Tuto : 4 idées pour créer une alternative aux projets écocides

Aux Résistantes, sur le plateau du Larzac, le mouvement antinucléaire s’est réunifié. Ici, le 6 août 2023. - © David Richard / Reporterre
Aux Résistantes, sur le plateau du Larzac, le mouvement antinucléaire s’est réunifié. Ici, le 6 août 2023. - © David Richard / Reporterre
Durée de lecture : 7 minutes
Comment les opposants aux projets écocides proposent-ils des alternatives, plus viables et désirables ? Voici la recette en quatre étapes.
Cet article est le premier de notre série « Tuto des luttes », issue de conférences et de formations qui se déroulaient du 3 au 6 août dans le Larzac, aux Résistantes, un évènement réunissant près de 150 collectifs des luttes locales de France.
« Mais que voulez-vous faire alors ? » Combien de fois les militants ont-ils entendu cette question ? « Anti-tout » et rabat-joie, les écolos n’auraient d’autres perspectives que l’obstruction systématique et le retour à la bougie. « S’opposer aux projets écocides, c’est déjà beaucoup, rappelle Anne, qui combat un projet de centre commercial dans le pays de Gex (Ain). Mais on peut être force d’opposition ET force de proposition. »
Comme son collectif, Poterie riposte, nombre de luttes locales construisent désormais des alternatives. Une ferme maraîchère à la place d’un centre commercial, un groupement forestier coopératif au lieu d’une coupe rase, un lieu d’accueil ouvert à tous plutôt qu’un projet immobilier. Aux Résistantes, sur le Larzac, un atelier s’est ainsi concentré sur la stratégie du « contre-projet ».
Voici quelques ingrédients à ne pas oublier pour une bonne recette alternative.
1. Faire participer les habitants... et les experts
Poterie riposte est né en 2020, quand les habitants de Ferney-Voltaire, dans l’Ain, ont découvert un projet de méga centre commercial, en bordure de leur ville. En parallèle des recours juridiques, « la question du projet alternatif s’est posée très vite, car tout le monde nous demandait sans cesse : mais que voulez-vous faire à la place ? » se rappelle Anne. Le collectif s’est alors adressé à un architecte, allié de la lutte. Des ateliers participatifs ont ensuite permis de dessiner les contours d’un projet alternatif. « C’est vraiment parti des habitants, entre 30 et 100 personnes au total », précise Marion, membre du groupe.
Au bout de quelques mois, l’alternative a pris forme : un quartier renouvelé, avec des activités artisanales, des petits commerces, des services de proximité, un parc et des jardins partagés. « Ce contre-projet nous a donné de la force pour nous opposer, dit Christine. Nous avions une proposition claire, légitime car portée par des dizaines de citoyens. » Début juillet, la bonne nouvelle tombait : le promoteur se retirait du projet, compromettant sérieusement sa réalisation.

