Alternatiba renouvelle la bataille du climat

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Climat Alternatiba LuttesNé en 2013 à Bayonne, Alternatiba compte aujourd’hui près de 200 groupes locaux. Le mouvement citoyen se lance dans un nouveau tour de France à vélo pour « changer d’échelle ». Objectif : créer un mouvement climatique de masse campé sur ses « deux jambes », les alternatives et la résistance non violente.
Les historiques en sont encore tout étonnés. « En 2013, nous étions une poignée de militants à lancer un village des alternatives à Bayonne, se rappelle Txetx Etcheverry. Quand je vois ce que c’est devenu, je trouve ça très fort, ça donne de l’espoir et de l’énergie. » En cinq ans, plus d’une centaine de groupes locaux se sont constitués, des villages ont fleuri partout en France, des actions non violentes sont venues chatouiller les industriels du pétrole ou les banques… et Alternatiba est devenu un mouvement incontournable de la lutte contre le changement climatique.
Dès 2015, dans Reporterre, Txetx Etcheverry fixait l’objectif, ambitieux, de l’organisation : « Notre obsession est de toucher les gens non conscientisés, de créer des dynamiques de masse et un vrai rapport de force dans la société, de porter un autre discours, de mener des campagnes gagnantes. » Le tout sur un sujet, le climat, qu’il qualifie lui-même de « peu fédérateur », notamment parce que « les gens ne se sentent pas de prise sur le changement climatique, il parait trop abstrait, immense et complexe ».

Le pari des Basques serait-il en passe d’être gagné ? Alors que des cyclistes s’élanceront ce samedi 9 juin de la place Stalingrad à Paris pour près de quatre mois de voyage militant en France, Pauline Boyer, membre de l’équipe d’animation, estime que l’organisation « est en train de passer un cap » : « En cinq ans, plus de 750.000 personnes ont participé à un événement Alternatiba, souligne-t-elle. Une soixantaine de militants s’impliquent fortement au sein de l’équipe d’animation, et pour ce Tour, des groupes se sont créés ou renforcés dans 200 communes, en France et ailleurs dans le monde. Un mouvement de masse ne se crée pas du jour au lendemain, ça se fait petit à petit, mais on va passer à la vitesse supérieure. »
Du village des alternatives à Bayonne au tour de France : la naissance d’un mouvement climatique
Présent depuis 2013, Jon Palais se rappelle des débuts difficiles : « Après la COP de Copenhague, nous nous sentions orphelins, isolés. Pour nous, militants écologistes, le climat était l’axe central, déterminant, qui nous imposait l’agenda le plus urgent. On ne parvenait pas à peser sur la dynamique globale, alors que c’est indispensable pour changer les choses. Bref, on se sentait impuissants. » En partant du local et des alternatives, « du positif, du concret », le petit groupe de militants basques parvient pourtant à impulser une dynamique, celle des villages des alternatives, qui culminera lors de la COP21.
« Le pari pour nous, c’était de ne pas nous effondrer après le sommet de Paris, raconte Jon Palais. La plupart des mobilisations qui se créent pour des contre-sommets s’étiolent ensuite. Là, nous avions l’obsession que les villages ne durent pas que le temps de la COP. » L’année 2016 marquera malgré tout un flottement dans la dynamique du mouvement, « un moment de digestion » et de questionnements. « Mais il y a eu une relève, un renouvellement générationnel qui nous a sauvés du repli », estime Jon Palais. Une équipe plus jeune et plus féminine, et de nouveaux projets : le blocage du sommet des pétroliers à Pau, les camps Climat, le grand défi des alternatives, puis ce nouveau tour 2018, préparé depuis près d’un an.
Rigueur et efficacité sont les mamelles du destin
Pauline Boyer et Rebecca Wangler font partie de cette nouvelle génération climat, biberonnée à la « culture Alternatiba ». Car une chose semble faire l’unanimité : « Quand on arrive dans ce mouvement, on est plongé dans une école du militantisme particulière, à contre-courant de ce qu’on peut voir dans d’autres associations », estime Rebecca Wangler, membre du groupe local de Rennes et actuellement en service civique. « Avant, j’avais du mal à m’engager, je trouvais les associations mal organisées, j’avais l’impression de perdre beaucoup d’énergie et de temps dans les réunions. Mais à Alternatiba, j’ai été bluffée par les méthodes d’organisation : je n’avais jamais vu ça ! »
Ordres du jour minutés, respects des plannings de temps, prises de décision par consensus (à l’unanimité) ou par consentement (les personnes qui ne sont pas d’accord ne bloquent pas pour autant la décision)… « Il y a un sens de la rigueur très fort dans les méthodes de travail, observe Jon Palais. Cela paraît anodin, mais c’est déterminant : commencer et terminer une réunion à l’heure, quand les réunions sont les premiers outils des militants, c’est essentiel pour ne pas s’épuiser. »

