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PortraitAgriculture

Fierté, déceptions... Six agricultrices racontent

Pénibilité physique, production souffrant de la sécheresse, fierté de leur métier... Six agricultrices de Loire-Atlantique nous ont partagé leur quotidien et leur inquiétude de l’avenir.

Loire-Atlantique, reportage

Marjolaine, Élodie, Laurianne, Guillemette, Réjane, Mélanie. Elles sont toutes engagées dans une agriculture biologique et en vente directe. Ces six agricultrices de Loire-Atlantique font partie des 26 % de femmes agricultrices. En 2020, seules 16,9 % des exploitations et entreprises agricoles étaient dirigées par des femmes exclusivement. Dans les années 1970, elles étaient à peine 8 %.

Si elles restent moins nombreuses que les hommes, ces agricultrices sont néanmoins plus engagées qu’eux dans des productions en agriculture biologique et en vente directe aux consommateurs. Ces femmes pratiquent un retour à la paysannerie, en lien direct avec les habitants de leur région. Selon ce sondage de 2022, elles sont heureuses de leur métier, mais inquiètes pour leur avenir.

C’est aussi ce qui ressort de nos rencontres avec ces six agricultrices de Loire-Atlantique. Au fil des saisons d’une année 2022 marquée par la sécheresse, la crise énergétique, l’inflation galopante et la crise de la bio, Reporterre a suivi leur quotidien pour comprendre comment elles envisagent le futur.

Marjolaine : « Je suis fière de ce que je fais »

En fin de journée, en pleine saison des agnelages au printemps dernier, Marjolaine rentre son troupeau à la bergerie en passant entre ses rangs de pommiers. © Maylis Rolland / Reporterre

Marjolaine est ingénieure agronome. Sur les bords de Loire, près des vignes de ses parents, elle élève depuis 2020 une cinquantaine de brebis belle-île sous des pommiers qu’elle convertit en bio. Elle produit des pommes et du lait, qu’elle transforme en yaourts et glaces et vend à la ferme et au marché, avec un certain succès. Malgré les horaires à rallonge, jusqu’à 70 heures par semaine, Marjolaine gère sa ferme avec autant de rigueur que d’amour pour ses animaux.

« J’ai besoin d’avoir un métier concret et de sentir que ce que je fais a du sens. Je trouve ça rassurant de produire de la nourriture saine. C’est un métier dur et prenant mais essentiel, dans lequel je me sens libre et fière de ce que je fais. »

Jusqu’à maintenant, ses ventes n’ont pas baissé, mais face à la crise, Marjolaine a des craintes pour la suite. Elle commence aussi à s’interroger sur la gestion de la ferme le jour où elle voudra avoir un enfant, la durée du congé maternité lui semblant nettement insuffisante au regard de la pénibilité physique de son métier.

Guillemette : « Je ne peux pas continuer à m’endetter »

En plein été, Guillemette récolte des aubergines et des tomates sous un de ses tunnels, pour préparer sa livraison d’un magasin biologique local. Sa production souffre de la sécheresse, et Guillemette de tendinites aux épaules. © Maylis Rolland / Reporterre

Depuis quatre ans, Guillemette est maraîchère sur un plateau au bord de la Loire. Avec très peu de ressources financières, elle a créé seule son exploitation. Quand sa compagne, Alex, mère de trois enfants, est entrée dans sa vie, Guillemette a ouvert avec elle un magasin à la ferme.

Malgré des chiffres de vente respectables, Guillemette est confrontée à des charges trop importantes et ne parvient pas à se payer. Après un incendie en 2020 et un cambriolage en 2021, la sécheresse de l’été 2022 a tué une partie de sa production. Elle vient de décider que cette saison serait la dernière. Elle arrêtera son activité début 2024.

« Quand j’étais seule, il n’y avait que moi dans la misère. Mais aujourd’hui, j’engage ma famille dans mon projet, et dans mes problèmes. Je suis toujours convaincue qu’il faut travailler en bio, mais je ne peux pas continuer à m’endetter pendant des années pour garder mon jardin. Tous les ans, mes collègues se posent aussi la question d’arrêter. C’est épuisant. J’aspire à une vie plus paisible. Je ne demande pas à être riche, mais au moins de pouvoir acheter des habits aux enfants. »

Réjane : « On doit s’adapter, mais il faut aller plus vite »

La traite dure deux heures, matin et soir. « Quand les enfants étaient petits, c’était pratique car j’étais juste à côté de la maison. J’aime bien ce moment, je peux déconnecter. Et finalement, c’est là que je suis le plus en contact avec les animaux. » © Maylis Rolland / Reporterre

En Gaec (groupement agricole d’exploitation en commun) avec son mari, Brice, Réjane élève quatre-vingts vaches laitières. Une partie du lait est vendue en vrac à la ferme, où le couple vend aussi la viande de leurs bœufs et de leurs porcs. Leurs ventes n’ont pas baissé, mais ils font face à la hausse des prix de l’énergie et à la faible valorisation du bio, vendu quasiment au prix du conventionnel.

