été parqués par les paysans dans le périmètre de travaux de l’Andra, et le soutien matériel et technique des paysans n’était pas négligeable. « [Un jour], quand les flics sont arrivés, on s’est dit “On n’a pas de poulets dans c’te ferme ?” [...] On a pris la voiture avec les deux flics dedans, et on l’a mise dans la ferme », se remémore Charles dans un sourire.

La lutte contre les déchets nucléaires se poursuit. Capture d’écran YouTube/Comité Centrales

L’alliance entre le monde rural et les écologistes a été forte dans cette lutte : « Au niveau des ruraux, ce qui prédominait, c’était une forte réaction au mépris centralisateur. On s’adressait toujours aux élites, au conseil général par exemple, mais jamais aux gens du coin », observe la réalisatrice Catherine Fumé. Selon François Guerroué, le contexte politique des années 1980 a aussi eu son importance : « La gauche était au pouvoir, donc la droite des années 1980 avait toute bonne raison de soutenir le mouvement, et c’est pour cela qu’il y a eu des mouvements aussi unanimes de défense de la terre. Ce film montre qu’il n’y a pas d’un côté les urbains et de l’autre les ruraux, ils ont toujours été mélangés. »

Réveiller les esprits antinucléaires

Aujourd’hui, la lutte contre les déchets nucléaires est loin d’être terminée. À La Hague, le collectif Piscine Nucléaire Stop proteste contre le stockage des déchets radioactifs dans une immense « piscine ». À Bure, l’opposition se poursuit également.

Pour continuer à documenter les luttes actuelles, Catherine Fumé et François Guerroué alimentent régulièrement le blog du Comité Centrales, un collectif nomade opposé à l’industrialisation et l’atomisation du monde. Un travail de documentation qui, selon eux, est nécessaire pour une prise de conscience globale des effets délétères du nucléaire français.

Pour mobiliser à l’heure de la relance du nucléaire et du débat public national sur les EPR2, Catherine Fumé et François Guerroué ont aussi imaginé une tournée militante intitulée « Réveiller les esprits antinucléaires » : partout en France, ils donnent une conférence sur l’histoire de la lutte contre les déchets nucléaires, en s’appuyant sur des extraits de leur film. Sur le blog de Mediapart, ils publient également des « doléances atomiques » sur le « nucléaire et son monde », des poèmes, témoignages ou argumentaires de chacun, à l’écrit ou à l’oral. « Face à un État qui se verticalise, on se dit qu’une des solutions est de réveiller cette parole populaire et de la faire circuler, pour retrouver une dignité face à cette espèce de rouleau compresseur. »

Alors que les alertes sur le front de l’environnement se multiplient, nous avons un petit service à vous demander. Nous espérons que les dernières semaines de 2023 comporteront des avancées pour l’écologie. Quoi qu’il arrive, les journalistes de Reporterre seront là pour vous apporter des informations claires et indépendantes.

Les temps sont difficiles, et nous savons que tout le monde n’a pas la possibilité de payer pour de l’information. Mais nous sommes financés exclusivement par les dons de nos lectrices et lecteurs : nous dépendons de la générosité de celles et ceux qui peuvent se le permettre. Ce soutien vital signifie que des millions de personnes peuvent continuer à s’informer sur le péril environnemental, quelle que soit leur capacité à payer pour cela.

Contrairement à beaucoup d’autres, Reporterre ne dispose pas de propriétaire milliardaire ni d’actionnaires : le média est à but non lucratif. De plus, nous ne diffusons aucune publicité. Ainsi, aucun intérêt financier ne peut influencer notre travail. Être libres de toute ingérence commerciale ou politique nous permet d’enquêter de façon indépendante. Personne ne modifie ce que nous publions, ou ne détourne notre attention de ce qui est le plus important.

Avec votre soutien, nous continuerons à rendre les articles de Reporterre ouverts et gratuits, pour que tout le monde puisse les lire. Ainsi, davantage de personnes peuvent prendre conscience de l’urgence environnementale qui pèse sur la population, et agir. Ensemble, nous pouvons exiger mieux des puissants, et lutter pour la démocratie.

Quel que soit le montant que vous donnez, votre soutien est essentiel pour nous permettre de continuer notre mission d’information pour les années à venir. Si vous le pouvez, choisissez un soutien mensuel, à partir de seulement 1 €. Cela prend moins de deux minutes, et vous aurez chaque mois un impact fort en faveur d’un journalisme indépendant dédié à l’écologie. Merci.

Soutenir Reporterre

Abonnez-vous à la lettre d’info de Reporterre
Fermer Précedent Suivant

legende