Alain Legret, pionnier du champagne végane

Alain Legret dans une cave de son domaine, en décembre 2022. - © Mathieu Génon / Reporterre
Durée de lecture : 5 minutes
Agriculture Alimentation AnimauxSur les terres de la Marne, la famille Legret produit du champagne végane, du travail de la vigne au vin mis en bouteille. Un changement pour les animaux et l’environnement qui bouscule des habitudes de production solidement installées. [1/4]
Cultiver sans exploitation animale, c’est possible. Vous lisez la première partie de notre série sur l’agriculture végane, la suite paraîtra demain.
Talus-Saint-Prix (Marne), reportage
« Notre champagne était végane, et on ne le savait même pas ! » Depuis plus d’un siècle, la famille Legret produit du vin sur les terres de Talus-Saint-Prix (Marne). Mais ce n’est qu’en 2016 qu’Alain Legret, le successeur de la lignée, a réalisé — grâce à la remarque d’une de ses commerciales — que ses produits correspondaient aux standards véganes. Autrement dit, qu’ils ne contenaient aucun produit d’origine animale.
« Ce n’est pas le cas de tous les champagnes, précise Sandrine Legret, son épouse. Certains producteurs ajoutent des protéines animales dans les cuves, pour faire floculer toutes les impuretés. Ils utilisent notamment de la colle de poisson. »

De son côté, depuis des années, la famille Legret préfère filtrer son vin. Alain Legret pose sur la table son outil : une plaque de cellulose, sorte de « gros buvard » imprégné de taches de vin. « Mon père utilisait ça, mon grand-père aussi, explique-t-il. Ça n’avait rien à voir avec le véganisme, c’était juste une volonté d’être le plus propre, le plus naturel possible. »
« On sait tous comment ça se passe dans les abattoirs »
Cette révélation a toutefois poussé les deux vignerons indépendants à s’intéresser à l’exploitation des animaux. « On sait tous comment ça se passe dans les abattoirs, mais on ne prend pas le temps d’y penser réellement, parce que ça ne fait pas partie de notre quotidien, dit Sandrine Legret. Quand j’ai vu des vidéos, ça m’a affligée. » Du jour au lendemain, elle est devenue végane. Son époux est resté omnivore, mais a continué ses recherches.

Il a alors réalisé qu’en France, les organisations de certification végane n’étudiaient, pour les vins, que les étapes à partir de la vendange.
« Avant ça, on peut épandre dans la vigne du fumier ou d’autres fertilisants à base de résidus de poudre d’os et de sang, et quand même être labellisé végane, raconte Alain Legret. On ne trouvait pas ça cohérent, on a donc voulu changer nos pratiques. »

Fini les excréments de vaches. Le couple a d’abord utilisé des engrais végétaux « à base de tourteaux de soja » pour apporter de la matière organique aux sols. « Ce sont les seuls engrais que nous ayons trouvés à l’époque chez nos fournisseurs », justifie Sandrine Legret. Ils ont depuis été remplacés par un mélange de pulpe de fruits et de tourteaux de végétaux.
Des débuts compliqués
Entre la conversion en bio en 2006 et l’arrêt des engrais en 2016, la vigne est devenue « faible », et les premières années ont été « un peu compliquées », reconnaît pudiquement Alain Legret.
« Quand vous apportez de la chimie à la vigne, explique le producteur, elle est comme sous perfusion, elle n’est pas autonome. Donc dès que vous arrêtez, c’est difficile. » Son épouse abonde : « Le raisin était de qualité, mais en moins grande quantité. »

Ni l’un ni l’autre n’ont cessé de croire que c’était la bonne chose à faire. Au fil des mois, la vigne s’est habituée. Aujourd’hui, le couple affirme qu’il récolte autant de raisin que des producteurs conventionnels.
« Suite logique » de leur engagement, ils ont décidé de réimplanter des arbres au cœur des cultures. On repère leurs parcelles — 4,80 hectares en tout — de loin : ce sont les seules où des arbustes (cassissier, groseillier) et des arbres poussent lentement autour des vignes. Scotty, le petit chien de la famille Legret, se roule avec délice dans l’herbe maintenue.

« Notre idée, c’était de sortir de la monoculture car c’est là que les problèmes arrivent », explique Alain Legret, emmitouflé dans son manteau.
Sandrine Legret désigne quelques trous dans le sol : « Tout ça, c’est des rongeurs, des lapins, dit-elle en souriant. On remarque aussi davantage d’oiseaux et d’insectes. Il y a vraiment une biodiversité qui est revenue ces dernières années. »
« Aucun résidu de produit animal dans les fournitures qu’on utilise »
Pour aller au bout de leur démarche de « cohérence », le couple s’est également attaché à « véganiser » l’ensemble de ses produits, des étiquettes aux bouchons de bouteilles — certains bouchons sont parfois constitués de particules de liège réagglomérées grâce à de la colle de poisson.
« On demande à nos fournisseurs d’attester qu’il n’y a aucun résidu de produit animal dans les fournitures qu’on utilise », résume Alain Legret.

L’engagement de la famille a parfois pu surprendre dans le village. « Les relations avec les autres viticulteurs ne sont pas mauvaises, mais je crois qu’ils se demandent quel intérêt on a à faire ça, raconte Sandrine Legret. Ils ne comprennent pas. On les bouscule. »
Certains clients habitués ont même pris peur lorsque le couple de vignerons a commencé à mettre en avant le caractère végane de ses produits — quand bien même le contenu des bouteilles n’avait pas changé d’une goutte.

Alain et Sandrine Legret ont remarqué que le mot « végane » dérange parfois plus que le concept lui-même, comme s’il n’était pas réellement compris. Mais ils s’en fichent, ils continuent. Un autocollant « I love vegan champagne » traîne dans leur salon, où ils font déguster leurs produits aux curieux de passage.
« C’est important d’accompagner les personnes pour leur montrer qu’une alimentation trop carnée est néfaste pour elles, estime Sandrine Legret. Cet accompagnement sera à la fois bon pour les animaux et pour l’environnement. C’est le fait d’en parler qui réussira à faire bouger les choses. » Et à faire en sorte que, bientôt, la famille Legret ne soit plus une curiosité dans le paysage des vignes.
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