Si cette « culture de la discipline » peut faire peur à certains, Pauline Boyer estime elle aussi qu’elle est une clé du succès d’Alternatiba : « Fixer un cadre n’est pas contradictoire avec l’idée de participation et de démocratie, au contraire : chacun s’écoute, respecte la parole des autres, cherche à être constructif. C’est comme ça qu’on avance ! » À cela s’ajoute une pléthore d’outils numériques permettant d’assurer la communication entre les membres du mouvement répartis sur tout le territoire. Et, afin d’assurer une cohérence globale, la coordination européenne, qui réunit des représentants de tous les groupes locaux, se tient trois fois par an, et détermine les axes stratégiques.
Ces méthodes vont de pair avec une philosophie pragmatique qui imprègne le mouvement. À l’instar du sociologue Saul Alinsky, pour qui « ce n’est pas la conscience qui crée la pratique, mais la pratique qui crée la conscience », « on commence par les actions puis on théorise au fur et à mesure », détaille Jon Palais. Avant de préciser : « Ce n’est pas que nous dénigrons le travail intellectuel, mais nous sommes les champions du monde en France des belles déclarations ; or face à l’urgence climatique, nous avons besoin d’agir maintenant. On apprend à marcher en marchant. Et c’est ce qui amène beaucoup de jeunes et de nouvelles personnes. »
Marcher sur deux jambes : les alternatives et la résistance non violente
C’est d’ailleurs par la pratique que la désobéissance civile non violente que s’est imposée dans la stratégie d’Alternatiba. « Au début, ça n’allait pas de soi, explique Jon Palais. Pour beaucoup, l’action non violente était vue comme extrémiste, en contradiction avec l’esprit Alternatiba, qui cherchait à attirer du monde avec un message positif. » Mais pendant le premier tour de France en 2015 puis pendant la COP, la multiplication des interdictions de manifester a poussé de plus en plus de militants à expérimenter la désobéissance. « C’est devenu une évidence, on a besoin des deux : les alternatives et la résistance non violente, poursuit-il, explicitant la stratégie des « deux jambes » chère au mouvement. On ne peut pas être des bisounours, la bonne volonté ne suffira pas. Si on avait quatre siècles, on pourrait se contenter de porter, village après village, les alternatives, elles finiraient par devenir dominantes. Mais on n’a que dix ans pour changer le système. »
En 2016, Action non violente COP21 (ANV-COP21), l’organisation formée à l’occasion du contre-sommet de Paris, fusionne ainsi avec Alternatiba. L’équipe d’animation est la même, bien que le rapprochement ne se soit pas forcément fait au niveau local. Et le mouvement unifié ambitionne désormais de former des milliers de personnes à la désobéissance civile : « À chaque étape du tour, nous aurons une formation de 3 h aux modes d’action non violents, précise Pauline Boyer. À Pau, nous étions 1.000 pour bloquer le sommet des pétroliers ; l’objectif, c’est que nous soyons 10.000 pour bloquer tout projet climaticide. »

