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ReportageLuttes

Retraites : avant le vote de l’Assemblée, « on ne lâche rien »

À Montpellier, les cheminots ont défilé contre la réforme des retraites, le 15 mars 2023.

Les cheminots, retraités et ouvriers sont en première ligne contre la réforme des retraites. À Montpellier comme à Rodez, ils et elles comptent tenir « jusqu’au retrait du projet ».

Montpellier (Hérault) et Rodez (Aveyron), reportage

Des milliers de manifestants ont défilé dans toute la France le 15 mars. Parmi les grévistes, de nombreux cheminots, retraités, ouvriers et même artisans, venus s’opposer à la réforme des retraites. À Montpellier, ils certifient être « déterminés » jusqu’au retrait de la réforme ; à Rodez, les deux heures de transport pour aller manifester ne les démotivent pas, bien au contraire.

• À Montpellier, les cheminots entre ténacité et résignation

Sur la façade blanche de la gare, l’horloge s’est arrêtée. « Elle fait grève, comme nous », s’amuse une cheminote. Le 15 mars à l’aube, quelques dizaines d’agents de la SNCF ont tendu les banderoles et allumé les fumigènes devant la station de Montpellier Saint-Roch. Avec un mot d’ordre : « Montrer qu’on est déterminés et qu’on ira jusqu’au retrait de la réforme des retraites », annonce, sans hésiter, Sébastien Boudesocque, secrétaire local de la CGT Cheminots.

En ce neuvième jour de grève reconductible, les sourires sont las, mais les regards résolus. « Le gouvernement vacille, on sent qu’ils sont fébriles, donc en face on doit rester unis et motivés », appuie Christophe, syndiqué à Sud Rail. « On croit à la justice de notre combat, approuve Mikaël, professeur des écoles, venu soutenir ses camarades. [Emmanuel] Macron n’a aucune légitimité, il a été élu face à l’extrême droite, avec moins de 18 % de la population — ceux qui ont voté pour lui au premier tour — soutenant son projet. »

Sébastien Boudesocque, secrétaire local de la CGT Cheminots. © David Richard/Reporterre

Alors que la réforme entre dans sa dernière ligne droite côté législatif — le texte sera présenté ce 16 mars à l’Assemblée nationale — les manifestants oscillent entre ténacité et résignation. « Ça fait plusieurs jours qu’on a cessé le travail, ça fait deux mois qu’on manifeste, c’est déjà beaucoup », estime Mikaël. À côté, une manifestante secoue la tête : « Le gouvernement reste sourd, il faut qu’on aille plus loin pour se faire entendre. »

D’un coup de marteau sur la bombarde, un mécanicien fait trembler les palmiers de la rue de Maguelone, en plein centre de Montpellier. Dans la petite foule réunie autour du piquet de grève, une dizaine d’électriciens et gaziers, eux aussi mobilisés depuis plusieurs jours. « Députés, sénateurs, entendez la colère dans le pays, crie Marc, syndiqué à la CGT Mines et énergie. Si vous votez cette réforme, ce sera une trahison… et le peuple a de la mémoire ! » Au mégaphone, une CGTiste à la voix éraillée par les semaines de manifs scande inlassablement : « On ne lâche rien, on reprend tout ! » Normalement utilisée lors des travaux sur les voies, la trompe à grande puissance (sorte de klaxon très puissant) fait vibrer l’air frais de colère militante.

« Le gouvernement reste sourd, il faut qu’on aille plus loin »

« Pour les cheminots, cette réforme, c’est la quadruple peine, souligne Sébastien Boudesocque. On a des salaires bas, des métiers difficiles avec des horaires décalés et irréguliers, le régime protecteur dont on bénéficiait a été dézingué, et maintenant on nous demande de bosser plus longtemps. » Actuellement, les agents de la SNCF partent, entre 52 ans pour les statutaires, et 57 ans pour les contractuels. Avec la réforme, ceux-ci devront travailler deux ans de plus.

Marc, de la CGT Énergie : « Si vous votez cette réforme, ce sera une trahison… et le peuple a de la mémoire ! » © David Richard/Reporterre

Alors que l’État a récemment annoncé un plan d’envergure pour le ferroviaire, le syndicaliste est amer : « On entend partout que le train a un rôle essentiel à jouer dans notre avenir écologique, mais les dirigeants ne font que casser le service public du rail », se désole-t-il. Pour lui, la solution à tous ces problèmes est simple : « Il faut taxer le capital, en particulier les compagnies pétrolières, qui ont fait des profits record. »

Les grévistes prennent leur place dans le cortège unitaire à Montpellier. © David Richard/Reporterre

Dans le hall d’accueil, le tableau des départs est clairsemé. Pas de nouveaux trains avant deux heures. Selon les chiffres de la SNCF, 2 TER sur 5 circulaient le 15 mars, 1 Intercités sur 3 et 3 TGV sur 5. Après une demi-heure d’assemblée générale, les cheminots montpelliérains ont décidé de reconduire la grève du 16 mars.

Le café avalé et le débrayage revoté, cheminots et électriciens ont ensuite rejoint la manifestation, qui a réuni 12 000 personnes selon les organisateurs — une participation similaire à celle de samedi dernier.

