À la découverte des plantes sauvages et comestibles du littoral

De la salicorne et de l’obione : en Gironde, la cuisinière Laurence Dessimoulie agrémente ses plats de plantes sauvages. - © Émilie Massemin / Reporterre
De la salicorne et de l’obione : en Gironde, la cuisinière Laurence Dessimoulie agrémente ses plats de plantes sauvages. - © Émilie Massemin / Reporterre
Durée de lecture : 9 minutes
Nature Alimentation La balade du naturalisteSalicorne, obione, criste... Laurence Dessimoulie, cuisinière en Gironde, est adepte de cueillette sauvage. Elle qui veut partager tous azimuts ce « compagnonnage » avec les plantes a emmené Reporterre en balade culinaire.

Ce reportage s’inscrit dans notre série La balade du naturaliste : une randonnée à la découverte d’une espèce ou d’un milieu exceptionnel, en compagnie d’une ou d’un passionné.
Soulac-sur-Mer (Gironde), reportage
C’est au port de Neyran, tout au bout du chenal, que Laurence Dessimoulie nous a donné rendez-vous. Là, l’immensité de l’estuaire de la Gironde ne semble avoir d’égale que le ciel au-dessus. L’air de juillet, déjà chaud malgré les nuages, laisse sur les lèvres un petit goût de sel. Mais le tapis vert-de-gris qui s’étend à perte de vue n’a rien d’aquatique : il s’agit de salicornes et d’obiones, dont la cuisinière a bien l’intention de remplir ses besaces.
Il est 10 heures du matin, la marée est basse, des conditions idéales pour la cueillette. « La salicorne et l’obione sont des plantes halophiles, qui savent synthétiser le sel. Pour s’épanouir, elles ont besoin d’être régulièrement couvertes d’eau de mer », explique Laurence Dessimoulie en s’accroupissant au milieu des touffes, le visage bien protégé par un chapeau blanc. Elle sort deux petites boîtes en plastique hermétiques de son sac et pince le haut d’une tige de salicorne. « Je cueille tout ce qui est tendre. Après, la tige se rigidifie et, au bout d’un moment, elle rougit et n’est plus du tout bonne. » Juste à côté, une obione dresse ses minuscules feuilles succulentes, aux jolis reflets argentés. « Certains la surnomment chips pour son petit côté craquant, sourit la cuisinière. C’est rafraîchissant, salé, un sel très nutritionnel, très riche en sels minéraux. »

Pendant que ses mains s’activent, elle réfléchit à voix haute aux bons petits plats qu’elle pourra cuisiner le lendemain aux jeunes d’un centre de loisirs qu’elle doit recevoir en atelier. « Avec la salicorne, je vais faire des rillettes de sardines. Peut-être aussi une quiche ou un clafoutis avec du fenouil sauvage, très anisé, qu’on a croisé sur le chemin. » L’obione, elle, devrait finir en pesto, à mélanger avec un petit chèvre frais sur des toasts. « Je mixe des graines de courge ou de tournesol, un petit oignon blanc ou de l’ail, mon huile préférée et un petit antioxydant – vinaigre de cidre pour moi. Puis, pour garder leur côté croquant, je cisèle les plantes que je rajoute à la préparation, en ayant veillé à bien les laver – je lave toujours trois fois dont une avec du vinaigre blanc, en frottant bien. » Une gourmandise qui se conserve bien recouverte d’huile jusqu’à une semaine au réfrigérateur, si elle n’est pas dévorée avant.
« Le sauvage porte en lui énormément d’éléments nutritionnels »
Installée à Naujac-sur-Mer, Laurence Dessimoulie est cuisinière indépendante et écoresponsable depuis 2004. Mais son engagement est bien plus ancien. « Mes grands-parents étaient déjà dans le bio et nous ont sensibilisés aux problématiques environnementales, à une époque où ceux qui parlaient de ça étaient considérés comme fous et marginaux », se souvient-elle. Passionnée par la richesse nutritionnelle des aliments, elle rejoint le réseau Semences paysannes en 2006. « Dès que vous clonez, que vous faites des hybrides F1, F2, non seulement vous vous appropriez le vivant, mais vous entraînez une perte de vitalité nutritionnelle, des sols, des ventres, des pensées. » C’est par ce biais-là qu’elle en vient à s’intéresser à la cueillette. « Le sauvage n’a pas été bichonné et donc porte en lui énormément d’éléments nutritionnels, explique-t-elle. Les chénopodiacées [une famille à laquelle appartiennent les épinards sauvages, l’arroche, la bette maritime, les salicornes…], les orties contiennent les huit acides aminés qui permettent d’assimiler directement une protéine, ce que n’ont plus les légumes cultivés car ils ont été sélectionnés. »

Les possibilités ne manquent pas. La butte dunaire du port de Neyran regorge de merveilles pour les yeux et les papilles. La fleur jaune éclatante de l’onagre, « pour agrémenter les salades de fruits mais surtout à croquer en chemin pour sa douceur ». L’origan sauvage et ses fleurs regroupées en pompons violets, « excellent en infusion, sur les pizzas ou pour parfumer l’huile – mettre quelques sommités fleuries dans une bouteille, garder dix jours au frais et à l’abri de la lumière, c’est un régal ! » Ou même, à l’abri des regards sur un empierrement, les ombelles blanches de la criste marine à la saveur citronnée, dont la cuisinière aime agrémenter les huîtres achetées localement.

