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Animaux

Scandale des abattoirs : ce qu’en disent les éleveurs paysans

En trois vidéos choquantes, l’association L214 a soulevé un débat national sur l’abattage des animaux. Les éleveurs réclament, eux, un droit de regard sur ces pratiques et cherchent des solutions pour s’émanciper des abattoirs privés soumis à la rentabilité.

Mi-octobre 2015, l’association L214 diffusait une première vidéo tournée dans l’abattoir d’Alès, dans le Gard. Puis a suivi celle du Vigan, dans le même département : un abattoir certifié bio, dénoncé juste avant le Salon de l’agriculture. Enfin, une troisième, tournée à Mauléon-Licharre, dans les Pyrénées-Atlantiques, est sortie à quelques jours des fêtes de Pâques.

A priori, la réaction de rejet est unanime. « C’est pas normal, c’est pas normal, répète Pierre Brosseau, éleveur de porcs en Loire-Atlantique. Quand nos animaux sont abattus, on n’a pas envie qu’ils souffrent », réagit l’éleveur, membre de la Confédération paysanne.

« Je connais personnellement les gens qui travaillent à l’abattoir que j’utilise. J’espère qu’ils ne sont pas violents comme dans ces vidéos », commente Yves-Pierre Malbec, éleveur de moutons dans le Lot et lui aussi membre de la Confédération paysanne.

Du côté du syndicat majoritaire dans la profession, la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles), la branche bovins a réagi à la vidéo de Mauléon-Licharre en portant plainte contre X. « Les éleveurs et producteurs de viande bovine sont offusqués et dénoncent avec la plus grande énergie les actes de maltraitance animale, intolérables, intervenus à l’abattoir Mauléon-Licharre dans les Pyrénées-Atlantiques », indique la Fédération nationale bovine, dans un communiqué.

« En tant qu’éleveurs, notre objectif est que nos animaux soient abattus dans les meilleurs conditions », rappelle Étienne Gangneron, éleveur de bovins bio dans le Cher et membre de la FNSEA. « Dans un premier temps, on est choqué par les images. Mais dans un deuxième temps, c’est le procédé utilisé par L214 qui interpelle », ajoute-t-il.

Fermeture des abattoirs de proximité 

La vidéo diffusée par l’association, clairement positionnée en faveur de l’abolition de l’élevage, suscite le doute chez les éleveurs : « En plaçant une caméra fixe dans un abattoir, on est certain qu’on arrivera à filmer des accidents. Et si on met tout bout à bout, ça fait forcément une vidéo horrible », estime Yves-Pierre Malbec. Autre incompréhension, l’association a choisi de s’attaquer à de petits abattoirs. « On n’a pas choisi, on a saisi des opportunités. Et puis, en 2009, on était allés dans un abattoir Charal », se défend la présidente de L214, Brigitte Gothière.

Mais, à travers ces petits abattoirs, ce sont les petits éleveurs que l’association touche. « C’est-à-dire ceux qui font de la vente directe, qui ont peu d’animaux à emmener à l’abattoir, qui en plus détestent les y emmener parce qu’ils ne peuvent pas voir ce qui s’y passe », raconte Jocelyne Porcher, sociologue à l’Inra. « On voit bien que l’objectif de L214 est d’attaquer les filières de viande de qualité pour pouvoir dire : “Vous voyez, même en bio, c’est mauvais !” » dénonce Étienne Gangneron. D’ailleurs, Brigitte Gothière ne s’en cache pas : « Nous sommes convaincus qu’on ne peut pas parler à la fois de respect de l’animal et d’abattage. On ne le respecte pas quand on décide du moment de sa mort, unilatéralement », explique la militante végane.

Au marché de chevreaux et volailles de Parthenay (Deux-Sèvres), en 2009.

Les éleveurs, eux, croient qu’un abattage dans le respect de l’animal est possible. Mais ils ne nient pas les dysfonctionnements des abattoirs. Premier problème, ils y ont peu accès. Certains ne le demandent pas, et se satisfont de la présence d’intermédiaires. « Les relations avec les abattoirs, on n’en a pas beaucoup. Chez moi, ce sont les transporteurs de la coopérative qui viennent chercher les animaux. J’ai dû aller trois fois dans ma vie dans un abattoir, c’est un lieu où je me sens mal », avoue Pierre Brosseau. Yves-Pierre Malbec, en revanche, a voulu voir : « J’ai demandé, une fois, au directeur si je pouvais assister à l’abattage. Il m’a répondu un non catégorique. Il m’a dit qu’ils organisaient des visites et qu’il m’avertirait. Mais il y a un manque de transparence. »

Une opacité qui s’accentue avec la fermeture des abattoirs de proximité, au profit de la concentration dans de gros abattoirs privés. « C’est vrai que l’industrialisation a fait que les éleveurs sont plus loin et que c’est donc plus compliqué pour eux de contrôler l’abattage », admet Étienne Gangneron, qui souligne tout de même que cette industrialisation a permis d’avoir des « technologies d’abattage à la pointe en terme d’équipements ». Reste qu’il soutient « le maintien et l’amélioration des petits abattoirs, parce que c’est un enjeu par rapport aux circuits courts et à la vente directe ».

