À La Réunion, on se bat contre la multiplication des fast-foods

Clara, infirmière scolaire et membre du collectif Goutanou, partage et présente des aliments «péi» (locaux) souvent oubliés des tables et garde-mangers réunionnais actuels. - © Ophélie Vinot / Hans Lucas / Reporterre
Durée de lecture : 4 minutes
Alimentation Santé LuttesFace à la multiplication d’enseignes de fast-food sur l’île de La Réunion, le collectif Goutanou appelle à défendre la cuisine créole traditionnelle au nom de la santé et de la culture locale.
Saint-Pierre (La Réunion), reportage
Dans la zone commerciale de Canabady, à Saint-Pierre, le ballet des voitures est dense en ce dimanche matin 3 septembre. L’ouverture des soldes sur l’île de La Réunion y contribue fort. Sous un soleil de plomb, annonçant le proche retour de l’été, plus de 200 personnes sont rassemblées en face de l’hypermarché.
Ici, on compte deux Burger King et deux Mc Donald’s dans un rayon de 500 mètres. Le lieu du pique-nique solidaire lancé par le collectif Goutanou n’a pas été choisi au hasard. « Il y a plus de fast-food à Saint-Pierre qu’à Paris, proportionnellement au nombre d’habitants. Ils ont été multipliés par deux en moins d’un an. Pareil, en proportion, on a trois fois plus de Burger King ici qu’en métropole », dit Alexis Chaussalet, porte-parole du mouvement lancé via un appel signé par 150 personnalités.

Devant l’atelier kuizine lontan (cuisine d’antan en créole), Didier écoute les conseils du chef Jacques Malet pour préparer des beignets de songes. « J’ai tenu un restaurant au Tampon pendant treize ans : carry poulet, rougail saucisse, espadon combava… on n’y trouvait que de la cuisine créole. Je servais midi et soir, puis McDo a débarqué à quelques kilomètres et je suis tombé dans l’oubli », raconte Didier. En 2010, son affaire n’était plus rentable, et il a été contraint de la vendre. « J’étais très en colère, ces fast-food, c’est une mode qui bouffe notre culture locale ! » déplore celui qui est aussi le papa d’Alexis Chaussalet, et a inspiré ce combat.
« C’est une mode qui bouffe notre culture »

Pour Cathy, ancienne prof d’éco-gestion et militante d’Attac, le problème vient du modèle : « Une colonisation alimentaire qui standardise les façons de consommer » et un « néolibéralisme qui avance à la sulfateuse ».
Elle dénonce un État complice, qui ne protège pas l’intérêt général. « Nous ne demandons pas la fermeture de ces enseignes, il faut bien coexister, mais on appelle à réguler le marché, à limiter le nombre de fast-food par habitant, par exemple ». Loin d’être moralisateur, Goutanou ne se dit pas anti fast-food. Le collectif a écrit aux vingt-quatre maires de l’île et attend une réponse des pouvoirs publics.

Plus loin, dans l’herbe, Aurélie Béton et sa famille savourent le carry poulet du grand-père, Jean-Luc. La célèbre animatrice télé et radio de La Réunion est venue participer à l’animation de l’évènement. « Valoriser notre culture c’est important et ça passe par la langue, la musique, et le bien-manger », dit cette fervente défenseuse de la culture créole.
Elle prépare elle-même les petits pots de ses jumelles de trois ans et constate que « le marketing des chaînes de fast-food est plus fort que celui des échoppes de carry à cinq euros. Eux misent sur l’animation, les toboggans, les couleurs vives… c’est ça qui attire les gens, alors que dedans ce n’est pas bon ! » s’agace Aurélie Béton.

L’autre argument phare de ces mastodontes, c’est l’emploi. Laurent abonde : « J’ai plein de proches qui ont trouvé du boulot dans ces fast-foods en un clin d’œil. Pour ces jeunes, qui sont tellement limités en termes de formation et d’emploi sur notre île, c’est une opportunité ».
Le collectif Goutanou, lui, dénonce des jobs précaires, des conditions de travail socialement inacceptables et, sur le long terme, la destruction des emplois locaux. En évitant soigneusement de culpabiliser la population, certains dénoncent aussi les répercussions sanitaires de cette alimentation transformée.

La Réunion compte le plus fort taux de diabète de France (10 %) et une part importante de personnes en surcharge pondérale (44 % des habitants en surpoids ou obèses). C’est parce qu’elle est confrontée à de plus en plus d’élèves en mauvaise santé que Clara, infirmière scolaire, a rejoint le collectif.
« La viande, les anciens n’en mangeaient qu’une fois par semaine ! »
Responsable de l’atelier nutrition elle défend une cuisine réunionnaise saine et cela malgré les critiques : « La vraie cuisine créole n’est pas trop riche, il y a des protéines et beaucoup de légumes. La viande, nos anciens n’en mangeaient qu’une fois par semaine ! ».

« Mais on a oublié, on a rajouté des graisses, augmenté les quantités… si on se remet à manger nos produits, selon nos traditions, un fast-food de temps en temps, ça restera un plaisir puisque tout est question d’équilibre », défend cette habitante du sud de l’île.
« On doit réapprendre à nos enfants ce que nous ont transmis nos mamans, sinon, on est morts », tranche Clara. « On voulait lancer un débat de société, c’est chose faite », sourit Alexis Chaussalet « et ce n’est que le début de l’aventure » promet le militant de l’Après, l’Alliance pour une Réunion écologique et solidaire.
Notre reportage en images :