Virée à bord d’un véloto, une voiture électrique… à pédales

Le véloto expérimenté par l'association In'VD est une alliance entre un vélo et une voiture électrique. - © David Richard / Reporterre
Durée de lecture : 9 minutes
La voiture reste reine dans les campagnes. En Aveyron, l’association In’VD expérimente des alternatives à l’auto. Parmi les pistes les plus prometteuses : le véloto, un vélo-voiture électrique à pédales.
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Millau (Aveyron), reportage
Dans les rues tranquilles de Millau, l’engin intrigue. Quatre roues à rayon, un guidon, des pédales… le tout entouré d’une carrosserie en bois et en plexiglas vert pomme. « Maman, regarde, un drôle de vélo ! » lance un garçonnet. « Un véloto », corrige Hélène Jacquemin, tout sourire. Depuis deux ans, la pétillante quinquagénaire roule tous les jours dans cette « bestiole » — comme elle la nomme affectueusement : « Plus besoin de voiture, c’est devenu mon véhicule principal ! »
À ses côtés, Michel, son compagnon, complète : « Avec l’assistance électrique, on peut aller jusqu’à 45 km/h et parcourir une soixantaine de kilomètres à deux avec des bagages. » Surtout, le quadricycle grimpe vaillamment les 600 mètres de dénivelé qui séparent le domicile des Jacquemin de la cité aveyronnaise. Infatigable, le couple continue d’avaler les kilomètres (déjà 20 000 au compteur) boosté par une certitude : « Il faut développer des mobilités peu énergivores adaptées au milieu rural. »

Adepte de la petite reine électrique, le sexagénaire pédale depuis plus de quinze ans sur les routes aveyronnaises. « Quand j’essayais de convaincre les gens de s’y mettre, on m’opposait quatre arguments, se rappelle Michel Jacquemin . “J’ai des enfants et des courses” ; “Il pleut et il fait froid” ; “Je ne suis pas à l’aise sur deux-roues” ; “Je n’ai pas le temps”. » Il y a quatre ans, il a donc imaginé avec des amis cyclophiles le véhicule idéal, capable de concurrencer la bagnole : quatre roues, deux places, un coffre, une vitesse de 45 km/h avec une batterie électrique, carrossable. « On voulait trouver le chaînon manquant entre le vélo de 20 kg et la voiture d’1 tonne », dit Michel Jacquemin.
Le cahier des charges élaboré, il a ensuite fallu trouver un constructeur intéressé par leur projet un peu fou. QBX, un fabricant de quadricycles audois, s’est pris au jeu. Après plusieurs tests, les premiers prototypes ont débarqué à Millau fin 2021. « Personne n’avait vraiment fait ça avant, on était pionniers », explique Michel Jacquemin. Depuis, ces « véhicules intermédiaires » ont gagné du terrain.

Des alternatives à la voiture en milieu rural
Les rues de Millau ont ainsi pris des allures de cité futuriste. On y croise, pêle-mêle des vélos — électriques ou pas —, des vélocargos et des « long bikes » dotés de porte-bagages imposants, mais aussi des quadricycles électriques. La plupart de ces engins sont mis à disposition par l’association In’VD — pour Innovation véhicules doux — créée par Michel, Hélène et leurs compagnons de bicyclette.
Grâce à des subventions, l’association a en effet pu acquérir ou louer une flotte de véhicules intermédiaires en tout genre, avec un double objectif : « Faire expérimenter des alternatives à la voiture aux habitants, et tester ces nouveaux véhicules, souvent à l’état de prototypes, pour voir s’ils sont bien adaptés à nos milieux ruraux et montagneux », résume Hélène Jacquemin. Car les nouvelles solutions de mobilité sont bien souvent pensées pour la ville. « La ruralité est la grande oubliée du marché des constructeurs », ajoute la cycliste chevronnée. La plupart des moteurs de vélo électrique (VAE) offrent par exemple une puissance de 250 watts, quand il faut un minimum de 1 000 watts pour les quadricycles pensés par In’VD.

Le défi est de taille, tant les campagnes françaises ont été aménagées pour l’automobile. Plus de 80 % des trajets s’y font ainsi en tacot, et neuf ménages en emploi sur dix possèdent au moins un véhicule. « Les ruraux vivent dans des territoires dépendant structurellement de la voiture, explique Marie Huyghe, consultante en mobilités. Leur quotidien est construit autour de cet outil, ce qui est accentué ces dernières années par la raréfaction des commerces et des services, et la concentration des emplois dans les villes. »
Peu de transports collectifs, des déplacements de plus en plus longs… Dans l’Aveyron, « beaucoup de gens vivent dans des endroits où il n’y a absolument aucune alternative à la voiture », constate aussi Clara Steyer, en charge du dossier mobilités au Parc naturel régional des grands causses. Et les « vélotaffeurs » se comptent sur les doigts d’une main.
Des freins tenaces
Tout en pédalant sur la départementale, un œil rivé sur son rétroviseur, Hélène Jacquemin développe : « À la campagne, il y a bien souvent trois enjeux à combiner, la distance à parcourir, le dénivelé à grimper et la durée de trajet. Si j’ai 20 km à faire avec 200 mètres de dénivelé et 30 min maximum pour le parcourir, il me faut une solution qui corresponde. » D’où le travail d’In’VD, en étroite collaboration avec des chercheurs et des constructeurs.
Parmi les véhicules en cours de test, une curieuse voiturette électrique italienne, de la marque Biro. Mais après quelques kilomètres sur les routes en lacet, Pierre-Yves de Boissieu claque la porte, pas convaincu : « Elle ne tient pas assez bien la route, et son coffre est trop petit, c’est un véhicule urbain, pas pour ici », conclut le septuagénaire, qui pédale plusieurs fois par semaine pour parcourir les 10 kilomètres séparant sa maison de Millau.