Et surtout, Réjane et Brice se sentent frappés de plein fouet par le changement climatique. « Notre système est résilient, car ça fait dix ans qu’on entretient les arbres et les cours d’eau. On sème en prairie des plantes à racine pivotante, chicorée, plantain, luzerne… mais aujourd’hui, avec la sécheresse continue depuis l’été dernier, on n’a plus de fourrage, et on n’est pas les seuls. Si l’herbe ne recommence pas à pousser bientôt, ça va être compliqué. Le risque, à terme, c’est qu’on diminue tous notre production. »

Réjane n’en perd pas son sourire habituel : « On se pose des questions tout le temps. C’est ça, le métier de paysan, depuis la nuit des temps, on doit s’adapter, mais il va falloir aller plus vite. On est convaincus par le bio et la nécessité de sortir des énergies fossiles, mais on manque de soutien et de prise de conscience sociétale concernant l’importance de l’alimentation. »

Élodie : « Le bio reste une évidence pour moi »

Élodie nourrit ses poules, qu’elle a été contrainte d’enfermer pendant la grippe aviaire au printemps. « Elles ont mal vécu l’enfermement, et nous aussi. Elles se piquaient, je ne les avais jamais vues dans cet état. Et pour nos poulets, les visites obligatoires du vétérinaire la veille des abattages ont généré des coûts et encore plus de stress. » © Maylis Rolland / Reporterre

Après avoir été secrétaire, Élodie a créé sa ferme en 2015 pour élever des poules pondeuses et des volailles de chair. « En tant que femme, il faut juste adapter tes outils pour qu’ils soient à ta portée physiquement, mais ça ne pose pas de problème. » Cinq ans plus tard, son mari, Antoine, s’est installé en Gaec avec elle.

D’un naturel sociable, Élodie vend ses œufs et poulets à la ferme et alentour. Mais cette année, l’augmentation de toutes leurs charges met l’activité du couple en péril. « J’ai augmenté mes prix, mais je ne répercute pas la totalité des hausses, sinon, on ne va plus exister que pour peu de gens, et ce n’est pas ce que je veux. Le bio reste une évidence pour moi, mais on n’est pas soutenus, et je vois les élevages disparaître autour de moi… c’est triste. »

Laurianne : « Je me dis toujours que je ne suis pas la priorité »

Laurianne au milieu de son troupeau de 200 chèvres alpines laitières. © Maylis Rolland / Reporterre

Laurianne, la grande sœur de Réjane, est à la tête d’une ferme de sept personnes, qu’elle a reprise à la suite de ses parents. Avec son équipe, elle élève des chèvres et transforme leur lait en fromages qu’elle vend à la ferme, au marché et en circuits courts. Elle est aussi engagée dans plusieurs structures agricoles locales, et élève ses trois enfants avec son compagnon, Mickaël. Autant dire que Laurianne connaît le poids des responsabilités et les insomnies : « La place que ça prend dans ma tête est difficile à gérer. Tous mes engagements font l’essence de mon métier et de ce que j’aime, mais je n’ai pas encore trouvé mon équilibre. Je me dis toujours que je ne suis pas la priorité. »

La ferme est économe, mais la crise énergétique effraie Laurianne, car toutes les charges augmentent alors que les marges sont faibles. Et comme Réjane, malgré la proximité des marais, elle est confrontée au changement climatique : « Notre récolte de maïs a été mauvaise à cause de la sécheresse, mais nous a coûté le même prix que si elle avait été bonne, et il a fallu racheter de l’aliment. On pense à nos clients, on les a en face de nous tous les jours, mais je veux aussi que mes salariés restent rémunérés au-dessus du Smic, alors on a augmenté nos prix de 4 % en 2022. Nos ventes sur les marchés sont stables, mais il faut rester humble, la situation peut tourner très vite. J’aimerais que les consommateurs soient plus critiques et vigilants, qu’ils se rendent compte de ce qu’il y a derrière un prix. »

Mélanie : « Il y a beaucoup de femmes en arboriculture »

En remplacement du congé maternité d’une exploitante, Mélanie (avec l’aide de Marie, employée agricole, de dos) paille le sol pour planter des mûriers. « Il y a beaucoup de femmes en arboriculture. On fait avec nos corps, nos moyens, on se transmet nos compétences et ça nous donne confiance en nous. » © Maylis Rolland / Reporterre

Mélanie était designer avant d’obtenir en 2022 un brevet de responsable d’entreprise agricole (BPREA) en arboriculture : « J’ai surtout appris à faire de la monoculture de pommes. À chaque traitement, chaque utilisation de machine énergivore, je me disais qu’il y avait un problème. » Alors, elle continue à se former pour produire autrement, sans pesticides et avec une gestion sobre de l’eau et de l’énergie.

Elle a travaillé sur plusieurs fermes et cherche actuellement des terres, proches de chez elle pour respecter un équilibre avec sa vie de famille, pour s’installer et produire des plantes aromatiques et petits fruits, qu’elle souhaite transformer en confitures et boissons. « La transformation me laisse la possibilité de produire des fruits sans pesticides, petits et pas forcément jolis, mais pleins de nutriments, et de conserver mes bocaux dans une cave plutôt qu’une chambre froide énergivore. »

Femme, agricultrice bio et « nima » (non issue du milieu agricole), elle détonne parfois dans un réseau agricole local dominé par des éleveurs conventionnels, mais elle y est habituée et son énergie compense. Elle s’inquiète cependant de l’accaparement des terres, mises en vente par des agriculteurs partant à la retraite, par de grandes entreprises : « Il n’y a pas assez d’agriculteurs repreneurs, et la plupart des fermes sont trop grandes et trop chères pour eux. »

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