Au Brésil, pandémie ou pas, la déforestation s’intensifie

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Monde Forêts tropicales Covid-19Au Brésil, les régions amazoniennes et les populations indiennes souffrent à la fois de l’extension de la pandémie et de la destruction accrue de la forêt. Et le président Bolsonaro s’en lave les mains.
Il y a pas de trêve pour la forêt. En plusieurs points du monde, la pandémie de Covid-19 a arrêté les activités économiques et amélioré les conditions environnementales. Mais en Amazonie brésilienne, le taux de déforestation a atteint un nouveau record durant les trois premiers mois de 2020. Environ 796 km² ont été perdus, l’équivalent de 7,5 fois la superficie de Paris, selon les données de l’Institut national de recherche spatiale du Brésil (INPE) et de MapBiomas, projet multi institutionnel qui cartographie les transformations du territoire.
« Nous n’avons pas encore les données d’avril, mais nous savons déjà que la déforestation a continué d’augmenter durant les premiers dix jours du mois », nous dit de son côté Tasso Azevedo, coordinateur général de MapBiomas.
« La réduction des efforts pour surveiller et sanctionner les criminels environnementaux et la recherche d’actifs financiers plus sûrs en temps de crise alimentent deux des principaux moteurs de la déforestation : l’accaparement des terres et l’exploitation minière illégale », dit à Reporterre Mariana Napolitano, du WWF-Brésil.

Au cours des 35 dernières années, la superficie amazonienne occupée par l’élevage et l’agriculture a augmenté de plus de 270 %. Avec la pandémie et la probable chute de la demande pour des produits tels que la viande et le soja, on pourrait imaginer que la forêt bénéficierait d’une pause. Mais, selon Mme Napolitano, la crise pourrait accroître l’intérêt pour d’autres biens, tels que l’or et les terres.
« Cela a été possible avec l’aide du gouvernement fédéral, qui a réduit la surveillance et les ressources pour préserver la forêt »
« Le risque est que la déforestation dépasse cette année les 9.800 km2 mesurés l’année dernière, le niveau le plus élevé depuis 2008. Les mesures enregistrées entre août 2019 et mars 2020 — 5.260 km² — ont déjà dépassé celles de la même période de l’année dernière — 2.661 km² », dit Mme Napolitano.
Dans une étude menée l’année dernière, MapBiomas a recherché si cette déforestation était légale et si elle s’est déroulée dans des zones protégées. « Nous avons pu calculer le taux d’illégalité de ces opérations et nous avons constaté qu’il dépasse 99 % », dit M. Azevedo.
Les terres indigènes brésiliennes et les zones de protection de l’environnement sont les cibles d’une épidémie d’invasions, dit Raul do Valle, directeur des politiques publiques du WWF-Brésil. « Cela a été possible avec l’aide du gouvernement fédéral, qui a réduit la surveillance et les ressources pour préserver la forêt », dit-il. Il donne quelques exemples : Fundo Amazonia, le plus important programme public de préservation est au point mort. Le 13 avril, le directeur de la protection de l’environnement de l’Institut brésilien de l’environnement et des ressources naturelles renouvelables (Ibama), Olivaldi Azevedo, a été licencié au moment même où se déroulait une grande opération de lutte contre l’exploitation minière illégale sur les terres des autochtones. Des chefs d’équipes de surveillance sont également menacés de licenciement.

De plus, le Congrès brésilien est maintenant prêt à voter une loi, la mesure provisoire (MP) 910, qui a pour but de régulariser toutes les occupations illégales qui ont eu lieu jusqu’en 2018. Jair Bolsonaro, le président brésilien, veut également approuver des projets de loi autorisant l’exploitation minière sur les terres indigènes et la réduction de leur territoire.
La destruction de la forêt nous rapproche rapidement du « point de non-retour »
Tous ces facteurs cumulés engendrent la violence et la maladie chez les peuples de la forêt. Le 18 avril, la veille de la Journée des Indiens au Brésil, Ari Uru-Eu-Wau-Wau, 33 ans, a été retrouvé mort roué de coups sur une route de la commune de Jaru, dans l’État du Rondonia. Ari était un défenseur du territoire de son peuple, qui a une longue histoire d’invasion et d’accaparement de terres depuis les années 1970.

