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À 15 ans, elle écrit pour que le monde n’oublie pas la forêt amazonienne

« On ne cesse de dire que je suis une source de vie, et pourtant on me déracine » : une adolescente a écrit un plaidoyer pour la forêt amazonienne.

« On me déracine, on me brûle… Je ne suis plus que restes morcelés ». Dans cette tribune, une adolescente de 15 ans appelle à sauver la forêt amazonienne détruite par la cupidité humaine.

Es Saki Ghita, 15 ans, est lycéenne. Elle aime écrire, car « c’est une façon d’extérioriser ce que l’on ressent au plus profond de soi-même », et espère que ses mots pourront susciter chez les autres de l’émotion et le désir de dénoncer la destruction cupide du vivant.


Je suis riche, mais je m’appauvris. Des millions de fleurs, d’animaux se reposaient autrefois dans mon ombre, ils ne sont plus que souvenirs réduits en cendres.

J’étais forte, mais je suis mourante. Pourtant je donne la vie aux plus petites fourmis comme aux plus grands dauphins roses.

Un seul accusé, un seul coupable. Il me prive de ma vie et fait disparaître progressivement tout mon être. Sans relâche, sans pitié…

On dit que chaque seconde, je perds environ dix-huit membres. Pourtant, j’existe encore.

Je suis toujours vivante, avec mes souvenirs de moments paisibles passés avec tout ce que j’aime. Vous savez ce que j’aime ? J’aime ressentir le vent entre mes derniers branchages, j’aime entendre le grand fleuve courir toujours plus vite vers l’océan, j’aime écouter le brouhaha des aras rouges qui ont chacun tant d’histoires à raconter.

Cela fait de nombreuses années que l’on me vole mes organes verts cupidement, sans que je puisse y faire quoi que ce soit. C’est assez ironique car on ne cesse de dire à quel point je suis une source de vie, à quel point je suis importante et que, sans moi, la vie serait un bien rare. Malgré cela, on m’abîme, on me déracine, on me brûle, on pollue même mon beau fleuve… J’étais une unité, maintenant je ne suis plus que restes morcelés.

« Je ne suis plus que restes morcelés »

Je ne peux pas m’enfuir. De toute façon, fuir n’est jamais la solution – tôt ou tard on finit toujours par vous retrouver. En fait, je pars au combat sans armes ni préparation. Vous imaginez un bébé puma partant seul à la chasse ? Eh bien, c’est ce que je vis.

Depuis 1960 je crois, on ne s’arrête jamais, jamais. Malgré le soutien de mes alliés puissants qui parlent en mon nom, qui se battent pour ma survie, je souffre encore et toujours… Des pays proches de moi ont bien décidé, le 8 août, de former une alliance pour me soutenir, mais sans demander de choses assez précises pour me soulager vite. Pourtant, on sait bien ce qu’il faudrait faire : arrêter de voler mon or, mon pétrole, de me transformer en champs de soja ou en pâtures de bœufs à hamburgers.

« Les machines tranchantes et assourdissantes font fuir les toucans »

Est-ce qu’un jour je pourrai avoir droit au repos ? Juste un peu, si ce n’est pas trop demander. Je rêve de regarder un lever du soleil tout en haut des falaises, car aujourd’hui je suis trop occupée à encaisser la douleur de ces machines tranchantes et assourdissantes qui font fuir les capybaras, les toucans et même les anacondas…

Je ne sais pas si je pourrai tenir encore longtemps, mais ce qui est sûr c’est que je vais finir malgré moi par lâcher prise d’un moment à l’autre, et c’est ce qui m’effraie le plus : disparaître complètement sans laisser de traces après un long combat contre la mort.

Heureusement, lorsque ce jour maudit arrivera, j’emporterai avec moi chacun de mes souvenirs. Je vous ai dit plus haut que j’en avais plein, certains que je garderai secrets, et d’autres que je partagerai avec vous.

« On sait bien ce qu’il faudrait faire : arrêter de me transformer en champs de soja ou en pâtures de bœufs à hamburgers. » © Cyril Ruoso / Biosphoto via AFP

Comme ces jours de pluies torrentielles qui rendaient mes longues mèches vertes trempées de bonheur. Ces animaux doux qui me chatouillaient en passant avec leurs griffes, leurs coussinets ou même leurs plumes. Ce vent qui faisait trembler tout mon corps. Oh et puis ces oiseaux colorés, avec toutes sortes de cris que j’arrive toujours à différencier. Et ces jaguars majestueux qui étaient mes chasseurs préférés…

Évidemment, je me souviens aussi de tous ces scientifiques, ces chercheurs, ces photographes que j’intrigue tellement qu’ils finissent tous par emménager chez moi.

Je me demande : quand j’aurai disparu, transformée sûrement en savane, vous souviendrez-vous encore de moi ? Vous souviendrez-vous de mon combat ? Dans vingt ans, est-ce que l’on parlera encore de cette bonne vieille forêt d’Amazonie ?

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