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Climat

Taxe carbone : des associations écolos proposent un « revenu climat » pour les plus modestes

La hausse de la taxe sur les carburants a frappé de plein fouet les classes populaires, tandis que les secteurs les plus polluants, comme l’aviation, restent les moins prélevés. Pour réconcilier fiscalité écologique et justice sociale, le Réseau action climat propose la création d’un « revenu climat » versé aux ménages les moins favorisés.

Comment faire grimper le prix du carbone pour décourager les activités les plus polluantes, tout en protégeant les ménages les plus modestes ? C’est à ce casse-tête économique que se sont attelé les associations du Réseau action climat (Rac), alors que la mobilisation des Gilets jaunes se poursuit et que les conclusions du « grand débat national » devraient être bientôt dévoilées.

Premier constat, présenté lors d’une conférence de presse jeudi 4 avril, la fiscalité carbone mise en œuvre par le gouvernement n’est ni efficace, ni écologique, ni équitable socialement. « En 2019, les exonérations et taux réduits des taxes sur l’énergie se chiffrent à 11 milliards d’euros. C’est plus que les recettes de la taxe carbone !, s’est exclamée Meike Fink, responsable de la transition climatique au Rac. Pire, ces subventions concernent les entreprises et les secteurs les plus polluants. »

Les ONG proposent une taxe sur les billets de tous les avions qui décollent de France modulée en fonction de la distance de vol et de la classe du passager.

Exemple : l’aviation, puisque le kérosène est exempté de toute taxation. Le manque à gagner fiscal représente 3,6 milliards d’euros en 2019 pour la France. Néanmoins, « il semble compliqué et pénalisant de mettre en place une taxation du kérosène sur les vols domestiques, reconnaît Meike Fink. Nous proposons plutôt une taxe sur les billets de tous les avions qui décollent de France, qui serait modulée en fonction de la distance de vol et de la classe du passager. » Selon le Rac, une taxe de ce type a déjà été mise en place au Royaume-Uni, où elle permet de lever 4 milliards d’euros par an.

« 60 % des ménages recevraient ce revenu, pour qu’ils ne pâtissent pas de la hausse des prix de l’énergie »

Autre inégalité criante, l’écart entre les prix du carbone en France et en Europe. Les grandes entreprises les plus émettrices de gaz à effet de serre paient la tonne de CO2 21 euros, via le système européen d’échange de quotas. Un prix bien inférieur aux 44 euros la tonne de CO2, payés par les ménages et les petites et moyennes entreprises via la taxe carbone française. « C’est inaudible », dénonce Meike Fink, qui préconise un rattrapage progressif, avec un gain fiscal pour la France de 2,4 milliards d’euros.

Pour le Rac, le rééquilibrage de la balance passe aussi par la redistribution d’une partie de ces revenus supplémentaires de la taxe carbone, via un « revenu climat » destiné aux ménages les plus modestes. « 60 % des ménages recevraient ce revenu, pour ne pas pâtir de la hausse des prix de l’énergie. L’avantage de ce format est qu’il conserve le caractère incitatif de la taxe, tout en accordant aux gens plus de temps pour s’adapter en fonction de la réalité de leurs revenus », explique Kévin Puisieux, de la Fondation pour la nature et l’homme (FNH).

Concrètement, le montant du « revenu climat » distribué dépendrait des revenus du ménage, de sa composition et du lieu de vie. Le Rac propose deux scénarios :

  • Un premier, ambitieux, qui vise la protection de 30 % de la population (99 % des ménages des trois premiers déciles [1]), via la redistribution de 90 % des revenus de la taxe carbone et un transfert moyen de 140 euros par an par ménage éligible.
  • Le second scénario ne prévoit de redistribuer « que » 60 % des revenus de la taxe carbone, pour une protection de 87 % des ménages des trois premiers déciles et un transfert moyen de 91 euros par an par ménage éligible.

Enfin, le Rac propose que le solde des recettes de la taxe carbone soit dédié au financement de la transition écologique. Selon l’Institute for Climate Economics (I4CE), il manque chaque année 10 à 30 milliards d’euros, dont un tiers de financements publics, pour atteindre les objectifs climatiques que la France s’est fixé.