Dans un autre village, Alto Alegre, également en Rondonia, le Covid-19 a tué en avril sa première victime chez les Yanomami, un adolescent de 15 ans. La région est entourée d’activités d’extraction d’or illégales. Selon l’agence gouvernementale pour la santé indigène (Sesai), le nombre d’indigènes contaminés triple tous les cinq jours.
Les destructions environnementales en Amazonie pourraient très probablement être à l’origine d’une pandémie telle que celle du Covid-19, dit Carlos Nobre, climatologue et spécialiste des interactions entre le climat et l’Amazonie : « La déforestation tropicale et les incendies modifient radicalement l’équilibre écologique complexe entre les microorganismes et les animaux. Des couloirs de contagion sont constamment, et de plus en plus, créés par les mineurs, les chasseurs, les colons, les bûcherons, les accapareurs de terres, qui peuvent transporter de nouveaux agents pathogènes dans les centres urbains », dit-il. « Marchés de gibier et commerce illégal d’animaux sauvages existent en Amazonie et on ne sait pas pourquoi aucune pandémie zoonotique n’est encore née dans la région, car tous les facteurs de risque y sont présents », dit M. Nobre.
Outre le risque de pandémie qu’elle accroît, la destruction de la forêt sape les efforts de la lutte contre le réchauffement climatique et la sécheresse et nous rapproche de plus en plus du « point de non-retour ». Environ 17 % de l’Amazonie (pas seulement la brésilienne) ont déjà été déforestés. Si les 20 % sont atteints, ce qui pourrait se produire d’ici 15 à 30 ans, selon M. Nobre, le processus de transformation de la forêt en savane sera irréversible. « La Terre présente une limite à sa capacité de restauration. Le changement climatique représente un grand risque de dépasser cette capacité et nous devons réduire d’urgence les émissions de gaz à effet de serre », dit-il.
Le gouvernement demande que la presse soit plus « positive » et « ne montre pas autant d’images de cercueils et de morts » !
Mais le président Jair Bolsonaro n’a cure de ces inquiétudes. Tandis qu’une grande partie du monde reste confinée, il participe à des manifestations qui revendiquent la fin de la quarantaine et la fermeture du Parlement. Son attitude a suscité une crise politique, marquée par les démissions des ministres de la Santé et de la Justice. Interrogé sur le nombre de morts dus à la maladie, il a répondu à un journaliste : « Et alors ? Je suis désolé, mais que voulez vous que je fasse ? Je ne suis pas fossoyeur. »

« Nous avons beaucoup de fossoyeurs malades ici, certains dans un état grave. Je ne sais pas s’il (Bolsonaro) aurait la capacité d’être fossoyeur. J’espère qu’il assume véritablement les fonctions de président et l’une d’elles est de respecter les fossoyeurs », a déclaré dans une interview, en pleurant, Arthur Virgilio Neto, le maire de Manaus, capitale de l’État du Amazonas, où la capacité des hôpitaux et du système funéraire a déjà craqué. Des fosses communes y sont ouvertes pour des enterrements collectifs.
Selon les données officielles, jeudi 30 avril, il y avait 78.162 cas d’infection au Covid-19, qui a provoqué la mort de 5.466 personnes. Cependant, une étude de l’Observatoire Covid-19 BR, qui rassemble des chercheurs d’universités brésiliennes et étrangères, estime que le nombre réel pourrait être au moins neuf fois supérieur compte tenu de la sous-déclaration des cas et du délai entre la survenue des morts et leur enregistrement dans les statistiques publiées par le gouvernement. Selon l’étude, 53 % des décès prennent plus de dix jours pour être notifiés. Selon le données du London Imperial College, le Brésil a actuellement le taux de contagion le plus élevé au monde. Selon cette étude, le Brésil et les États-Unis sont les deux pays avec le taux de mortalité le plus élevé attendu pour la semaine prochaine
Malgré les critiques de Bolsonaro, les gouverneurs de plusieurs États brésiliens maintiennent des mesures de confinement, qui n’ont pourtant jamais été aussi restrictives qu’en Chine ou en Europe. Plusieurs assouplissent déjà les mesures et planifient leur fin.
De son côté, le ministre en chef du secrétariat du gouvernement, Luiz Eduardo Ramos, demande que la presse soit plus « positive » et « ne montre pas autant d’images de cercueils et de morts ».