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Alexis Rowell, le journaliste devenu agriculteur végane

Ex-journaliste de la BBC, Alexis Rowell est désormais permaculteur dans la Sarthe. Son projet : proposer des produits transformés à base de fruits à coque, de manière végane. Sans que cela n’accapare tout son temps. [4/4]

Cultiver sans exploitation animale, c’est possible. Vous lisez la dernière partie de notre série sur l’agriculture végane.



La Chapelle-du-Bois (Sarthe), reportage

« Si nous voulons survivre à l’effondrement — qui a déjà commencé — nous allons avoir besoin d’autres méthodes agricoles. » Alexis Rowell se retourne et nous montre ce qui, selon lui, représente l’avenir de l’alimentation : sa châtaigneraie. À l’entrée de son terrain de 7 hectares, installé dans la Sarthe, des châtaigniers et noisetiers poussent à leur rythme.

Il sourit. Alexis Rowell en est persuadé : il ne sera bientôt plus possible de cultiver « d’immenses champs de céréales » ou d’élever des animaux, à cause du coût économique et écologique des énergies fossiles. Qu’à cela ne tienne, il parie désormais sur les noisettes et autres noix pour nourrir l’humanité. « Les fruits à coque sont plein de bonnes choses ! s’enthousiasme l’homme de 57 ans. La châtaigne, par exemple, a la même composition chimique que le riz. Elle peut donc être utilisée comme féculent de base. »

Alexis Rowell était journaliste à la BBC, à Londres. Il est en France depuis une dizaine d’années. © Mathieu Génon / Reporterre

Lunettes de soleil vissées sur le nez, le pas rapide et léger, Alexis Rowell nous fait visiter sa ferme, La Grande Raisandière. À son arrivée il y a cinq ans et demi, il a tout de suite planté des arbres fruitiers à coque. Au fil des mois, l’idée a germé : et s’il transformait ses récoltes personnelles pour vendre du beurre de noisette, de la farine de châtaigne ou encore de la crème de marrons ?

Celui qui avait fait carrière dans le journalisme à la BCC, à Londres, puis dans la vente s’est progressivement métamorphosé. Mi-paysan, mi-commercial. D’une façon bien particulière : en pratiquant une agriculture végane, sans intrants ni autres produits d’origine animale.

Beurre de noisette, farine de châtaigne, crème de marrons... Les futurs produits seront mis en vente sur internet. Tout est végane. © Mathieu Génon / Reporterre

Pas de fumier, des engrais verts

La plupart des consommateurs l’ignorent, mais l’agriculture sans élevage (le maraîchage, la viniculture, etc.) n’est pas forcément végane. De nombreux agriculteurs utilisent des engrais d’origine animale : du fumier — des excréments d’animaux d’élevage —, de la farine de sang, d’os… Lors de son installation, Alexis Rowell a justement épandu du fumier de cheval, qui provenait d’un centre équestre voisin. « Un compromis, avance-t-il. Après quarante ans de fenaison [coupe et récolte du foin, par les anciens propriétaires], nos terres étaient très pauvres et acides. » Il n’en utilise plus aujourd’hui.

Il préfère désormais fertiliser son sol grâce aux « plantes à engrais verts ». « Ce sont des plantes que tu sèmes et qui vont apporter des bénéfices — potassium, azote, phosophore… — à ton terrain », explique-t-il. Du ton de celui qui connaît son sujet sur le bout des doigts, il cite, pêle-mêle : l’ortie, le sarrasin, le trèfle ou encore le seigle. Alexis Rowell utilise également le contenu de son étang (des feuilles, des branches biodégradées) ou de ses toilettes sèches (au bout de plusieurs mois de maturation) pour nourrir ses terres, autour de ses arbres.

Le sol est fertilisé grâce aux « plantes à engrais verts ». © Mathieu Génon / Reporterre

« C’est un peu notre propre fumier, sourit Blanche Lepetit, la compagne d’Alexis Rowell. Les engrais verts représentent plus de travail, mais c’est très satisfaisant d’améliorer notre terre de façon lente. » À La Grande Raisandière, toute cette idée de production et de transformation des fruits à coque a été initiée par son compagnon. « Ce n’était pas mon truc le jardinage. J’ai dit à Alexis que ce n’était même pas la peine d’y penser ! Mais je me suis finalement laissée convaincre par le projet », raconte la femme de 45 ans. Elle ne vient toutefois à la ferme que durant les week-ends et les vacances : le reste du temps, elle est professeure dans une école du 19e arrondissement de Paris.

