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ReportageAlternatives

Résistantes : nos temps forts du sommet des luttes locales

Du 3 au 6 août, 150 collectifs des luttes locales ont convergé au Larzac pour échanger et s’organiser. Présents ur place tout au long de ce rassemblement historique, les journalistes de Reporterre vous en racontent des moments marquants.

Du 3 au 6 août, près de 150 collectifs des luttes locales de France se réunissent au Larzac. La rédaction de Reporterre était sur place pour vous faire vivre ce rassemblement historique.



La Couvertoirade (Aveyron), reportage

En cinq jours dans l’Aveyron, la rédaction de Reporterre a eu le temps d’arpenter les champs et chapiteaux des Résistantes, de rencontrer une foule de personnes et de vivre autant que d’assister à une multitude de scènes. Toutes ne se prêtaient pas à un sujet, à un entretien, à un reportage à part. Et pourtant, il aurait été dommage de quitter le Larzac sans restituer ces moments aussi révélateurs que marquants du lieu où l’on se trouvait.

© David Richard / Reporterre
  • Des conditions météo bien particulières

« Évidemment aujourd’hui on ne se rend pas tellement compte du dérèglement climatique, quand on regarde juste la météo dans laquelle on est… » Si l’eurodéputée écologiste Marie Toussaint a eu une remarque ironique lors d’une conférence de presse, c’est parce que les températures estivales n’ont pas (du tout) été de la fête, sur le plateau du Larzac.

« N’oubliez pas de prendre des vêtements légers et de la crème solaire », nous avaient pourtant dit quelques habitués de la région. Que nenni ! Nous avons été accueillis par des averses et, surtout, par de violents coups de vent.

Ces conditions ont permis des scénettes mi-comiques mi-embarrassantes, du rideau cachant les toilettes sèches qui se soulève au mauvais moment, au barnum abritant la rédaction de Reporterre qui menace de s’effondrer. Résultat : nous voilà relogés dans une camionnette secouée par les bourrasques, à écrire nos articles avec une envie pressante.

Grand vent et couches de vêtements

Mais toutes ces mésaventures n’ont pas douché notre motivation, et encore moins celles des participantes et participants aux Résistantes. Pendant quatre jours, on a aperçu des corps qui se serraient sous les chapiteaux, réchauffés par les réflexions vivifiantes des tables rondes ; des looks approximatifs composés de couches de vêtements superposés de façon aléatoire — les journalistes de Reporterre n’ont pas fait exception — ; et des danses endiablées la nuit venue.

Après tout, comme l’a fait remarquer une bénévole : quelle autre météo aurait pu correspondre à des militants en lutte pour un nouveau monde ? « Nous aussi, nous sommes le vent qui se lève. »

Le premier parking et le premier camp à l’entrée du festival, derrière une rangée de toilettes sèches (à gauche) et de douches solaires (à droite). © David Richard / Reporterre

  • La carte des luttes, enfin en version papier

Elle est arrivée un peu en retard. Mais ouf, le vendredi 4 août, les cartons étaient enfin là. À l’intérieur, 3 000 exemplaires de la carte des luttes de Reporterre version papier. Le résultat de plusieurs mois de travail avec le collectif A la Criée.

L’enjeu était de taille. Comment représenter 600 luttes locales se battant contre des projets aussi divers que des autoroutes, des extensions d’aéroports ou des mégabassines ? Comment montrer les liens entre ces collectifs et associations ? Comment traduire sur le papier un objet numérique sans cesse mis à jour depuis 2019 ? Au final, nous avons choisi de créer une carte artistique représentant une constellation de combats écologiques de notre temps. L’Hexagone n’est pas dessiné de façon figurative pour mieux intégrer les Outre-Mer.

Le grand vent du plateau n’a pas entamé la détermination des militants. © David Richard / Reporterre

On aurait aimé épingler cette carte sur les cloisons en plastique de notre chapiteau, mais les violentes rafales de vent en ont décidé autrement. Elle est donc restée sagement plaquée sur une table, où les participantes et participants des Résistantes pouvaient l’examiner minutieusement.

Un véritable jeu de piste pour retrouver le nom d’un collectif parmi les slogans de lutte, les dessins d’espèces menacées ou les phrases extraites de nos articles. Elle a semblé séduire les plusieurs centaines de personnes qui sont parties avec et avec pour dessein de l’accrocher, bien souvent… dans leurs toilettes ! Pour celles et ceux qui n’étaient pas présents, patience : elle sera de nouveau en vente lors de prochains évènements. Et restera, on l’espère, un document témoin de la vitalité des luttes écologiques de l’époque.


