Algues vertes, un film percutant pour raconter le scandale

Les décès suspects de plusieurs personnes et des animaux ont lancé l'enquête d'Inès Léraud (ici jouée par Céline Sallette) sur les algues vertes. - © Haut et Court Distribution
Les décès suspects de plusieurs personnes et des animaux ont lancé l'enquête d'Inès Léraud (ici jouée par Céline Sallette) sur les algues vertes. - © Haut et Court Distribution
Durée de lecture : 4 minutes
Dans un film percutant, en salles le 12 juillet, le réalisateur Pierre Jolivet retrace le combat de la journaliste Inès Léraud contre les marées vertes, qui empoisonnent la Bretagne depuis quarante ans.
De longues traînées verdâtres s’étirent, serpentent et imbibent, jusqu’à la nausée, des langues de sable blanc. Dès les premiers plans des Algues vertes — le 12 juillet en salles —, le décor est posé. Contrairement aux élus, aux syndicats agricoles et aux autorités sanitaires, comprend-on, le dernier film de Pierre Jolivet ne détournera pas les yeux des ravages infligés par l’élevage intensif aux écosystèmes bretons.
Mieux : il tâchera, deux heures durant, d’en expliquer les causes, les rouages et les conséquences sur la santé humaine. Le tout avec le souffle haletant d’un thriller, dans la veine de Dark Waters, film à suspense sur le scandale des polluants éternels dont il est inspiré.
Après Victor et Célia, comédie sociale sortie en 2019, le réalisateur de Ma petite entreprise a souhaité porter à l’écran un dossier on ne peut plus corrosif : celui des marées vertes provoquées par l’épandage de lisier par les exploitations porcines, bovines et avicoles. Ces algues à l’odeur putride empoisonnent depuis près de quarante ans les plages et les estuaires de Bretagne, région qui compte quatre fois plus de cochons que d’habitants.
Pierre Jolivet explique s’être penché sur ce sujet après avoir été « pétrifié » par la lecture de la bande dessinée éponyme d’Inès Léraud et Pierre Van Hove, dont le film est une adaptation. Le scénario a d’ailleurs été coécrit avec la journaliste d’investigation, qui révèle ainsi une nouvelle corde sur l’arc étendu de ses talents.
Menaces, intimidations...
Le film retrace donc l’histoire d’Inès Léraud — délicatement interprétée par Céline Sallette —, documentariste radio fraîchement débarquée, en 2016, dans un petit village du Finistère avec sa compagne. Elle s’y installe pour tourner ses « Chroniques bretonnes », une série de reportages sur l’agro-industrie diffusés sur les ondes d’une radio nationale. Au fil de ses recherches, elle prend connaissance du décès suspect d’un cheval, mais aussi de ceux de 36 sangliers, deux joggers et un ramasseur d’algues. La journaliste soupçonne qu’ils ont été intoxiqués au sulfure d’hydrogène, un gaz émis lors de la putréfaction des algues vertes. Son enquête tourne à l’obsession.
Les preuves de la culpabilité du modèle agricole productiviste s’accumulent dans son micro, en même temps que les menaces, déboulonnages de roues et autres tentatives de faire taire ses sources.

Par ce récit, Pierre Jolivet dit avoir voulu rendre hommage à « l’abnégation formidable » d’Inès Léraud, des lanceurs d’alerte et des victimes des algues vertes. Le film donne corps et voix à leurs doutes, leurs peurs et leurs souffrances. Il célèbre aussi les bulles de tendresse familiale, amicale et amoureuse qui leur ont permis de garder courage face aux intimidations.
Les Algues vertes explore également de manière saisissante les mécanismes de fabrication du silence. On découvre, au fil des scènes, comment une organisation — ici, la FNSEA — peut, via le chantage à l’emploi, faire taire une population, ramener des élus dans son giron, et s’assurer du maintien d’un modèle hautement nocif sur les plans humain et écologique. Le tournage tourmenté du film en a été la mise en abyme. Le réalisateur s’est vu interdire par plusieurs maires l’accès à des lieux de tournage cruciaux pour le long métrage. L’équipe du film a dû ruser pour accéder à certaines plages, avec la complicité d’habitants bloquant les stationnements nécessaires à la logistique, relate Libération. Une avant-première du film à Lannion, fin juin, a également été perturbée par le syndicat Jeunes agriculteurs, raconte le cofondateur du média d’investigation Splann !, Sylvain Ernault.
Comme Goliath, du cinéaste Frédéric Tellier, qui a exposé sur grand écran les stratégies de fabrique du doute des marchands de pesticides, Les Algues vertes promet de sensibiliser le grand public aux failles du système agricole intensif. Une mission nécessaire : en ce début d’été 2023, sept ans après le début de l’enquête d’Inès Léraud, plusieurs plages des Côtes-d’Armor sont encore souillées par les algues vertes.
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Les Algues vertes, de Pierre Jolivet, avec Céline Sallette, Nina Meurisse, distribué par Haut et Court, le 12 juillet 2023, 1 h 50. |