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EnquêteAgriculture

Si belle ! Mais la fleur est une industrie polluante

Les Français importent la majorité de leurs fleurs coupées depuis les Pays-Bas. Où les fleurs, quand elles ne poussent pas gorgées de produits phytosanitaires à longueur d’année dans des serres chauffées, voyagent depuis des pays du Sud à la main-d’œuvre corvéable.

Le réflexe de chacun face à un bouquet de fleurs est bien souvent identique : y mettre son nez et inspirer. « On n’a même pas idée de ce à quoi on s’expose. Sinon, on changerait volontiers de trottoir en passant devant un fleuriste », exagère, à peine, François Bataillard, directeur technique de Fleurs de cocagne, première structure à cultiver des roses bio en France. Quelle quantité de pesticides une fleur a-t-elle reçue ? D’où vient-elle ? Difficile pour le consommateur, voire quasi impossible, de répondre à ces questions. « Ce n’est pas alimentaire, donc il n’y a pas de règle. Pas de réglementation, pas de limite », dit M. Bataillard.

85 % des fleurs coupées viennent de l’étranger, cultivées dans des conditions écologiques déplorables. Pour une raison simple : sous nos latitudes, on ne peut pas cultiver des roses au jardin en plein mois de février. La quasi-totalité des fleurs doivent pousser sous des climats plus chauds que les nôtres. Selon le bilan annuel 2015 de France Agrimer sur le commerce extérieur français des produits de l’horticulture, la France importe en valeur près de 16 fois plus qu’elle n’exporte. Les Pays-Bas, adeptes de la serre chauffée et premier exportateur mondial, sont de loin notre principal fournisseur.

En France, 85 % des fleurs coupées viennent de l’étranger, cultivées dans des conditions écologiques déplorables.

Neuf fleurs étrangères sur dix transitent par les sites de FloraHolland, le « Wall Street des fleurs », plus grand importateur et distributeur au monde. Chaque jour, plus de 20 millions d’entre elles y sont réceptionnées et cédées aux enchères. Y compris la majorité des lots français… susceptibles d’être revendus dans l’Hexagone. Des centaines de kilomètres supplémentaires en camion réfrigéré au compteur.

La fleur est le végétal le plus gourmand en eau et en produits chimiques 

Toutefois, les trois quarts des importations des Pays-Bas proviennent du Kenya (22 %), de l’Éthiopie (12 %), d’Équateur (10 %), de Colombie (5 %) ou du Costa Rica (4 %). « Au cours des 25 dernières années, le commerce des fleurs a connu d’importantes mutations, avec le transfert progressif de la production des pays de Nord vers les pays du Sud, favorisés par des conditions climatiques plus propices à la floriculture et des coûts de production nettement plus bas », résume sur son site Fairtrade/Max Havelaar, qui délivre un label garantissant des fleurs issues d’un commerce équitable. En d’autres mots, peu de frais énergétiques ainsi qu’une main-d’œuvre docile et sous-payée font les choux gras des exploitants.

En plus de la forte pénibilité des conditions de travail, « les travailleurs de plantations sont confrontés à une forte instabilité d’emploi, liée au caractère cyclique de la demande dans les pays consommateurs », est-il précisé. Fête des Mères, Toussaint ou Saint-Valentin en ligne de mire. Pour la fête des amoureux 2015, d’après les statistiques des douanes françaises, les Pays-Bas ont importé en février près de 438 millions de tiges de roses en provenance majoritairement du Kenya (50 %) et d’Éthiopie (28 %). Pour les milliers de travailleurs des fermes géantes à proximité du lac kenyan Naivasha, la production double ainsi pour satisfaire les émois des couples, sans ménagement ni rémunération supplémentaire.

Au détriment général du niveau de l’eau, pompée pour irriguer les cultures, mais aussi de la fertilité des sols et de la sécurité alimentaire, du fait des produits chimiques utilisés : les phytosanitaires, pour lutter contre les nuisibles ou maladies, et les fertilisants, pour « améliorer la nutrition des végétaux ainsi que les propriétés physiques, chimiques et biologiques des sols », indique en 2015 le ministère français de l’Agriculture.