  • Prendre soin les uns des autres

Trois jeunes filles avancent d’un pas hésitant, à la queue-leu-leu. « On lève la jambe gauche ; maintenant la droite ! » À leurs pieds, deux planches parallèles, sur lesquelles sont attachées leurs chaussures. Une sorte de ski à trois, pour apprendre la coopération… et s’amuser. Bienvenue à la Bambinerie, une garderie auto-gérée, pour les enfants venus aux Résistantes. Tipi-bibliothèque, atelier de fabrication d’arcs, poterie. Pendant que les bambins s’amusent, les parents — notamment les mamans — peuvent suivre conférences et tables-rondes.

Des espaces de repos et de détente ont été aménagés pour faire des pauses entre deux conférences. © David Richard / Reporterre

La Bambinerie fait partie des multiples espaces prévus pour « prendre soin » des participants et participantes au rassemblement. Une place particulière a ainsi été donnée à la lutte contre les oppressions : prévention contre les violences sexistes et sexuelles, tente handi/dévalidiste, « village du soin » avec des espaces calmes « pour décompresser », équipe de veilleureuses « pour assurer la sérénité » de l’événement. Et un tas d’ateliers et de formations autour de la gestion des conflits, de la joie militante ou des questions de genre.

Sans être inédite, une telle attention au soin n’est pas encore si répandue dans les rassemblements écolos et paysans. Un vent revigorant pour les luttes. Car, comme le dit le programme des Résistantes, il s’agit d’ « incarner le monde que nous voulons ».


  • Des ambivalences du rapport à la science

Les mille nuances idéologiques des militants, leurs paradoxes et contradictions, font le charme broussailleux de l’écologie politique. On a retrouvé sur le camp ces dynamiques ambivalentes, et notamment dans le rapport à la science.

Côté pile, les étals de la librairie participative qui accordent une place de choix aux ouvrages de Didier Raoult, Idriss Aberkane et autres tenants de théories faisant peu de cas de la rigueur scientifique. On peut y ajouter les affirmations péremptoires, en plein reportage, de nos témoins soudainement pris du besoin impérieux de nous informer des dangers mortels des vaccins, ou s’interrogeant sur la manière dont les traînées de condensation des avions seraient en réalité des épandages chimiques (« chemtrails » pour les adeptes de cette théorie) visant à modifier le climat.

Du nucléaire aux stratégies de lutte en passant par la création d’enquêtes scientifiques militantes, les discussions et débats ont rythmé les Résistantes. © David Richard / Reporterre

Côté face, les débats fascinants de chercheurs et « scientifiques en rébellion » sur la manière dont la science peut « armer » la lutte par les connaissances, et comment elle peut effectivement être détournée par les industriels, au service de projets écocidaires.

Ou ces rencontres nocturnes fortuites, entre deux raps de Vincent Verzat, avec des climatologues militants, qui nous expliquent quelques subtilités insoupçonnées de l’effet de serre, qui tiendrait en réalité davantage d’un « effet couette ». On en ressort avec pas mal d’enthousiasme, et l’espoir de voir davantage de bouquins de ces chercheurs sur les étals militants, et un peu moins de certains autres…


  • Danser la révolte

La terre du Larzac a tremblé, vendredi 4 août. Aucun séisme à incriminer, mais les pieds des participants au « Bal Trad » des Résistantes. Après une journée intense en tables-rondes, débats et formations, une centaine de militants se sont retrouvés pour enchaîner, au son de l’accordéon, brise-pieds, scottish, an dros et champenoises.

Vétérans ou néophytes des danses traditionnelles, jeunes ou âgés, timides ou assurés, tous ont battu le sol en écoutant Les Tabanards chanter leur éco-anxiété et leur dégoût du capitalisme. Les jambes se sont croisés, les paumes se sont jointes, et les petits doigts se sont entremêlés pour dessiner, ensemble, des arcs de cercle dans l’atmosphère.

Sous ou en dehors des chapiteaux, les Résistantes étaient remplies de danses. © David Richard / Reporterre

Un visiteur extérieur aurait peut-être trouvé tout cela étrange. Mais après des heures à parler de la surveillance numérique, des fermes-usines et de la destruction du vivant, il était vivifiant de voir des inconnus danser ensemble. Retrouver de la joie, créer du lien, jouir de plaisirs simples, inventer un espace où les corps s’expriment librement et figurer, via la fête, le monde pour lequel on se bat.