2. Partir du territoire et de ses ressources
À Notre-Dame-des-Landes, la construction d’alternatives s’est épanouie en parallèle — et en complément — de la lutte contre l’aéroport. C’est ainsi qu’est né Abracadabois, un groupe qui gère aujourd’hui de manière collective plus de trente hectares de forêt. L’idée a germé en 2014. Deux ans après l’opération César, qui avait échoué à expulser les zadistes, il s’agissait de construire en dur. Pour « s’établir dans la durée ».
« Nous avons commencé à exploiter le bois de la forêt de Rohanne, avec des pratiques forestières alternatives », dit Michel. Futaie irrégulière plutôt que coupe rase, débardage du bois avec des chevaux, pour ne pas tasser les sols avec de gros engins… « Revendiquer un rapport paysan au territoire, vivre de ses ressources, c’est ça l’anticapitalisme », ajoute le militant.
Abracadabois a non seulement « servi matériellement la lutte », en fournissant du bois pour les maisons et le chauffage, mais le groupement a aussi permis d’incarner cet autre mode d’habiter, ancré dans le bocage, que promouvait les anti-aéroports.
Une initiative similaire a été menée dans le Morvan. L’association Adret-Morvan, qui lutte contre les coupes rases dans cette région, s’est alliée avec le groupement forestier du Chat sauvage. Ensemble, ils gèrent désormais plus de 200 hectares et ont recréé une filière locale du bois.
3. Se réapproprier un projet pour lui donner du sens
En Ariège, une filiale d’Engie entend construire quatre éoliennes, sur la commune de Cintegabelle. Un groupe d’habitants a pris le parti de se réapproprier le projet : avec l’aide d’Enercoop Midi-Pyrénées, ils ont ainsi créé une coopérative de production d’énergie renouvelable, les Énergies d’Aganaguès. À force de plaidoyer, « ils ont peu à peu pris de la place dans le projet d’Engie Green, à tel point que l’entreprise a fini par signer un partenariat avec le groupe », explique Tatiana, d’Enercoop.
Une des quatre éoliennes sera donc gérée de façon indépendante, par les citoyens, afin que « les bénéfices économiques, environnementaux et sociaux profitent directement à l’ensemble de la basse vallée de l’Ariège ».
Certains ont critiqué une forme d’instrumentalisation. « Il faut faire attention à ne pas devenir le faire-valoir de l’entreprise, concède Tatiana. Mais il peut être intéressant de réorienter les projets, quand ceux-ci peuvent faire sens. »

« La récupération de nos contre-projets est un vrai risque », pointe aussi un militant guyanais. Ainsi, dans le village Prospérité, près de Saint-Laurent-du-Maroni, les habitants kali’na avaient imaginé un projet d’« autonomisation du territoire autochtone », avec des serres maraîchères, une pépinière. Or « l’entreprise Hydrogène de France a proposé la mise en place de ce projet “en compensation” des dégâts occasionnés par la construction d’une immense centrale électrique sur la commune », constate l’activiste avec amertume.
4. Passer du local au bassin de vie
D’après une enquête réalisée en 2021 par le sociologue Kévin Vacher, la moitié des collectifs en lutte mettent en œuvre des contre-projets, même s’il ne s’agit d’une action « cruciale » que pour 15 % des enquêtés.
Ces initiatives sont en effet « souvent chronophages et demandent de l’expertise », pointe le chercheur. La construction d’un projet alternatif n’est ainsi pas une priorité pour les opposants, elle vient plutôt ensuite, en soutien du combat, pour lui donner une légitimité, relancer sa médiatisation ou participer à la sensibilisation du public.
« Il ne faut pas fonder trop d’espoir sur ces alternatives, dit aussi Michel, d’Abracadabois. Elles ne font pas le poids sur la balance. » Un groupement forestier coopératif n’est pas grand-chose au regard de la puissante industrie sylvicole. L’installation de quelques dizaines de paysans semble si petite comparée au rouleau compresseur de l’agrandissement et de l’accaparement des terres agricoles.

À moins que… « Peut-être qu’en sortant de l’échelle locale, et en construisant des contre-projets à l’échelle d’un territoire, on peut sortir de l’impasse », dit Pierre, un militant qui a longtemps lutté à Bure (Meuse), contre le nucléaire. Son exemple ? Le Syndicat de la montagne limousine, « créé par et pour celles et ceux qui [y] vivent ».
Au sein de ce collectif, les habitants se sont fixé des « perspectives communes » — relocaliser l’usage des ressources du territoire, permettre l’accès à la terre et au logement pour toutes et tous, mettre en place un droit d’asile local — et mettent peu à peu en place les outils pour y parvenir.
Le mouvement municipaliste promeut aussi cette voie. En France, le groupe Nantes en commun porte cette réappropriation du pouvoir habitant à l’échelle d’un bassin de vie, à travers un bar associatif, un fournisseur local d’énergie ou la culture de terres communes.
Comme l’écrivait Kévin Vacher dans son étude, ces contre-propositions permettent de « dépasser la critique locale et légitime des projets et de donner corps à des visions politiques plus globales et complètes ».