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Alternatives

À Noël, les véganes mettent les pieds dans le plat

Pendant les fêtes de fin d’année, les véganes, qui refusent l’exploitation animale, sont poussés à expliquer leur démarche. L’occasion de sensibiliser leurs proches au véganisme.

Le soir du réveillon, Valérie, 46 ans, apportera son tupperware. « J’apporte mon repas en double, voire triple dose pour que tout le monde puisse goûter, précise-t-elle. Pour que mon entourage se rende compte que je ne suis pas frustrée, et que je ne mange pas que “des feuilles de salade et des graines” ! »

Valérie est végane depuis six ans : elle ne consomme plus de produits liés aux animaux, que ce soit dans son alimentation, dans ses vêtements ou dans ses loisirs. Terminé le lait ou le fromage. Terminé les sacs en cuir ou les foulards en soie. Terminé l’équitation ou les zoos. Être végane n’est pas qu’un régime alimentaire, c’est un acte politique. Le mode de vie des véganes rejette « l’ordre spéciste du monde », comme ils le disent. « Le véganisme est à la fois un engagement éthique qui vise à mettre fin à l’exploitation animale, et un mode de vie politisé », reposant sur « le boycott des produits animaux », rappelle sur son blog la géographe Ophélie Véron, spécialiste des mouvements véganes.

Alors forcément, lors des repas de famille, le débat s’invite à table. « J’ai connu des repas interrogatoires avec des personnes qui cherchaient à me piéger, comme pour se prouver qu’elles avaient raison », précise Marion Lagardette, végane depuis 2014 et créatrice de la chaîne YouTube « La petite Okara ». « Ces questions sont éminemment politiques, elles peuvent parfois amener à des prises de position qui volent un peu haut », note Marie Laforêt, végane depuis treize ans et autrice de dizaines de livres de recettes véganes.

« Une société qui ne reposerait plus sur l’exploitation animale »

Parler du véganisme revient à aborder une dimension politique. « Mon véganisme est la mise en application d’un antispécisme  [1], et donc d’une position politique », confirme Marie Laforêt. « Le véganisme est une démarche politique bien sûr, car il s’inscrit directement dans une volonté de réforme, avec l’espoir de vivre dans une société qui ne reposerait plus sur l’exploitation animale, qui arrêterait de considérer les animaux non humains comme une ressource », abonde Marion Lagardette. Pour elle, « même la plus petite exploitation reste de l’exploitation ». Elle plaide donc pour l’arrêt total des systèmes d’élevage.


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Si, historiquement, les personnes véganes étaient plutôt motivées par une compassion à l’égard des animaux, d’autres passerelles se sont créées. « L’écologie entre beaucoup en ligne de compte dans mon choix de ne plus consommer de produits animaux et dans ma manière de vivre », indique par exemple Valérie. « Certains militants animalistes considèrent qu’il y a une dimension écolo forte dans leur lutte, analyse Fabien Carrié, maître de conférences en science politique. C’est relativement récent et c’est encore fluctuant, mais je pense qu’il y aura davantage d’articulations entre les deux à l’avenir. »

En 2019, le Livre blanc de la gastronomie responsable — initié par le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, et par le chef cuisinier Alain Ducasse — soulignait ainsi que « réduire de moitié notre consommation de viande et produits laitiers (notamment d’origine bovine, la plus polluante) pourrait être aussi efficace que de diviser le parc automobile mondial par deux ». « On sait aujourd’hui que l’alimentation d’origine animale est aussi destructrice de terres cultivables, de l’accaparement des ressources en eau, comme avec les mégabassines » ajoute Marie Laforêt.

En rupture avec la norme

En refusant les traditionnels saumons et coquilles Saint-Jacques, les personnes véganes se placent « en rupture avec la culture gastronomique dominante », selon l’expression de Jérôme Segal, auteur de plusieurs livres sur le sujet. Un pas de côté encore plus visible au repas de Noël. « Ce genre de réunion et de grandes fêtes est le moment où les véganes se confrontent avec la norme dominante, alors qu’ils la rejettent dans leurs pratiques quotidiennes, précise Fabien Carrié. Ce sont des moments importants, qui permettent soit de renforcer leurs convictions, soit de les affaiblir. »

Pour éviter des débats houleux, certaines personnes véganes préfèrent rester discrètes sur leur engagement. D’autres en profitent pour le diffuser et le rendre accessible. « La question qu’on me pose le plus souvent, ce n’est pas “Pourquoi tu es végane ?”, mais “Qu’est-ce que tu peux bien manger tous les jours ?!”, indique Marie Laforêt. C’est face à cette interrogation que j’ai lancé un blog de cuisine en 2009. En donnant aux gens des solutions concrètes, il est plus facile pour eux d’envisager des changements. » Une opinion partagée par Marion Lagardette : « On peut avoir toutes les prises de conscience du monde, si on ne sait pas comment faire concrètement au quotidien, on ne pourra pas envisager une société différente. »


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Si diffuser des recettes et des conseils peut être une « arme » politique, ce n’est pas une fin en soi. « Il y a des débats au sein du mouvement, notamment en France, sur la stratégie à adopter, explique Fabien Carrié. Un courant estime que promouvoir le mode de vie végane est la meilleure façon de faire tomber “l’ordre spéciste du monde”, un autre pense que le plus important est le militantisme [marches, actions, etc.]. »

Pour certains militants, « essayer simplement de convertir les gens à un mode de vie et d’alimentation occulterait la dimension sociale et politique de la question animale, rappelle Ophélie Véron sur son blog. Le risque également serait de réduire la question animale à un simple choix personnel, et non à une problématique de justice sociale. Or, ce qu’il faut essayer de changer, c’est la société, et non simplement les individus ». Pour que dans quelques années, Noël ne soit plus systématiquement synonyme de souffrance et d’exploitation animales.



Idées lecture :

Mes plats de Noël vegan, de Marie Laforêt, éditions Solar, novembre 2020, 22 euros.
30 jours pour devenir vegan, de Marion Lagardette, éditions Solar, janvier 2021, 14,95 euros.

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