Autre territoire de jeu, la forêt. « Je travaille avec les jeunes aiguilles de pin, une ressource extrêmement abondante. Surtout condimentaires, car elles contiennent des huiles essentielles très puissantes comme la térébenthine, utilisées dans la pharmacopée pour les bronches mais qui peuvent abîmer les organes à haute dose. » Entre ses mains, ces épines familières se transforment en infusions ou donnent du pep’s à des gravlax. L’automne, elle parcourt la forêt de chênes-lièges de Saint-Isidore, à côté de chez elle, à la recherche de glands. « Ses glands sont plus doux que ceux du chêne vert, beaucoup plus âpres. On peut en faire des pâtés de glands, une source intéressante de glucides. »
Pas question d’opposer agriculture et cueillette sauvage
Pour autant, pas question d’opposer agriculture et cueillette. « Je ne suis pas dans une démarche “survival” du “tout sauvage”. Je cueille avec parcimonie, en utilisant les sauvages comme condiments en accompagnement d’une bonne alimentation issue de paysans bio », insiste la cuisinière. Elle a fondé la première Amap du Médoc il y a une dizaine d’années. Les sardines en boîte éthiques et millésimées qu’elle utilise pour ses rillettes proviennent des Fermiers toqués du Médoc, une maison de producteurs à Cissac-Médoc. Elle s’approvisionne en huiles de tournesol et de colza à Graines de Mattes, une ferme familiale de Saint-Vivien-du-Médoc. « Parfois, je vais même cueillir chez des maraîchers bio, dit-elle en riant. C’est l’ethnobotaniste Gérard Ducerf qui disait que les plantes cultivées et adventices qui poussent ensemble s’équilibrent nutritionnellement. Ça a du sens de les cuisiner ensemble. »
De cette philosophie, elle a tiré une petite dizaine de livres parmi lesquels Savourez les plantes sauvages de l’estuaire (éditions Sud-Ouest, 2019), Cuisine bienveillante (éditions Sud-Ouest, 2021) et Cueillette et recettes (éditions Sud-Ouest, 2023). Une manière pour elle de partager avec le plus grand nombre ce « compagnonnage » de longue date avec les plantes, tel qu’elle l’appelle en référence au livre La plante compagne (Actes Sud, 2021) de Pierre Lieutaghi. Et de partager, aussi, les valeurs écologistes qui y sont associées. « Ces valeurs qui m’habitent, je peux les partager par ce biais car tout le monde mange, explique-t-elle. Il y a vingt ans, je ne disais même pas que je cuisinais des produits bio. Dire d’entrée de jeu qu’il faut manger bio, ça ne marche pas ; mais une émotion gustative partagée peut créer un point de bascule. » De ce point de vue, les mentalités changent : depuis quelques années, elle constate qu’elle est de plus en plus sollicitée pour des ateliers cuisine et cueillette, y compris par des acteurs institutionnels.

Elle en profite pour transmettre les bonnes pratiques : cueillir uniquement lorsqu’on est sûr « à 150 % » de bien connaître la plante ; bien la laver ; la faire blanchir quelques secondes si on la sert à des personnes fragiles, pour éliminer le risque parasitaire. « Mais il faut considérer ces risques avec bon sens, ils existent aussi avec les fraises et le persil du jardin », relativise-t-elle. Et, évidemment, ne pas abîmer le milieu. « Souvent, les gens me disent que la cueillette est gratuite. Non, ce n’est pas gratuit ! Il faut avoir cette attitude de gratitude et comprendre que si l’on abîme le paysage, la nature va se retourner contre nous. » L’ail des ours a ainsi été victime de son succès, au point que de nombreuses stations ont été saccagées, déplore-t-elle.

Les plantes sauvages subissent aussi le changement climatique. Le souchet, une plante typique du Sud dont Marocains et Espagnols tirent une boisson baptisée la chufa, s’est récemment installée dans le Médoc. L’obione et la salicorne remontent l’estuaire, au fur et à mesure que la Dordogne et la Garonne baissent en débit et que le niveau de la mer s’élève. Un des deux spots secrets d’ail des ours de la cuisinière n’a rien donné, probablement à cause de la sécheresse. « Nous sommes le 23 juillet, et les mûres sont déjà là », illustre Laurence Dessimoulie, en cueillant une petite baie noire tendre et sucrée à souhait. Mais le plaisir de la cueillette peut être un puissant rempart contre l’écoanxiété. « En toute saison, il y a quelque chose à cueillir, en abondance. C’est joyeux ! La cueillette porte en elle un message positif, d’autonomie et surtout de compagnonnage avec notre milieu. Elle nous calme et nous ancre. »
LES RILLETTES DE SARDINES AUX SALICORNES DE LAURENCE
Pour un pot de rillettes :
- Une poignée de sommités très tendres de salicornes fraîchement cueillies,
- Une boîte de sardines à l’huile d’olive (pêche responsable et huile d’olive bio bien sûr !),
- Une cuillère à soupe de moutarde à l’ancienne,
- Une gousse d’ail, un petit oignon frais ou une échalote,
- Quelques câpres (facultatif),
- Une cuillère à café de vinaigre de cidre,
- Poivre du moulin.
Cueillez une poignée de sommités très tendres de salicornes. Rincez-les soigneusement et faites-les blanchir quelques secondes dans l’eau bouillante. Passez-les aussitôt sous l’eau froide. Elles gardent ainsi une jolie couleur verte et restent croquantes. Dans un bol, écrasez le contenu d’une boîte de sardines à l’huile d’olive (pêche responsable et huile d’olive bio bien sûr ! ) avec une cuillère à soupe de moutarde à l’ancienne, une gousse d’ail écrasée, un petit oignon frais ou une échalote finement ciselée, deux tours de moulin à poivre, quelques câpres et une cuillère à café de vinaigre de cidre. Ajoutez les salicornes, au besoin recoupées aux ciseaux. Mélangez bien et laissez au frais quelques heures afin que les arômes se mélangent bien.
À déguster sur du pain grillé, des crackers ou comme garniture de petites tomates !