Tuto : comment contester en justice un projet polluant

Devant les travaux de la future gare de la ligne 17 prolongeant le Grand Paris Express à Gonesse (Val-d’Oise), le 6 juin 2021. - © NnoMan Cadoret/Reporterre
Devant les travaux de la future gare de la ligne 17 prolongeant le Grand Paris Express à Gonesse (Val-d’Oise), le 6 juin 2021. - © NnoMan Cadoret/Reporterre
Durée de lecture : 8 minutes
Luttes JusticeUn projet climaticide est prévu près de chez vous et vous souhaitez le contester ? Il est encore temps de mener un recours en justice ! Voici les cinq étapes à suivre.
Cet article est le deuxième de notre série « Tuto des luttes », issue de conférences et de formations qui se déroulaient du 3 au 6 août dans le Larzac, aux Résistantes, un évènement réunissant près de 150 collectifs des luttes locales de France.
Imaginez la scène. Il est 7 heures du matin, vous lisez le journal local en prenant votre petit déjeuner, quand soudain vous apprenez — au choix — qu’un poulailler géant va s’installer près de chez vous, qu’un entrepôt logistique va bétonner les terres que vous connaissez depuis l’enfance, ou que la construction d’un centre commercial va entraîner la disparition d’espèces protégées.
Quel que soit le cas de figure, si vous estimez que le projet en question est nocif pour le vivant ou le climat, vous êtes en droit de saisir la justice pour en demander l’annulation. Aux rencontres des Résistantes, qui se sont tenues début août dans le Larzac (Aveyron), un atelier s’est justement intéressé aux étapes à suivre pour déposer un recours juridique, en autonomie, sans forcément s’offrir (tout de suite) les services d’un avocat.
Pas de panique, suivez le guide.
1 – Identifier les actes administratifs à attaquer
« Quand on lutte contre un projet polluant, on fait du droit administratif, car on vient attaquer une autorisation administrative », explique Céline Le Phat Vinh, juriste pour l’association Notre affaire à tous, en introduction de la formation. En face d’elle, des dizaines de militants hochent la tête, l’air studieux, en griffonnant des notes.
Dit autrement, quel que soit le projet contesté, son aménageur a forcément eu besoin d’une autorisation publique. Celle-ci a par exemple pu être délivrée au moyen d’un permis de construire, signé par le maire de la commune, ou sous la forme d’un arrêté préfectoral, validé par le préfet. Avant toute chose, vous devez prendre connaissance de l’autorisation en question.
« L’automatisme à avoir, c’est de demander davantage d’informations aux administrations, poursuit Céline Le Phat Vinh. Un simple mail “Vous pouvez m’envoyer tous les actes administratifs sur ce sujet ?” peut faire l’affaire. » « Et à qui on envoie ça ? » interroge une femme dans le public. « Dans le doute, à tout le monde, s’esclaffe la juriste de Notre affaire à tous. La mairie, la préfecture, l’intercommunalité... »
2 – Déposer un recours administratif
Vous voilà désormais en possession du texte autorisant le projet. Avant de passer par la case tribunal, vous pouvez attaquer cette autorisation devant l’administration qui l’a délivrée (mairie, préfecture, ministère...), pour lui demander de revenir sur sa décision. C’est ce qu’on appelle le « recours administratif ».
Là, pas besoin de produire un document de centaines de pages : une lettre rappelant rapidement le texte d’autorisation, le contenu du projet et pourquoi vous vous y opposez suffit. Vous pouvez mener ce recours en autonomie — des associations mettent d’ailleurs à disposition des modèles de courrier, comme la branche Provence-Alpes-Côte d’Azur de France Nature Environnement. Mais « nous conseillons de contacter un juriste ou un avocat afin de vérifier le dossier avant tout envoi officiel, précise Notre affaire à tous dans un de ses guides juridiques. En effet un recours mal exercé porte le risque de déstabiliser le cas en cours ».