Neuf fleurs étrangères sur dix transitent par les sites de FloraHolland, aux Pays-Bas, le « pays de la tulipe ».

« Par rapport à son volume et son poids, la fleur est le végétal le plus gourmand en eau et en produits chimiques. Elle est fragile et requiert un écosystème précis, sinon elle pousserait partout. Donc on gave la terre de fertilisant pour toujours plus de floraisons, la fleur s’épuise, et on compense par encore plus de produits », détaille François Bataillard. Dans les pays du Sud, comme le rapporte l’association Agronomes et vétérinaires sans frontière, la situation se résume à utiliser des produits frelatés et non homologués, sans aucune formation ni information, sans limite ni protection.

Une situation qui n’est pas sans conséquence pour la santé, pour tous les acteurs de la chaîne de production jusqu’au consommateur. Déjà, pour les intrants autorisés par la législation européenne, l’Officiel prévention met en garde les fleuristes : « Ces produits chimiques créent des risques respiratoires comme des rhinites allergiques, parfois de l’asthme, des irritations respiratoires et des risques cutanés. »

Une éprouvette, dans laquelle se développe un bouillon de culture 

Exclusion des produits les plus dangereux et salaires plus décents pour les ouvriers sont notamment garantis par le système Fairtrade/Max Havelaar. Il propose des fleurs, essentiellement des roses, cultivées au Kenya et en Équateur pour la plupart... toujours à 7.000 kilomètres du pays de la tulipe. Pour autant, même en incluant le transport aérien vers l’Europe, une rose kenyane émet six fois moins de CO2 qu’une rose néerlandaise, couvée par des serres chauffées au gaz naturel.

Dans l’Hexagone, le label Fleur de France vise à distinguer la culture locale. Depuis cette année, il est réservé aux végétaux produits « selon une démarche écoresponsable ou de qualité reconnue (certification environnementale Plante bleue, MPS, Label rouge, Agriculture biologique, Charte qualité fleurs) », précise le communiqué. Hormis la charte de l’agriculture biologique, la chimie s’avère toujours d’actualité.

Difficile de jouer sur le même terrain que la concurrence internationale, bien moins à cheval sur la législation et les normes. « La réglementation européenne et la surréglementation française imposent des procédures à respecter pour l’utilisation des intrants chimiques. Par exemple, après l’application de certains produits, on ne peut pas rentrer dans la serre pendant plusieurs jours, même équipés. Des journées de travail perdues », note Laurent Devaux, de l’Union nationale des intérêts professionnels horticoles.

Pour la protéger du froid, du vent ou de la pluie, la production fleurit en grande majorité sous serre. « C’est quasi dans l’ADN des horticulteurs de fabriquer du chaud et de la lumière, explique le directeur de Fleurs de cocagne, qui expérimente sur le terrain, à Avrainville, pour une culture toujours plus respectueuse. Du verre, de l’éclairage artificiel comme aux Pays-Bas, de l’eau : un producteur fabrique une éprouvette, dans laquelle se développe sans surprise un bouillon de culture. On fabrique de la maladie et on favorise l’installation des nuisibles, avant d’asperger de pesticides pour y remédier. »

Le tout hors-sol, une disposition idéale pour la « ferti-irrigation », l’équivalent d’une perfusion d’engrais reliée à des pots individuels. L’objectif de productivité pousse à faire du cas par cas, plutôt que d’assumer la charge d’un champ de terre dans son ensemble, soumis aux lois de la nature et réactif aux traitements qu’on lui impose. La solution la plus écoresponsable reste encore les fleurs locales issues de l’agriculture biologique. Aussi rares qu’une rose française en hiver.

  • Mais Reporterre vous raconte ici comment les fleurs bio commencent à se faire une place au soleil... d’hiver.

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