Peu de véhicules écolos répondent aujourd’hui aux besoins des ruraux. Et quand des prototypes paraissent concluants, la route est encore longue avant leur déploiement commercial. « Le processus d’homologation pour ces véhicules intermédiaires est beaucoup plus long et complexe que pour les vélos, dit Michel Jacquemin. Il faut compter a minima 200 000 euros et deux ans de travail d’ingénieur. »
À l’arrivée, le prix des engins est ainsi bien souvent prohibitif — plus de 16 000 euros pour la voiturette italienne testée par Pierre-Yves. « La grosse difficulté, confirme Marie Huyghe, c’est que les industriels de l’automobile ne veulent pas s’engager dans le développement de véhicules intermédiaires, car ce n’est pas assez rentable. » Résultat, selon Alexandre Fabry, qui suit les questions de mobilité au sein du Centre d’études et d’expertise sur l’aménagement (Cerema) : « Même s’il y a un potentiel énorme, les véhicules intermédiaires ne s’inscrivent pas encore comme une solution que l’on pourrait massifier. »
Développement massif ou marché de niche, « tout dépendra des soutiens apportés par les politiques publiques pour aider la filière à passer à l’échelle industrielle, de l’engouement du public, et des contraintes globales comme le prix des carburants », prévoyait le chercheur Aurélien Bigo, interrogé en 2022 par Reporterre. Las, nombre de collectivités « manquent d’ambition » pour sortir du tout-voiture, constate Marie Huyghe. En cause, notamment, des moyens financiers assez limités : « Il y a bien le plan vélo du gouvernement, des appels à projets de l’Ademe, du Cerema. Mais ce sont souvent des aides fléchées pour un projet précis, pour quelques années, qui ne permettent pas de développer une véritable stratégie. »
Une alternative à pousser
Autre frein — et non des moindres — au déploiement de ces alternatives : « Il y a beaucoup d’idées reçues sur le vélo à la campagne, dit Thomas Lesay, éleveur de brebis sur le Larzac et vélocipédiste convaincu. Les gens ont peur, ils pensent que c’est trop physique ou beaucoup plus long que la voiture. » Pour lever ces blocages, l’association In’VD propose donc des « semaines sans voiture » à des collectivités.
En 2019, le village de Saint-Beauzély, à 16 kilomètres de Millau, s’est prêté au jeu. « Pendant une semaine, on a mis à disposition une voiturette électrique, une dizaine de vélos électriques, une remorque à assistance, se rappelle Olivier Luspin, paysan distillateur sur la commune, et ancien conseiller municipal. Le ramassage scolaire pour l’école municipale s’est aussi fait en calèche. » Côté pile, « pas mal de gens se sont rendu compte qu’ils pouvaient, en étant bien équipés, prendre le vélo avec leurs enfants sur les petites routes, et plusieurs personnes se sont ensuite équipées de VAE ». Côté face, « il n’y a pas eu de bouleversement, les habitants prennent encore beaucoup leur voiture », regrette-t-il.
Hors des agglomérations, la révolution de la petite reine prendra donc du temps. « Il n’y a pas — et il n’y aura pas — une seule alternative à la voiture individuelle, mais un bouquet de solutions », estime Alexandre Fabry. Autopartage, covoiturage, transports en commun… et véhicules intermédiaires ? « Ils sont encore en pleine émergence, estime Clara Steyer, du PNR des grands causses, qui soutient l’action d’In’VD. Ils ne sont pas encore suffisamment développés et accessibles, mais il faut les pousser. »

Un avis partagé par Marie Huyghe : « Les véhicules intermédiaires souffrent d’un déficit de sérieux, on ne les considère pas comme une alternative réelle. C’est pourquoi il est essentiel de les faire rouler et de les faire tester : plus on verra sur les routes autre chose que des gens seuls dans leur voiture, plus on se dira “C’est possible de faire autrement”. »
Un message reçu cinq sur cinq par la petite troupe d’In’VD. L’association a plus d’un tour dans ses sacoches : kits « Roultoudou » pour exporter le concept de « la semaine sans voiture », documentaire sur les alternatives à l’auto en Aveyron, expérimentation sur les mobilités inclusives, pour les personnes en situation de handicap... Sur le parking à la sortie de Millau, Michel et Hélène Jacquemin enfourchent leur « bestiole », pour regagner leur maison, à Castelnau-Pégayrols. Plus de 600 mètres de montée, 20 km, et une grosse demi-heure de trajet. « En voiture, on mettrait 25 min, mais ce serait bien moins agréable, lance Hélène, en désignant d’un geste de la main les causses alentour. Avec un véloto, on consomme 25 fois moins d’énergie, et avec le plaisir en plus. »