• À Rodez, les retraitées et artisans « n’ont pas oublié [leurs] souffrances »

« Bus 1, bus 2 ». Sur le parking, Céline Tabariès, secrétaire de l’Union locale CGT de Millau a pris mercredi la casquette de grande organisatrice. Chaque semaine, depuis le début du mouvement contre la réforme, la manifestation centrale, à Rodez, donne l’occasion d’un ballet d’autocars à travers les routes sinueuses de ce département rural. Une manière de grouper les trajets à peu de frais, mais aussi de jauger de la puissance de la mobilisation.

Le 15 mars, on compte deux bus à Millau, un à Saint-Affrique, dans les mêmes eaux que les manifestations de février. À l’intérieur, on retrouve des habituées, majoritairement des femmes. Dans le couloir, on se salue, prend des nouvelles : « Tiens, ça fait longtemps qu’on ne s’était pas vus ! » Une semaine en fait. Car depuis près de deux mois, ils et elles consacrent deux heures de transport, deux heures à marcher qu’il pleuve ou vente, pour aller clamer leur mécontentement.

Depuis près de deux mois, les grévistes consacrent deux heures de transport pour aller manifester. © Grégoire Souchay / Reporterre

Militante de longue date, Caty l’assure, « on est là pour les retraites mais pour plus que ça, pour la vie qu’on mène tous les jours, et la politique de Macron qu’on combat ». Et puis aussi pour ses proches. « On ne parle pas assez des artisans. Mon conjoint gagne 500 euros par mois de retraite après une vie de travail, c’est pour lui que je suis là. » Un témoignage qui fait écho à celui d’Elsa. À 40 ans, cette fonctionnaire des finances publiques a sorti la calculette : « Avec les temps partiels et les enfants, si je veux la retraite pleine il faudra que je parte à 67 ans. »

Mais elle aussi voit déjà comment le travail a usé et détruit le corps de son compagnon, maçon de 43 ans. Au point que lui n’a pas pu venir marcher en ce jour. Impossible d’envisager de continuer jusqu’à 62 ans, alors 64…

« Faut pas pousser mémé à travailler »

Son fils Noha l’a bien compris. Présent avec quelques autres jeunes, ce lycéen de Millau tient fermement sa pancarte « Faut pas pousser mémé à travailler ». Dans son lycée, difficile de faire grève ou de bloquer. « Ce n’est pas normal qu’on soit si peu de jeunes mobilisés », regrette-t-il. Sa camarade Louise, en classe de seconde, acquiesce, mais soulève « les risques qu’on ait des problèmes si jamais on voulait faire quelque chose ». La fermeture de l’internat hier soir pour cause de grève lui a libéré l’occasion de manifester mercredi.

« Si chacun y met du sien on y arrivera », selon Patrick, postier. © Grégoire Souchay / Reporterre

Ghislaine, elle, est ouvrière pour l’industrie de Roquefort et syndiquée à la CFDT. Si elle bénéficie du dispositif carrière longue, elle prendra « quand même une année de plus », avec une réforme qui « ne prend pas suffisamment en compte les femmes ».

Alors qu’une cagnotte tourne pour rembourser le coût du transport « prix libre », sur la banquette arrière, le débat bat son plein. « C’est une aberration cette réforme, et c’est une étape, ils ont fait 62, puis 64, et après ce sera quoi ? » s’inquiète Georges, militant communiste, debout avec des exemplaires de L’Huma à la main, qu’il vend « depuis 1981 ».

Tandis qu’un petit groupe entame quelques chants révolutionnaires, Jean-Pierre et Mohamed se joignent à la discussion : « Il faut toujours avoir l’espoir de gagner. » Tous deux retraités, Gilets jaunes « depuis le début », ils sont là « en solidarité ». « C’est la même idée que sur les ronds-points : ils abusent », résume Mohamed. « C’est une lutte des classes, lâche Jean-Pierre, et je suis du bon côté moi, je gagnais bien ma vie, mais je n’ai pas oublié les souffrances de l’époque où il fallait manier la pelle et la pioche. »

Depuis dix jours, les blocages se multiplient et les mouvements s’agrègent. Postier autour de Millau, Patrick raconte comment le « plan d’adaptation à la charge » organisé par sa direction conduit à « faire sauter peut être cinq tournées ». Résultat : grève et blocage du camion de distribution pendant trois jours la semaine dernière. « C’est vrai qu’on a plus ralenti le pays que mis à l’arrêt, mais si chacun y met du sien on y arrivera », veut-il croire.

Une nouvelle fois, la manifestation de Rodez du 15 mars aura rassemblé plus de 20 000 personnes selon les syndicats, 4 000 selon la police. Un défilé qui se termine dans la tension. Alors que des militants de la Confédération paysanne se rassemblaient devant le tribunal suite aux violences subies par certains militants lors d’une action la semaine dernière, la police locale a sorti les lacrymos. En réaction immédiate, des agents d’Enedis ont brièvement coupé l’électricité dans le centre-ville de Rodez. De quoi rappeler que rien d’autre que le retrait ne refroidira la colère actuelle. Et dans le bus du retour, les militants millavois se tenaient déjà près à se rassembler jeudi devant la permanence du député Renaissance du sud Aveyron.


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