  • Démissionner du patriarcat

« J’ai eu le triste privilège de faire mon service militaire, murmure Simon, au chapeau-melon fleuri. La mentalité, là-bas ? Les femmes doivent faire bobonnes à la maison. » Il s’interrompt un instant, le souffle saccadé : « Et j’ai été incapable d’ouvrir ma gueule contre ça. »

Le 5 août au matin, les corps serrés dans la paille ou sur de petits bancs, une centaine d’hommes ont raconté le moment où ils avaient pris conscience de leur masculinité, et les freins qu’ils rencontraient pour « démissionner du patriarcat ».

« La notion de déconstruction me fout une peur bleue », lance l’un d’eux. « L’école m’a conditionné à oublier mes besoins d’amour et d’émotion pour privilégier l’endurcissement et la quête de reconnaissance », enchaîne un autre. La voix tremblotante, Thomas décrit lui son « insupportable blocage », l’empêchant de réagir aux remarques graveleuses du trentenaire l’ayant embarqué en auto-stop.

« Renoncez à tout comportement intimidant »

Dissimulée dans la cohorte, une femme lui rétorque : « Un jour, au boulot, j’ai osé me lever. Et à mon grand étonnement, ceux qui la veille riaient faussement aux blagues sexistes m’ont aussitôt soutenu. » Elle sourit, et d’un haussement d’épaule, ajoute : « Et puis, au pire, que risques-tu ? Qu’il te lâche au bord de la route. Crois-moi, tu parviendras à poursuivre ta route. »

La fin de l’atelier approchant, les rares femmes de l’assemblée masculine ont finalement endossé la tâche d’apporter des solutions : « Si vous n’avez pas la force de dire votre dégoût, partez ! » ; « Surtout, renoncez à tout comportement intimidant. Ça nous terre dans le silence » ; « Et puis, mince, au boulot maintenant ! »

Les équipes de bénévoles dédiées au soin et à la vigilance sur le camp ont fait le bilan de leur veille à l’assemblée de clôture. © David Richard / Reporterre

  • Faire grandir un imaginaire joyeux

Chapiteau débordant de monde, pensées phosphorescentes, désaccords et applaudissements, panne d’électricité générant des discussions chaleureuses entre une myriade de groupes de voisins… le débat « Mener la bataille des imaginaires », sous la toile bleue de la Salamandre, vendredi 4 août, a été un des plus roboratifs de quatre jours formidablement stimulants. L’éditrice Juliette Rousseau, la comédienne Audrey Vernon, le youtubeur écolo Vincent Verzat ont fait voltiger les idées sous la houlette du journaliste Philippe Vion-Dury.

Problème de base posé par Juliette Rousseau : « L’imaginaire dominant nous dit :“Il y a une catastrophe et il n’y a rien à faire.” » D’où l’urgence de faire éclore un horizon joyeux, donnant un débouché aux luttes et pouvant entraîner une société matraquée par l’imaginaire de la publicité et de la consommation.

« Le monde a besoin de guérison »

Quelques pistes ont émergé : « Le monde a besoin de guérison », dit Juliette Rousseau, « il faut repérer ce qui est blessé, comment ça se répare, prendre soin ». Pour Vincent Verzat, « il faut célébrer le fait que je suis en vie, qu’une bataille pour empêcher une route fait vivre le putois, et se projeter dans le maintenant, développer un imaginaire de l’habitabilité ».

Observant qu’en douze ans de représentations de son spectacle, Comment épouser un milliardaire, le public accepte maintenant son approche radicale beaucoup plus facilement que naguère, Audrey Vernon a proposé de « découvrir l’imaginaire des peuples autochtones, qui vivent sans argent, sans smartphone, dans la nature ».

Pour beaucoup, en plus des temps de réflexion et d’organisation, les Résistantes étaient aussi un grand moment de camaraderie. © David Richard / Reporterre

« Il faut qu’on ait besoin les uns des autres », a rebondi Juliette Rousseau, alors que la société est si riche que chacun peut vivre aujourd’hui pour soi. Et « apporter de la beauté », a dit une femme dans la salle.

Un imaginaire a-t-il émergé ce jour ? Non. Mais la nécessité de dessiner l’image d’un monde désirable et joyeux est apparue comme une composante indispensable de la lutte écologique.




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