Si les militants d’Alternatiba ont la non-violence chevillée au corps, ils sont aussi plusieurs à reconnaître les limites de cette stratégie face à la répression d’État. « Ce qui se passe à Notre-Dame-des-Landes nous tiraille, car nous sommes attachés à cette lutte mais nous ne voyons pas ce que l’action non-violente peut apporter une fois qu’une telle répression est déployée, admet Jon Palais. Face aux blindés qui écrasent la Zad, face au risque des morts et à la certitude de blessés, face à un gouvernement qui se croit autorisé à envoyer une telle force militaire, ni la tactique non-violente ni la tactique violente ne s’avère efficace. Une stratégie non-violente gagnante aurait consisté à mettre le gouvernement dans une situation où une telle répression n’aurait pas pu être assumable politiquement, ou se serait retournée contre le gouvernement au niveau politique, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. »
Du local au global, de l’individu à la communauté
Pour autant, le mouvement garde le cap non violent : « Bien sûr qu’il y a et qu’il y aura de l’affrontement, car dans la bataille climatique, on se confronte à de puissants intérêts, estime Txetx Etcheverry. En revanche, pour gagner, nous devons devenir majoritaires, et nous pensons que pour devenir majoritaire, autrement dit pour gagner le soutien populaire, cela passe par la non-violence. » Condition sine qua non, mais pas suffisante.
« C’est si difficile de créer une dynamique sur le climat, soupire-t-il. Alors que 2017 a été la 4e année la plus chaude, alors que les États n’arrivent pas à mettre en œuvre l’accord de Paris [sur le climat], on parle toujours aussi peu de changement climatique. » D’après lui, c’est à l’échelle du territoire, de la communauté, que les choses peuvent bouger. « Les mouvements écolos les plus importants et massifs qu’on ait connus ont toujours eu un ancrage territorial, indique-t-il, citant les gaz de schiste, les zads, ou les mobilisations contre les LGV. Il nous faut une articulation constante entre le local et le global. Sans local, l’action globale est inefficace ; sans global, l’action locale est dangereuse car potentiellement porteuse de repli sur soi. »

Le militant basque s’est ainsi désinvesti de l’équipe d’animation pour « revenir à la base ». Avec d’autres membres de Bizi ! (l’association locale d’Alternatiba au Pays basque), il réfléchit et rédige « un projet local pour un territoire plus sobre, plus résilient, autonome et solidaire ». Alimentation, agriculture, pollution de l’air, mobilité. L’objectif étant de peser dans le futur Plan climat air énergie territorial (PCAET) que les collectivités de plus de 20.000 habitants doivent adopter d’ici la fin de l’année.
Dans cette optique, le mouvement a lancé la campagne Alternatives territoriales, qui regroupe à ce jour une trentaine de groupes locaux et plus de 2.100 personnes. « 50 % des leviers pour lutter contre les émissions de gaz à effet de serre sont entre les mains des collectivités, à travers les politiques de transport, de logement, d’aménagement, explique Rebecca Wangler, qui coordonne la campagne. C’est donc un levier incroyable et accessible aux citoyens. C’est à cette échelle que l’on peut construire un monde désirable, et convaincre des gens de s’engager parce qu’ils voient immédiatement les effets de leur action. »

Après un an passé au sein du mouvement, la jeune militante dit avoir repris espoir : « Je n’ai plus ce sentiment d’impuissance paralysant. Je crois que le plaidoyer local peut donner des choses, surtout avec l’échéance des municipales en 2020. Cela peut motiver beaucoup de monde. » Et cela permet de se tenir prêt : « L’histoire n’avance pas de manière linéaire mais par ruptures, prophétise Pauline Boyer. À ces moments là, plus il y aura de personnes formées à l’action non-violente et impliquées dans des alternatives locales, plus il sera possible d’orienter le sursaut citoyen dans la construction d’une société plus coopérative et solidaire et non vers le repli sur soi et la peur de l’autre. »