Résistance climatique : c’est le moment !

La crise du coronavirus démontre qu’il est possible de changer rapidement le fonctionnement du système, pensent les auteurs de cette tribune. Afin de forcer nos dirigeants à prendre la mesure de l’urgence, ils proposent d’entrer sans attendre en résistance climatique.
Depuis deux ans, les mobilisations pour le climat se multiplient sans être écoutées. La crise du coronavirus vient démontrer à tous qu’une bascule rapide est possible et ne nécessite que deux choses fondamentales : de la volonté politique et du volontarisme citoyen. Afin d’y forcer nos dirigeants sans attendre, après le confinement, nous devons adopter une stratégie plus ambitieuse. Il ne nous faudra pas revenir à la normale mais entrer en résistance climatique.
Nous partons de l’idée qu’il est possible de maintenir une vie digne et heureuse sur Terre. Nous nous battons contre ce qui détruit le vivant. Nous agissons pour ce qui le préserve. Pour cela, suivant les recommandations scientifiques sur le climat et la biodiversité, nous visons une victoire climatique à travers une profonde transformation de nos vies et de nos sociétés. Notre objectif : une neutralité carbone effective en 2050 (accords de Paris, COP21) via une décroissance énergétique mondiale perceptible dès 2025. Attendu sans succès depuis des décennies, le miracle technologique ne nous sauvera pas. Nous devons quitter le business as usual, synonyme de mort précoce pour des milliards d’humains et d’espèces vivantes.
Nous travaillons à bâtir un rapport de force politique pour sortir du productivisme et du consumérisme destructeurs qui structurent le système économique actuel. Notre ennemi est cette norme sociale actuelle et non les individus. Étant sortis du déni, agissons ici et maintenant. Arrêtons de nous attendre les uns les autres de peur de se marginaliser en étant les premiers. Devenons cette minorité motrice, catalyseur enthousiaste d’une transition désirable capable d’initier le changement nécessaire dans toute la société.
L’atterrissage de nos sociétés doit être mené dans une perspective de justice sociale mondiale. Ceci impose de réduire nos émissions en deçà de 2 tonnes de eqCO2/humain/an (division par 6 de l’empreinte carbone moyenne d’un Français) [1]. Loin d’un sacrifice, cette transition est source d’émancipation.
La stratégie de résistance climatique consiste en cinq phases qui se cumulent :
• Phase 1 - les 4 actions. Nous invitons celles et ceux prêts à adopter ce socle fondateur à nous rejoindre. Ces quatre actions — non exhaustives — sont indispensables à la bascule vers un mode de vie à moins de 2 tonnes de eqCO2, dans les 5 années à venir :
- (1) repenser sa manière de se déplacer et ne plus prendre l’avion, redécouvrir les transports doux et rouler moins de 2.000 km/an en voiture,
- (2) développer la cuisine végétarienne et se nourrir d’aliments biologiques, locaux et de saison, avec de la viande maximum 2 fois/mois,
- (3) réinterroger ses véritables besoins pour limiter les achats neufs au strict minimum,
- (4) agir collectivement en portant des actes politiques traduisant ces choix à l’échelle de la société.
Par cette mutation à la hauteur de l’enjeu, nous mettons au cœur de l’action la décroissance énergétique et matérielle. Cette contrainte créative nous amène à développer de nouvelles solidarités et à trouver collectivement les adaptations qui constitueront les modes de vie post-pétrole. Nous ne renonçons certainement pas au bonheur, mais montrons que ces changements nécessaires sont désirables, émancipateurs et moteurs de joies souvent plus puissantes. Dans notre combat, cohérence personnelle et action collective se renforcent l’une l’autre.
• Phase 2 - Alliances et influence. Notre approche — alliant action individuelle d’ampleur et politisation du discours — est destinée à être diffusée en créant des liens par l’action avec les acteurs du mouvement climat. Cela passe notamment par la construction d’un nouvel imaginaire donnant à voir ce futur frugal et désirable.
