C’est un fait : les femmes sont plus écolos que les hommes

Cette femme produit elle-même ses fruits et légumes en agriculture urbaine dans un jardin partagé de Dinan, en Bretagne, en septembre 2020. - © Martin Bertrand / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP
Cette femme produit elle-même ses fruits et légumes en agriculture urbaine dans un jardin partagé de Dinan, en Bretagne, en septembre 2020. - © Martin Bertrand / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP
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FéminismeÉcoresponsables, avec un régime sans viande, sensibles au zéro déchet… Les femmes sont bien plus écolos que les hommes. Une bonne chose pour la planète, moins pour les femmes : cela alourdit leur charge mentale quotidienne.
Les femmes, plus écolos que les hommes ? Les études scientifiques se suivent, se ressemblent et confirment cette énième inégalité. À table, les hommes émettent en moyenne 41 % de gaz à effet de serre de plus que les femmes, d’après une étude britannique de 2021. La faute principalement à leurs assiettes trop garnies de steak et en charcuterie. À l’inverse, 70 % des végétariens sont… des végétariennes. Une différence qui pèse lourd sur la balance climatique, puisque l’élevage est responsable de 14,5 % des émissions de gaz à effet de serre à l’échelle mondiale.
Les hommes sont également de mauvais élèves en matière de transport. Ils se déplacent plus et sur de plus longues distances que les femmes : 118 kilomètres par semaine, d’après le Forum Vies mobiles. Avec à la clé 16 % d’émissions de CO2 de plus, notamment en raison de leur usage plus prononcé des véhicules à quatre roues, a évalué une étude suédoise de 2021.
Globalement, la gent masculine est à la traîne quand il s’agit d’adopter un mode de vie plus écolo. Le zéro déchet est une pratique majoritairement féminine, à en croire les salariés — ou plutôt les salariées — des associations de sensibilisation. « J’ai environ 95 % de femmes dans mes ateliers. La présence d’un homme est exceptionnelle », expliquait ainsi à Reporterre Joséphine Dabilly, animatrice d’Ateliers zéro déchet à Nantes.
Ceci, alors que les pratiques écolos du quotidien peuvent se révéler chronophages, répétitives voire pénibles. Les sociologues Michèle Lalanne et Nathalie Lapeyre ont évalué à 202 heures le travail domestique supplémentaire induit par l’utilisation de couches lavables pour un enfant de sa naissance à ses trois ans — un surcroît de tâches largement supporté par les femmes.
Les femmes préservent davantage les ressources
Cette attention accrue que les femmes portent à l’environnement se retrouve bien au-delà du foyer. Les cheffes d’exploitation sont proportionnellement plus nombreuses à se tourner vers l’agriculture biologique — 13 % de plus que dans les non bio — et vers les circuits courts et la vente directe, observait Oxfam dans un rapport de 2023. Dès 2014, une étude de l’Institut de recherche pour le développement (IRD) rapportait que si l’on confie la gestion d’une parcelle à une femme, elle privilégie des semences variées afin d’assurer une alimentation locale et saine à sa communauté, là où un homme mise plutôt sur des cultures de rente pour accroître ses revenus.

Même schéma pour l’exploitation des ressources naturelles. Quand, en 2022, deux chercheuses rennaises en économie comportementale et expérimentale ont proposé à 3 000 volontaires de participer à un jeu de gestion de bois et de poisson, elles se sont rapidement aperçues que les femmes en prélevaient moins que les hommes (2,08 pour les premières, 2,40 pour les seconds). L’écart semble faible, mais aboutit à un stock de ressources 40 % plus élevé chez les femmes au bout de vingt ans.
Trois ans plus tôt, l’expérience menée par des chercheurs étasuniens auprès de plusieurs communautés péruviennes, tanzaniennes et indonésiennes, qui consistait à récompenser la préservation de la forêt par des jetons, avait déjà montré que les groupes composés au moins pour moitié de femmes réduisaient les coupes d’arbres de 51 %, contre 39 % pour les autres.
« La viande est associée à la masculinité, les produits végétariens à la minceur donc à la féminité »
Comment expliquer cette différence ? Pour Sophie Raynaud, doctorante à la Neoma Business School, l’écart se creuse dès le plus jeune âge, par les manières différentes dont petites filles et petits garçons sont élevés. « On conditionne les filles à se projeter dans le futur et à faire attention aux autres, aux enfants et à l’environnement, explique-t-elle à Reporterre. Les garçons, eux, sont plus éduqués dans la compétition et l’individualisme. »
Ajoutez à cela le fait que les femmes accomplissent la majeure partie du travail domestique, et vous comprendrez pourquoi ce sont elles qui impulsent la transition écologique dans leur foyer, complète Magali Trelohan, enseignante-chercheuse à la South Champagne Business School et spécialiste des questions de genre et de comportements pro-environnementaux : « Cela rend plus facile pour elles de se mettre à acheter bio et naturel, zéro déchet, ou à faire des économies d’énergie. »

Autre piste, la puissance de certains stéréotypes bien ancrés. En 2016, des chercheurs travaillant sur les liens entre les codes de virilité et les comportements écoresponsables avaient observé qu’une personne utilisant un sac réutilisable était perçue comme plus « féminine » qu’une autre utilisant un sac en plastique. Ce type d’association explique très bien l’appétit persistant des hommes pour la viande. « La viande est associée à la masculinité, à la force physique voire à la chasse, explique Magali Trelohan. Quant aux produits végétariens, ils renvoyaient plutôt à la minceur et donc à la féminité. »
« Des années 1960 à nos jours, 90 % des personnages végétariens sont des femmes »
La thèse de Sophie Raynaud est consacrée pour partie à la représentation des végétariens dans la pop culture. « Des années 1960 à nos jours, 90 % des personnages végétariens sont des femmes, soupire-t-elle. Et des femmes jeunes, un peu barrées, avec des looks de hippies, qui vont participer à des actions écologiques extrêmes. Ainsi, Phoebe, dans la série Friends, est une “tree-hugger”, c’est-à-dire qu’elle grimpe dans les arbres pour les protéger. »
Les habitudes et les représentations sont tenaces. Mais les hommes ne sont pas définitivement perdus pour la cause, affirment les chercheuses. En menant quelques expérimentations, Magali Trelohan et son équipe se sont rendu compte qu’à partir du moment où les hommes goûtaient des produits végétariens dans le cadre de dégustations, ils cessaient de les associer à la féminité. « C’est quelque chose de facile à mettre en place, se réjouit-elle. Et c’est un bon début, car selon les théories de l’engagement, encourager les gens à adopter un comportement écolo pas trop coûteux pour eux peut les amener vers un engagement plus fort. »
Pour Sophie Raynaud, il est possible — et urgent — de faire évoluer les représentations. « Les financements des films et des séries pourraient être conditionnés à un placement de produit version écolo, avec des personnages qui boivent dans des gourdes plutôt que dans des bouteilles en plastique ou qui vont faire les courses avec des tupperwares pour ne pas revenir avec des emballages jetables », imagine-t-elle. Le changement risque quand même d’être long et difficile. Mais comme le disait avec optimisme Claire Duliere, de Zéro Déchet Lyon, à Reporterre, « on commence à voir un changement. Le déclic est en train de se faire ».