Blanche Lepetit aide le week-end. La semaine, elle enseigne à Paris. © Mathieu Génon / Reporterre

Contrairement à son compagnon — strictement végane depuis plus de cinq ans — Blanche Lepetit confie manger (parfois) du beurre et du fromage. Mais elle se sent en accord avec les méthodes de permaculture végane utilisées sur la ferme. « Ce n’est pas manger des animaux en tant que tel qui ne me paraît pas éthique, précise-t-elle. C’est le fait d’exploiter, de se faire de l’argent sur le dos d’autres êtres vivants. C’est faire naître un animal juste pour ta gueule. Ils n’ont pas le droit à une existence pour eux. »

« Se faire de l’argent sur d’autres êtres vivants, ce n’est pas éthique »

Le couple veut donc proposer autre chose, une nouvelle façon de produire de la nourriture, loin de cette « industrialisation des vies ». Sans exploitation, et en accordant une considération particulière aux sols et à la biodiversité. « J’entends parfois des gens dire que c’est triste une ferme sans animaux. Mais des animaux, ici, il y en a plein, affirme Alexis Rowell, montrant du doigt le verger, les différentes forêts-jardins et la mare, qui clapote légèrement. On voit souvent des poules d’eau, des ragondins, des hérons, des lièvres, des chevreuils, toutes sortes d’oiseaux. Ce sont toujours des animaux en liberté. C’est ça, la vraie vie de campagne. »

À temps partiel

L’ancien journaliste nous invite à entrer dans sa maison, une jolie bâtisse en pierre et grès jaune. En vitesse, il va chercher dans la remise plusieurs bocaux, remplis de crème de marrons. Témoins des recettes qu’il essaye, affine, recommence. Encore et encore. « Je pense que je serai prêt à les vendre dans deux ans », estime-t-il. En attendant de se lancer pour de bon, il travaille à mi-temps en tant que commercial d’une entreprise anglaise qui installe des panneaux solaires et des bornes de recharge de voitures électriques. « Le reste du temps, c’est pour la ferme. »

Des stagiaires et Wwoofeurs viennent se former à la permaculture et apprendre à cultiver sans exploitation animale. © Mathieu Génon / Reporterre

Sur ce sujet, Alexis Rowell dévoile deux facettes. Côté pile : le bosseur passionné. Il dépense chaque heure de son temps libre à faucher, semer, récolter. « C’est ma vie, ma vocation », affirme-t-il. Mais côté face, le Britannique refuse de se tuer au travail, comme il a pu voir d’autres le faire. « L’agriculture paysanne est difficile, l’agriculture permaculturelle à temps partiel est plus facile, poursuit-il. Tous ceux qui le souhaitent peuvent être des agriculteurs à mi-temps, s’ils s’éloignent des centres-villes. Et peuvent ensuite partager leurs récoltes respectives. »

Le Britannique utilise aussi des feuilles et des branches biodégradées de son étang pour nourrir ses terres. © Mathieu Génon / Reporterre

Ainsi, Alexis Rowell sait déjà qu’il ne vendra pas ses futurs produits sur les marchés. « Je ne veux pas être dépendant des horaires du marché ou de la météo », balaie-t-il d’un geste de la main. Il privilégiera plutôt la vente par internet. « Le fait de commencer l’agriculture à son âge, et pas à 20 ou 30 ans, ça explique ce point de vue, ajoute Blanche Lepetit. Il a déjà une carrière derrière lui. »

Le projet n’en est encore qu’à ses débuts, mais il attire. De nombreux stagiaires et Wwoofeurs — qui travaillent dans des fermes en échange du gîte et du couvert — se déplacent à La Grande Raisandière pour se former à la permaculture et donner un coup de main à Alexis Rowell. En groupe, ils se surprennent à rêver d’une nouvelle société. D’une façon de produire différemment de la nourriture en France. Sans abîmer la terre ni épuiser les corps. Et surtout, sans exploitation d’autres êtres vivants.


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