• Phase 3 - Conflictualité et premières victoires. Cette bascule semble encore impossible à beaucoup. La porter et l’incarner est source de tensions avec son entourage ou ses envies immédiates. Cette conflictualité assumée et génératrice de débat s’incarne dans des campagnes ciblées sur des thèmes structurants. Pour commencer : abolir l’aviation de masse (l’avion est le mode de transport le plus émissif et inégalitaire) pour envoyer le message que la crise climatique est réelle. Cette victoire permettra de pulvériser la norme sociale destructrice à laquelle l’avion appartient. Nous l’obtiendrons en créant des alliances avec de nombreuses autres organisations pour accroître le rapport de force. Ce combat est aussi efficace sur le plan de l’imaginaire que structurant sur le plan de l’économie.
Ces trois premières phases sont déjà en cours, à l’initiative d’individus ou de collectifs. Elles doivent gagner en ampleur et se structurer afin de pouvoir ensuite porter les deux dernières.
• Phase 4 - Mise en œuvre d’une décroissance énergétique nationale coordonnée massive et rapide. Elle devra s’appuyer sur un effort de pédagogie de la vérité, une revitalisation des solidarités à toutes les échelles et la mise en place d’alternatives dont la plupart existent déjà. Le volet législatif pourra inclure quotas carbone, limitation de la puissance, du poids et du nombre de véhicules… Cela permettra de refondre nos sociétés en accompagnant les plus fragiles.
• Phase 5 - Passage à l’échelle mondiale. Dans la décennie qui vient, ce mouvement de décroissance énergétique doit réussir à s’amplifier afin d’atteindre la division par deux d’ici 2030 des émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES) puis la neutralité carbone mondiale d’ici à 2050. Pour le mener dans le temps imparti, l’ensemble des outils de la diplomatie politique et économique devra être mis à contribution pour convaincre les gouvernements réfractaires, et l’existence de nouvelles sociétés sobres aidera grandement.
Ce monde peut paraître utopique, mais c’est surtout l’avenir du monde tel qu’il va qui est profondément dystopique. Si, d’ici dix ans, nous n’arrivons pas à réduire drastiquement les émissions de GES, nous aurons perdu. Compte tenu des effets d’emballement, dépasser les + 2 °C, c’est jouer à la roulette russe avec le vivant. Cette bataille conditionne toutes les autres, il faut impérativement la gagner ! Par la cohérence personnelle DANS l’action collective, nous pouvons y arriver.
Voulez-vous gagner ?
Liste des 20 premiers signataires pour la version numérique
Yann Arthus Bertrand, photographe, Aurélien Barrau, astrophysicien, Dominique Bourg, professeur Honoraire à l’Université de Lausanne, Maxime de Rostolan, fondateur de Fermes d’avenir, Cyril Dion, réalisateur et militant écologiste, Gaël Giraud, directeur de recherche CNRS, Delphine Grinberg, cofondatrice de Paris sans voiture, Bruno Latour, sociologue, anthropologue, philosophe, Charlotte Marchandise, entrepreneuse, Marie-Antoinette Mélières, physicienne, climatologue, Stéphanie Monjon, enseignante-chercheuse en économie, Magali Payen, fondatrice d’On est prêt, Pierre Rabhi, paysan, agroécologiste et écrivain, Cécile Renouard, philosophe, fondatrice Campus de la Transition, Marie Sabot, cofondatrice de We Love Green, Pablo Servigne, chercheur interdépendant, Agnès Sinai, fondatrice de l’Institut Momentum, Marie Toussaint, fondatrice de Notre affaire à tous, Gildas Véret, permaculteur, cofondateur de Résistance climatique, Françoise Vernet, présidente de Terre & Humanisme.
Les signataire soutiennent cette stratégie mais tous n’ont pas encore pleinement mis en œuvre les quatre actions de la phase 1.
Plus de 1.700 Résistant•e•s climatiques changent déjà leurs vies à travers ces quatre actions. Plus d’informations et liste complète des signataires sur resistanceclimatique.org.