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Aux régionales, l’alliance à gauche relève du miracle

À l’exception de deux listes d’alliance présentées comme des miracles, les partis de gauche privilégient partout pour les élections régionales leur ambition présidentielle. Certains conservent l’espoir ténu de faire front commun autour de ce qui les rassemble, grâce à la participation des citoyens.

L’union fait la force, mais faire l’union relève du tour de force. De prime abord, tout le monde paraît d’accord : Verts et rouges doivent s’associer afin d’espérer arracher quelques régions à la droite lors des élections des 20 et 27 juin prochains. Sauf que, dans les faits, la gauche piétine en ordre dispersé. Signe de ces temps houleux, les rares alliances conclues sont brandies tels des prodiges. « C’est inédit, incroyable », dit ainsi à Reporterre Lucie Étonno, tête de liste écologiste en Vendée, après l’annonce d’une alliance de son parti avec la France insoumise en Pays de la Loire, jeudi 15 avril. Quant à la liste écolo, socialiste, communiste et insoumise constituée derrière l’eurodéputée Karima Delli (EELV) dans les Hauts-de-France, elle relèverait carrément du « miracle », selon la formule du député François Ruffin.

Partout ailleurs, le rassemblement a en effet du plomb dans l’aile. Il y aura ainsi au moins deux listes de gauche en Normandie, Centre-Val de Loire, Grand Est et Pays de la Loire ; trois listes dans les autres régions. Les désaccords de fond entre formations apparaissent pourtant minimes : « Sur le programme, sur la base, on est tous d’accord », affirme Caroline Fiat, députée insoumise qui œuvre dans le Grand Est pour une union autour d’un « Appel inédit ». Défense du rail et des services publics, contreparties sociales et écologiques aux subventions régionales… les points d’entente sont nombreux. « Ces élections sont celles pour lesquelles nous convergeons sur le fond, constate aussi Paul Vannier, responsable des élections à la France insoumise. Nos principaux désaccords — sur le rapport aux traités européens, à la laïcité — ne relèvent pas de compétences régionales. » Dès la fin de l’année dernière, son parti s’était ainsi positionné en faveur de larges alliances, avec deux préalables, suffisamment consensuels d’après M. Vannier : « Des programmes de rupture avec le productivisme et le libéralisme et des listes totalement indépendantes de la Macronie. »

« Arriver forts autour de la table des négociations sur la présidentielle »

Alors, qu’est-ce qui coince ? 2022, et ses élections présidentielle et législatives. « Les Verts entendent profiter de ces élections régionales pour se compter, engranger des scores afin d’arriver forts autour de la table des négociations sur la présidentielle, observe Vanessa Jérôme, politiste spécialiste du parti écolo. Ils veulent marquer le pas, échéance après échéance, pour imposer à défaut d’un candidat, au moins un programme. » D’où « une attitude très hégémonique, très dominatrice, qui est le plus gros obstacle », à en croire M. Vannier. « Comme on a choisi d’avoir des listes écolos dans toutes les régions, on arrive partout avec une tête de liste et un programme, ce qui ne facilite pas les négociations », reconnaît volontiers Alain Coulombel, l’un des porte-paroles d’EELV.

La liste écolo, socialiste, communiste et insoumise constituée derrière l’eurodéputée Karima Delli (EELV) dans les Hauts-de-France relèverait du « miracle », selon la formule du député François Ruffin.

À la direction nationale des Verts, on balaie les accusations d’hégémonisme — « nous sommes les seuls à gauche à avoir retiré notre candidat lors des présidentielles de 2017 », a rappelé Julien Bayou lors d’une conférence de presse début avril — et on met en avant le fédéralisme du parti : « On laisse chaque région décider de sa stratégie », explique le secrétaire national, également tête de liste en Île-de-France. Les rapprochements se font donc au cas par cas, selon les configurations et les rapports de force locaux : les Verts partiront ainsi avec le Parti socialiste en Normandie et dans le Grand Est, avec la France insoumise en Pays de la Loire et Centre-Val de Loire, avec des partis régionalistes en Bretagne ou en Occitanie.

« Chacun veut sa part du gâteau. »

Autre obstacle à surmonter sur le chemin du rassemblement, la position — qualifiée elle aussi d’hégémonique — du Parti socialiste. Car en dépit de ses précédentes défaites électorales, le parti à la rose reste bien ancré localement. Il dirige toujours cinq des onze régions métropolitaines, et compte profiter de la « prime au sortant » pour se faire réélire… et renflouer des caisses bien vides. Quitte à partir seul. En Centre-Val de Loire, les négociations entre organisations politiques ont vite tourné court, car « le président sortant, le socialiste François Bonneau, a annoncé très tôt qu’il voulait être tête de liste, ce qui était incompatible avec notre démarche », note Charles Fournier, son challengeur Vert. Même son de cloche en Occitanie ou en Nouvelle-Aquitaine. « Chacun veut sa part du gâteau, ce n’est pas plus bête que ça, au risque d’amplifier l’émiettement de la gauche », constate, amer, Alain Coulombel.