L’économiste de l’énergie Audrey Berry, qui a soutenu en 2018 sa thèse intitulée « Essais sur la précarité énergétique : mesures multidimensionnelles et impacts de la fiscalité carbone », a assuré tous les calculs. « On sait depuis longtemps que la taxe carbone impacte plus fortement les ménages modestes, parce qu’ils dépensent plus dans l’énergie. Ces dépenses dépendent aussi du lieu de vie », explique-t-elle. Elle se réjouit que le gel de la taxe carbone, fin 2018, ait rouvert la réflexion à ce sujet :

 Plusieurs organisations ont émis des propositions ces derniers mois, comme l’Iddri, le Comité pour la fiscalité écologique, l’Observatoire français des conjonctures économiques, etc. Toutes convergent sur la nécessité de la justice sociale, qui est un objectif en soi mais aussi la condition de l’acceptabilité de cette taxe. »

« Les plus modestes ne doivent pas servir d’alibi à l’absence de transition écologique »

Les ménages modestes ne disent pas autre chose, assure Jean Merckaert, du Secours catholique. « Depuis décembre, dans le cadre du « grand débat national », nous organisons des débats avec les plus modestes autour de deux points : en quoi le mouvement des Gilets jaunes vous rejoint-il dans votre vie quotidienne ? Quelles sont vos propositions ? » À cette dernière question, le Secours catholique a déjà obtenu plus de 2.000 réponses, « dont de nombreuses sur la fiscalité et l’écologie ». Il poursuit :

Beaucoup revendiquent le droit à la mobilité, avec par exemple la gratuité des transports en commun et le soutien au covoiturage. Certains, il faut le dire, refusent toute fiscalité sur l’énergie. Mais ce qui ressort le plus, c’est le rejet de son caractère injuste. Ainsi, la question de la taxation du kérosène, alors que les avions transportent principalement des gens aisés, revient très souvent. De même que la question du sens : une politique fiscale morcelée, qui ne sert qu’à renflouer les caisses, ne fait pas sens ; une taxe dont les recettes serviraient à financer des modes de transport durables et la rénovation des logements, si. »

En clair, les plus modestes, qui sont également les premières victimes du changement climatique, « ne doivent pas servir d’alibi à l’absence de transition écologique », insiste Jean Merckaert.

Signe de la volonté de jeter un pont entre les deux combats, social et environnemental, Priscillia Ludosky, figure du mouvement des Gilets jaunes, était présente à la conférence. « Cela fait presque un an maintenant que j’ai lancé une pétition sur la TICPE [taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques], en demandant la transparence sur ce qu’elle finançait, rappelle-t-elle. Fin novembre, le ministre de la Transition écologique François de Rugy nous a reçus Éric Drouet et moi, mais ne nous a pas apporté de réponse claire. Cette proposition du Rac est intéressante car elle témoigne de la volonté de laisser aux gens le temps de changer de voiture, de mode de consommation. Pas comme la TICPE, qui s’acharne toujours sur les mêmes, les automobilistes en premier lieu, alors que les secteurs du transport aérien, du transport maritime, de l’agriculture et du transport routier de marchandises sont exonérés. Nous devrions tous êtres logés à la même enseigne. »

Reste à savoir si cette proposition du Rac sera mise en œuvre un jour. « Après le lancement du pacte pour le pouvoir de vivre, M. de Rugy nous a reçus mais il est resté évasif », ironise Jean Merckaert. Kévin Puisieux, de la FNH, se veut optimiste :

Quand on a lancé l’alerte, avant l’été, sur le caractère injuste de la taxe carbone, le gouvernement a refusé d’y toucher parce qu’il comptait sur elle pour financer la suppression de la taxe d’habitation pour les 20 % de ménages les plus aisés et résorber la dette. Nicolas Hulot a été le seul à se montrer sensible à nos arguments, mais il s’est pris le mur de Bercy. Hier, cependant, quand Gérald Darmanin et Bruno Le Maire ont présenté les grandes orientations budgétaires, ils ont annoncé qu’ils renonçaient aux recettes de la taxe carbone pour compléter les recettes de l’État. Cela va permettre de relâcher la pression et de repartir sur une page blanche. »

Réponse dans le projet de loi de finances pour 2020...

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