En Bretagne, des maraîchers véganes au royaume de l’élevage

Aurélien Fercot et Bao Fernandes ont une exploitation maraîchère végane. - © Mathieu Génon / Reporterre
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En Bretagne, deux maraîchers cultivent leurs terres de manière végane. Sans lisier ni fumier. Peu à peu, ils construisent la cohabitation avec les élevages alentours. [2/4]
Cultiver sans exploitation animale, c’est possible. Vous lisez la deuxième partie de notre série sur l’agriculture végane, la suite paraîtra demain.
Sizun, Le Tréhou (Finistère), reportage
Au fin fond de la Bretagne, région réputée pour l’élevage, une ferme végane de 12 hectares a miraculeusement vu le jour. Située entre les communes de Sizun et Le Tréhou, cette exploitation maraîchère se trouve à la frontière du parc national d’Armorique, dans le département du Finistère. Voilà maintenant douze ans qu’Aurélien Fercot et Bao Fernandes, son associée, s’y sont installés en maraîchage végane et bio.
Issu d’une famille qu’il qualifie lui-même de « néo-hippie », Aurélien aime raconter qu’il est « né végétarien ». Bao, elle, est d’origine indienne : un pays où la culture végétarienne est très ancrée. Le pas vers le véganisme n’a donc pas été difficile à franchir pour les deux maraîchers. Le véritable défi consistait davantage à changer de modèle agricole, en se lançant dans une production vivrière, sans aucun intrant animal.

Du broyat végétal pour remplacer le fumier
L’une des premières choses à faire : se passer d’engrais animal, comme le lisier ou le fumier, très répandus en Bretagne. À l’entrée de la ferme, trône justement un imposant tas sombre, d’où s’échappent une fumée blanche et une forte odeur de décomposition : « Ce n’est pas du fumier, nous assure Aurélien, c’est du broyat végétal : un compost uniquement constitué de déchets verts, sortis de la déchèterie de Sizun. » Bao plonge une main dans le tas de compost fumant : « C’est le b.a.-ba de l’agriculture végane », affirme-t-elle.
Dans ce compost, il n’y a aucun élément d’origine animale : pas de lisier, pas de boucherie, que du végétal fraîchement broyé. Selon Aurélien, ce « broyat frais » a un effet structurant pour le sol : les bactéries et les champignons vont venir autour des morceaux de végétaux en décomposition, ce qui va ensuite enrichir le sol. « C’est un peu provoc’ pour des véganes, mais on aime bien dire que l’on est “éleveurs de la vie du sol”. On se décharge de l’élevage dans le sens où l’on n’est pas dépendants du bétail, mais par contre on est complètement dépendants des animaux. »

Cette technique du broyat végétal est inspirée d’une méthode appelée le maraîchage sur sol vivant (MSV). Elle permet de nourrir le sol et de l’enrichir sur le long terme, contrairement au fumier ou au lisier, qui ont surtout un effet d’engrais. Malgré tout, Aurélien et Bao reconnaissent que les rendements sont moins bons qu’avec un engrais animal : « On a fait le choix conscient de perdre un peu de rendement, mais éthiquement on reste cohérents », explique Bao.
« On s’est bien cassé la gueule »
Malgré de très bonnes années entre 2014 à 2017, ces maraîchers véganes ne roulent pas sur l’or. Couplée aux difficultés avec certains salariés, leur situation s’est dégradée. Leur ferme est en redressement judiciaire : ils ont quatorze ans pour rembourse les dettes contractées depuis leur installation. « On s’est bien cassé la gueule, comme à peu près tout le monde dans la profession », résume Bao.
Les deux maraîchers continuent d’y croire. Ils ont recentré leur production sur quelques cultures : pommes de terre, plantes aromatiques et aussi quelques agrumes. Par manque de temps et de ressources humaines, ils ne font plus les marchés, mais vendent leur production à la Biobreizh, une coopérative d’environ soixante-dix agriculteurs bretons en bio. Désormais, ils se concentrent sur le volet économique et sont déterminés à prouver qu’une agriculture alternative, sans intrant animal et sans produit chimique, peut être rentable à grande échelle et sur de grandes surfaces.

Pour ce faire, les maraîchers véganes redoublent d’inventivité, et misent entre autres sur la mécanisation : ils détournent des machines généralement utilisées dans l’agriculture conventionnelle pour en faire des outils au service de leur modèle agricole végane. L’hiver, ces surprenantes machines gisent près du champ central de la ferme.
L’une d’entre elles attire particulièrement l’attention : « C’est une planteuse à bec, présente fièrement Aurélien. Elle semble à l’abandon, mais il ne faut pas s’y tromper, en réalité cette machine est très utilisée pour semer sans avoir à labourer le sol : les becs permettent d’écarter la terre aux endroits précis où l’on veut semer les graines. » Or, cette planteuse à bec n’est en réalité que la version détournée d’une machine à planter les poivrons à travers des paillages en plastique. Même chose pour le pulvérisateur, qui diffuse non pas des pesticides, mais des huiles essentielles de clou de girofle et des décoctions de plantes. Des engins remorqués par un tracteur roulant, lui, à l’huile de colza.

« C’est difficile d’être véganes en Bretagne »
Aurélien et Bao sont bien conscients de détonner dans le paysage agricole breton. Autour d’eux, la plupart des agriculteurs sont éleveurs de vaches laitières ou de volailles en batterie. Et le véganisme est peu développé en Bretagne, où la demande reste faible : « C’est difficile d’être véganes en Bretagne : il y a le beurre, la crème fraîche… À côté, on passe un peu pour des bouffeurs de salades. Alors on essaye de pas trop en parler et de rester discrets », explique Bao.
Aurélien se souvient de quelques moments « tendus » : « On a fait un appel à dons en mettant en avant le véganisme, des collègues éleveurs nous ont dit : “En gros, vous nous faites passer pour les méchants ?” » Pour autant, il assure que cela reste rare.

La posture adoptée par ces deux maraîchers véganes facilite le dialogue : « On n’est pas du tout en opposition avec les collègues, au contraire : on a une voisine qui élève des vaches, et ça nous arrive de l’aider. » Originaire du village, Aurélien a aussi l’avantage de connaître la plupart des éleveurs et des éleveuses. Dès l’âge de 12 ans, il allait régulièrement donner des coups de main dans les fermes du coin. Il conseille d’ailleurs aux nouveaux arrivants désireux de s’installer en agriculture végane de commencer par aller se présenter aux agriculteurs locaux, et de proposer leur aide, pour que les rapports soient moins frontaux.
Ces maraîchers conseillent également aux véganes de ne pas adopter de positionnement trop radical vis-à-vis des éleveurs : « Des amis véganes voulaient ouvrir les parcelles des voisins pour libérer les animaux. On leur a dit : “C’est hors de question !” Ce n’est pas parce qu’une personne est éleveur que c’est un tortionnaire », dit Aurélien. Les deux maraîchers ont eux-mêmes longtemps été très militants. Ils ont participé à des actions de fauchage d’OGM, faisaient partie de la brigade activiste des clowns à Paris… Ils tentent désormais de construire des ponts entre agriculteurs et véganes.