Pour ne rien arranger, chaque parti se targue d’être l’instigateur du rassemblement — « le trait d’union possible », selon l’écologiste Charles Fournier ou « le plus grand dénominateur commun », pour l’insoumis Paul Vannier — et renvoie aux autres la responsabilité de la division. À grands coups de sondages, les organisations revendiquent leur prééminence, afin de convaincre les autres de se ranger derrière elle. Ainsi, en Île-de-France, EELV met en avant une enquête d’opinion montrant que « Julien Bayou est le seul candidat qui peut l’emporter face à Valérie Pécresse au second tour ». Dans le Grand Est, un sondage publié en février donnait la liste de l’Appel inédit à 16 % et la candidate écologiste Éliane Romani à 10 %, laissant espérer « une liste unique, autour de notre Appel », selon Caroline Fiat. Depuis, PS et PC ont rejoint EELV, et les négociations entre les deux listes ont tourné au vinaigre.

Rejet du Parti socialiste

Et, même quand l’union est souhaitée, il faut souvent de longues heures de discussion avant d’aboutir, tant les défiances sont nombreuses. « Pour beaucoup de militants écolos, l’alliance à gauche signifie s’allier avec des partis qui ont déçu — c’est le cas du Parti socialiste, souvent vu comme méprisant, condescendant, analyse Vanessa Jérôme. Quant à la France insoumise, elle est vue comme le parti qui empiète sur les plates-bandes des Verts ; sans oublier que nombre d’écolos rejettent la forme de présidentialisme incarnée par Mélenchon. » Ainsi, EELV s’est parfois contenté d’une alliance minimale avec d’autres « petits » partis écologistes : Génération écologie — la formation de Delphine Batho -, CAP 21 — le parti lancé par Corinne Lepage -, ou Génération.s — l’organisation présidée par Benoît Hamon.

Résultat, « on va offrir plusieurs régions à la droite sur un plateau », estime Alain Coulombel. Pour le porte-parole d’EELV, ces élections régionales sont une « occasion manquée » qui pourrait coûter cher aux forces progressistes : « Ce n’est pas très réjouissant comme type de scénario par rapport à la préparation de la présidentielle, dit-il. Si on arrive pour 2022 avec cet état d’esprit, c’est raté d’avance. » « Il existe une forte attente de ce fameux “peuple de gauche” de voir la gauche s’unir en faisant table rase du passé, mais ce n’est pas ce qu’il se passe, observe aussi Vanessa Jérôme. Il y a une forme de disjonction, de décalage qui ne sera pas résolu avec ces régionales. »

Analyses partagées et vitalité citoyenne

Dans les Hauts-de-France cependant, Karima Delli veut faire mentir les pessimistes, partageant volontiers sa recette « pour réussir l’union » : « Nous sommes d’abord partis d’une analyse partagée de la situation, a-t-elle expliqué lors d’une conférence commune avec Matthieu Orphelin. À partir de là, nous avons fait émerger un objectif commun : sortir cette région de la dérive dans laquelle l’a plongée la droite, et transformer la vie des gens. » L’eurodéputée affirme aussi s’être appuyée sur son expérience à Bruxelles « pour construire une large majorité, en mettant en avant ce qui nous rassemble et sans occulter nos divergences ». Selon l’insoumis Paul Vannier, cette démarche « respectueuse de chaque partenaire » a été la clé du succès nordiste.

Clémentine Autain (FI), Julien Bayou (EELV), Éric Piolle (EELV), Audrey Pulvar (PS) et Matthieu Orphelin (mouvement Ecologie Démocratie Solidarité), unis en mars 2020, à Grenoble.

En Centre-Val de Loire également, on espère insuffler un vent d’espoir : l’alliance entre EELV, LFI et une myriade d’autres formations politiques a été rendue possible par une forte dynamique citoyenne, explique Charles Fournier, tête de liste écolo : « Quand on a des citoyens présents en force, ce ne sont plus des négociations entre partis qui se passent, mais une construction réellement collective, insiste-t-il. Il faut dépasser les forces politiques, sans les effacer. Les partis sont en soutien de la démarche citoyenne, et notre programme et notre liste sont partis d’en bas, des territoires. » À ses côtés, sa directrice de campagne, Claire Veret, également militante pour le climat, opine : « Les citoyens apportent une vitalité et une exigence, tandis que les partis apportent leur connaissance des institutions et des rouages, dit-elle, c’est gagnant-gagnant ». 40 % des places éligibles de leur liste sont réservées à des personnes non encartées. Même scénario en Pays de la Loire, où un tiers des candidats devrait être hors parti : « La présence de citoyens nous a aidés à sortir des querelles de partis », constate Lucie Étonno.

Pour Claire Veret, ces pratiques de démocratie directe sont « régénérantes et inspirantes. Pour la présidentielle il faut que ça parte du bas, que citoyens et politiques travaillent ensemble sur un projet et une méthode avant de parler de la liste. Le mouvement militant n’y arrivera pas tout seul et le mouvement politique non plus. »

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