Augmentation des cadences et extrême division des tâches 

« En Loire-Atlantique, il n’y a plus qu’un seul abattoir gros bovins, c’est inquiétant. Alors qu’avant, il y en avait facilement trois ou quatre », témoigne aussi Jérôme Bodineau pour son département. « On a tout concentré dans les années 1980, pour des questions de rentabilité et parfois pour favoriser les abattoirs privés. Ce qui fait qu’il y a des zones désertes », regrette Yves-Pierre Malbec. « Selon les enquêtes, la distance moyenne entre la ferme et l’abattoir est de 80 kilomètres », indique Jocelyne Porcher, de l’Inra.

Autre conséquence de cette industrialisation, l’augmentation des cadences, ou encore l’extrême division des tâches. C’est ce qu’a constaté la sociologue lors de ses enquêtes : « La rentabilité des abattoirs fait qu’il faut aller vite. Mais on ne peut pas tuer un animal comme ça, il faut prendre le temps. Un autre problème, c’est la taylorisation. Si on divise le travail, on ne pense pas, on n’est responsable de rien. On ne peut pas abattre des animaux huit heures par jour, tous les jours de la semaine, sans y penser. Ce n’est pas un métier comme un autre, il faut en tenir compte. »

L’abattoir d’Amiens en juillet 1915.

Dans ce contexte, beaucoup comprennent que ça puisse déraper. Une « violence » des abattoirs largement dénoncée par les petits éleveurs, rappelle encore la sociologue, qui a rassemblé leurs témoignages dans un Livre blanc pour une mort digne des animaux d’élevage. « Étourdissement inefficace, cadences d’abattage trop rapides, non prise en compte de la perception des animaux quant à l’abattage de leurs congénères, délai d’attente excessif parfois sans paille ni abreuvement. Les conditions de transport et l’éloignement des abattoirs sont également remis en cause par les éleveurs », détaille-t-elle dans la présentation du recueil.

Des dysfonctionnements qui seraient peut-être moins fréquents si les contrôles étaient mieux assurés. « Lors d’une réunion récente au Salon de l’agriculture, les agents de l’État chargés des contrôles nous ont bien dit qu’ils n’étaient pas assez nombreux », note Yves-Pierre Malbec. « Les effectifs des services vétérinaires ont diminué de 20 % en dix ans », confirme, dans une interview au journal Le Monde, le président du Syndicat national des inspecteurs en santé publique vétérinaire.

« On a préféré créer un outil à taille humaine » 

« C’est pour cela qu’on demande que des caméras de vidéo surveillance soient installées dans toutes les salles d’abattage », explique Étienne Gangneron, de la FNSEA. Yves-Pierre Malbec, lui, demande au nom de la Confédération paysanne que les éleveurs puissent participer aux inspections annoncées par le ministre de l’Agriculture, Stéphane Le Foll. Elles devraient avoir lieu dans tous les abattoirs d’ici un mois. « C’est important qu’on ouvre les abattoirs, et on pense qu’on a notre mot à dire », affirme l’éleveur.

Au-delà, les agriculteurs cherchent l’alternative. En Loire-Atlantique, Jérôme Bodineau abat ses volailles lui-même depuis plus de dix ans grâce à un petit abattoir créé avec plusieurs éleveurs : « On n’avait pas d’abattoir de proximité pour nos volailles. En plus, nous sommes tous en vente directe, nos volailles ne sont pas standardisées. Donc, on a préféré créer un outil à taille humaine, avec des cadences humaines, pas comme dans les abattoirs industriels. »

Autre solution envisagée à la FNSEA, celle de camions-abattoirs qui se rendraient dans les fermes. « Ils pourraient aller dans des régions rurales éloignées des abattoirs », imagine Étienne Gangneron. Avec des éleveurs, des vétérinaires et des associations, Jocelyne Porcher a, elle, créé un collectif, Quand l’abattoir vient à la ferme. « L’objectif, c’est de développer rapidement un outil d’abattage à la ferme, explique-t-elle. Ce que l’on a trouvé, c’est un caisson qui peut être apporté sur place, et où l’on peut saigner l’animal. Mais, quelle que soit la solution trouvée, il est important que les éleveurs soient maîtres de l’outil. »

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