À Toulouse, les éleveurs plein air manifestent pour leur survie

Les manifestants ont revêtu des combinaisons blanches comme celles portées dans les élevages intensifs. - © Emmanuel Clévenot/Reporterre
Les manifestants ont revêtu des combinaisons blanches comme celles portées dans les élevages intensifs. - © Emmanuel Clévenot/Reporterre
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Agriculture AnimauxForcés d’enfermer leurs volailles, une cinquantaine d’éleveurs plein air et d’écologistes ont manifesté jeudi 9 décembre à Toulouse. Ils estiment que l’État devrait plutôt lutter contre l’élevage industriel et sa responsabilité dans la propagation de la grippe aviaire.
Toulouse (Haute-Garonne), reportage
Battue par le vent d’autan, une nuée de drapeaux jaunes flotte dans le ciel nuageux de la ville rose. Emmitouflés dans leur manteau, devant les étals du marché Cristal, les passants lèvent la tête, interpellés par ce manège inhabituel. Jeudi 9 décembre, en fin de matinée, une cinquantaine de manifestants ont déambulé sur les grands boulevards de Toulouse. La Confédération paysanne et l’association France Nature Environnement entendaient ainsi interpeller les pouvoirs publics sur les conséquences de l’élevage industriel dans la propagation du virus de la grippe aviaire. « Ce système intensif est un château de cartes en train de se casser la gueule », alerte Sylvie Colas, éleveuse, banderole en main.
La veille du rassemblement, cinq foyers d’influenza aviaire hautement pathogène étaient détectés dans le département du Nord. Ils ont tous été localisés dans de grands élevages industriels, portant le nombre de spécimens concernés à plus de 280 000. Pour diminuer les risques de vague épidémique, trois arrêtés ministériels ont été publiés entre septembre et novembre. Ils obligent tous les éleveurs à enfermer l’ensemble de leurs animaux lorsque l’Hexagone se trouve en « risque élevé » de contamination. Tous, y compris les modestes producteurs de plein air.
- La Confédération payanne et France Nature Environnement ont organisé leur manifestation près du marché. © Emmanuel Clévenot/Reporterre
Une injustice, aux yeux de Sylvie Colas, qui considère que l’État se trompe de cible : « Avec ces nouvelles restrictions, mes poules doivent vivre chacune dans 50 cm² en intérieur, alors qu’elles disposaient toutes de 8 m², au soleil, sur un terrain arboré. Comment rester une honnête productrice de plein air ? » Une pétition a été lancée.
« Je risque deux ans d’emprisonnement »
Entouré par quelques policiers, le cortège poursuit sa route jusqu’à la cité administrative de Toulouse. Les manifestants y dressent alors un chapiteau, sous lequel deux amis de longue date tentent d’installer une table : « Puisque je te dis qu’elle n’est pas droite, s’agace le plus âgé. Plus t’es vieux, plus t’es con ! » Ils arrêtent de se chamailler quand une femme apporte des dizaines de boîtes d’œufs. Une omelette géante se prépare.
- Les deux hommes se chamaillent en installant la table où sera préparée l’omelette géante. © Emmanuel Clévenot/Reporterre
S’ils refusent de se plier aux nouvelles réglementations, les paysans s’exposent à des sanctions administratives et pénales : « On me considère comme une hors-la-loi, parce que je souhaite le bien-être de mes animaux. C’est scandaleux ! » Cécile élève une centaine de poules pondeuses en Ariège. Une pancarte « Céréales Killer » accrochée autour du cou, elle affirme être prête à enfreindre la loi pour laisser vadrouiller ses gallinacées. « Je risque deux ans d’emprisonnement pour diffusion volontaire d’épizootie, s’amuse-t-elle, désabusée. Ces mesures ne prennent même pas en compte les cahiers des charges des différents labels et ne cherchent pas à résoudre le problème. » Un problème qui prend sa source dans l’industrialisation de la filière, où uniformisation génétique, densité excessive et multiplication des transports favorisent les contagions.
- Cécile élève une centaine de poules pondeuses en Ariège et a décidé d’enfreindre la loi pour leur bien-être. © Emmanuel Clévenot/Reporterre
Aux alentours de 13 heures, la directrice adjointe de la Direction régionale de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt (Draaf) apparaît. Après quelques présentations cordiales, une petite délégation de paysans pénètre dans l’édifice imposant. Objectif : demander un moratoire sur l’application de l’arrêté du 29 septembre 2021 imposant la claustration obligatoire des volailles sans différenciation des types d’élevage.
« Leurs cheveux sentent la fiente tous les soirs »
Outre l’actualité de la grippe aviaire, les manifestants étaient également venus soutenir les habitants de Lescout, village du Tarn aux 700 âmes. « Le maire et les habitants ont entamé une bataille judiciaire pour mettre fin à un projet d’extension d’une ferme usine, déjà immense », précise Manuel Bompard, député européen La France Insoumise. Cette ferme-usine compte quelque 195 000 poules. Avec le nouveau permis de construire que vient d’obtenir le propriétaire, elle pourra en accueillir 30 000 de plus.
- Un immense élevage industriel côtoie la ferme traditionnelle de Jérémy Vialelle. © Emmanuel Clévenot/Reporterre
Juste avant que ne débute la manifestation, Jérémy Vialelle était au tribunal administratif de Toulouse, où se jouait en urgence un procès en référé. Âgé de 30 ans, l’homme au sourire généreux élève quelques volailles et cultive des légumes de saison tout près de la ferme industrielle. « Vous n’imaginez pas les odeurs irritantes qu’elle dégage. Cela n’a rien à voir avec celles des petites fermes, comme la mienne. » L’agriculteur n’est d’ailleurs pas le seul concerné par ces nuisances olfactives. « Les enfants de l’école d’à côté s’en plaignent également, leurs cheveux sentent la fiente tous les soirs et ils développent des pathologies gastriques et des maux de tête », poursuit l’agriculteur. Le médecin d’une administrée avait même attribué son cancer des yeux à la pollution de l’air, comme le raconte une enquête de Reporterre. Le tribunal rendra sa décision la semaine prochaine.