« Ça sert à quoi cette première étape, à votre avis ? » demande Céline Le Phat Vinh à ses élèves d’un jour. « À gagner du temps ! » répond du tac au tac un homme en riant. Bingo : en déposant un recours administratif dans le délai imparti (jusqu’à deux mois après la délivrance de l’autorisation du projet), les délais de procédure sont rallongés. L’administration a deux mois pour vous répondre, puis vous avez encore deux mois pour saisir le tribunal administratif. De quoi avoir davantage de temps pour « rassembler les pièces et rédiger la requête », souligne l’association Notre affaire à tous dans son guide.
3 – Déposer un recours contentieux
Si l’administration ne vous répond pas, ou qu’elle vous répond défavorablement, vient alors l’étape du tribunal. Pour cela, vous allez envoyer une « requête », pour saisir le juge administratif. Deux types de recours peuvent être engagés : celui « pour excès de pouvoir » (dans le cadre d’une demande d’annulation d’un permis de construire, par exemple) ou celui « de plein contentieux » (lorsqu’on essaye d’obtenir une indemnisation suite à un préjudice). « Le recours le plus utilisé par les militants écolos est généralement celui pour excès de pouvoir », dit Céline Le Phat Vinh. Il ne nécessite toujours pas la présence d’un avocat — contrairement au recours de plein contentieux — même si, à ce stade, elle est vivement conseillée.
La procédure est principalement écrite. Il faut présenter un mémoire ou un courrier, où vous développez vos arguments. Dans le cas de projets polluants, les arguments à présenter devant le juge administratif semblent aller de soi : impacts sur la santé, sur les sols, les animaux, etc. Ces derniers peuvent d’ailleurs être piochés dans les rapports des autorités environnementales sur le projet visé.
Mais il est possible de mobiliser d’autres arguments : des « moyens de légalité externe » (vice de forme, vice de procédure…) ou des « moyens de légalité interne » (violation directe de la loi, erreur sur la qualification juridique des faits, détournement de pouvoir…) par exemple. Notre affaire à tous recommande d’ailleurs d’inscrire au moins un argument de fond et un argument de forme dès l’étape du recours gracieux.
« Une partie “conclusion” doit figurer à la fin du mémoire afin d’effectuer une liste des demandes (par exemple : demande l’annulation de l’arrêté du préfet untel, en date du tant, portant sur…), rappelle Notre affaire à tous dans son guide. Cette partie est très importante. Passé le délai de recours contentieux, elle ne peut pas être modifiée. »
4 – S’entourer
Comme le dit le dicton, l’union fait la force. Pour qu’un recours ait davantage de poids, que ce soit à l’étape du recours administratif ou à celle du recours contentieux, il est recommandé de multiplier les requérants. « La première chose à faire, c’est de trouver des personnes qui ont un “intérêt à agir” », conseille Céline Le Phat Vinh. En clair, vous devez chercher des personnes qui seront concernées par le projet contesté, par exemple celles habitant à proximité.

Des associations peuvent également s’ajouter au recours. Mais pas n’importe lesquelles. « Il faut que leur objet associatif ait à voir avec le projet », précise la juriste de Notre affaire à tous. La défense de l’environnement, des animaux ou la lutte contre les pollutions doit par exemple apparaître dans les statuts des associations. Par ailleurs, dans le cas des projets d’urbanisme, les tribunaux n’acceptent que les recours d’associations « anciennes », créées avant le dépôt du projet qu’elles attaquent.
Enfin, tous les requérants doivent avoir une « capacité à agir » : être majeur, si c’est un particulier qui agit, ou être une association déclarée avec une personnalité morale. Tous ces éléments doivent être expliqués clairement lors de l’écriture du recours.
Une dernière subtilité : les requérants du recours administratif doivent impérativement être les mêmes que ceux du recours contentieux. Dans le cas contraire, le juge administratif est susceptible de rejeter la demande sans même étudier les arguments.
5 – Et ensuite ?
Vient ensuite le moment des échanges de mémoires, où l’administration se justifie et répond aux arguments juridiques, et où vous pouvez répondre par un nouveau mémoire. « Puis le juge clôt l’instruction et fixe une audience à l’issue de laquelle il tranche le litige et peut décider d’annuler la décision », explique Notre affaire à tous dans son guide. En tout, l’ensemble de la procédure peut durer un à deux ans.
C’est la raison pour laquelle la loi propose, en cas d’urgence, des procédures comme le référé-suspension. Il s’agit d’une procédure d’urgence dans laquelle le juge administratif tranche le litige en quelques semaines, en attendant la décision du juge du recours contentieux principal. « La requête peut être effectuée en ligne ou être déposée auprès du greffe du tribunal administratif concerné », précise Notre affaire à tous.
« Et même que, parfois, on gagne ! » s’est réjoui en rigolant Me Samuel Delalande, avocat au barreau de Rennes, lors d’une des tables rondes aux Résistantes. De nombreux collectifs revendiquent chaque année des « victoires juridiques ». D’où l’intérêt grandissant des luttes écolos pour cette question du droit.