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Climat

Cinq ministres français poursuivis pour inaction climatique

Cérémonie militaire du 14 juillet 2020 en présence des cinq ministres poursuivis, sur la place de la Bastille à Paris.

L’eurodéputé Pierre Larrouturou, la militante écologiste Camille Étienne et le réalisateur Cyril Dion ont déposé plainte, mercredi 16 juin, contre cinq ministres français. Ils les accusent de ne pas agir face à l’urgence climatique et veulent les «  mettre face à leurs responsabilités personnelles  ».

Cette fois, ce n’est plus l’État ou le gouvernement qui est visé, mais les ministres eux-mêmes. Mercredi 16 juin, l’eurodéputé Pierre Larrouturou, la militante écologiste Camille Étienne et le réalisateur Cyril Dion ont déposé plainte contre cinq ministres français, au motif d’ « abstention de combattre un sinistre » — en l’occurrence, le changement climatique.

Ce délit désigne « quiconque s’abstient volontairement de prendre ou de provoquer les mesures permettant, sans risque pour lui ou pour les tiers, de combattre un sinistre de nature à créer un danger pour la sécurité des personnes ». Il est passible de 2 ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende. D’après les plaignants, cette définition convient parfaitement à la crise climatique actuelle.

« Il est incontestable que le réchauffement climatique constitue un fait dommageable identifié et survenu », peut-on lire dans la plainte de presque 70 pages, rédigée par l’avocate des plaignants, Me Julie Gonidec. Elle évoque les inondations survenues en juin 2016 dans le bassin parisien — qui ont provoqué une perte de rendement du blé de 32 % en France —, les intempéries dans le Var en 2020, ou encore les décès liés à la canicule la même année. Et d’enchaîner : « Ces éléments, connus et documentés, attestent indubitablement que le réchauffement climatique, déjà à l’œuvre, constitue un fait naturel dommageable avéré. Il s’agit donc d’un sinistre au sens des dispositions de l’article 223-7 du Code pénal. »

Mettre les ministres « face à leurs responsabilités personnelles »

Pierre Larrouturou, Camille Étienne et Cyril Dion ont déposé leur plainte devant la Cour de justice de la République (CJR) : elle juge depuis 1993 les membres du gouvernement pour « les actes délictueux ou criminels commis dans l’exercice de leur fonction ». Sont visés : le Premier ministre Jean Castex, la ministre de la Transition écologique et solidaire Barbara Pompili, la ministre du Logement Emmanuelle Wargon, le ministre des Transports Jean-Baptiste Djebbari et le ministre de l’Économie Bruno Le Maire.

« L’État a déjà été condamné plusieurs fois, et on voit bien que même lorsqu’il est condamné à payer 10 millions d’euros d’amende [en juillet 2020, le Conseil d’État a enjoint l’exécutif à prendre toutes les mesures nécessaires pour lutter contre la pollution de l’air, sous peine d’une astreinte de dix millions d’euros par semestre de retard], nous avons l’impression que les ministres s’en moquent, ce n’est pas à eux de payer, dit à Reporterre l’eurodéputé Pierre Larrouturou. Il faut donc les mettre face à leurs responsabilités personnelles en les poursuivant directement. »

Camille Etienne (au centre), avec des jeunes militants écologistes mobilisés pour la loi Climat devant l’Assemblée nationale, début avril. © Lea Dang/Reporterre

Au mois de mars, la Cour de justice de la République a condamné l’ancien ministre de la Défense François Léotard à deux ans de prison avec sursis et 100 000 euros d’amende, dans le cadre de l’affaire Karachi. Preuve, selon Pierre Larrouturou, que cette instance est compétente, peut condamner les ministres et donc les inciter en amont à « se sentir plus responsables ».

Parmi tous les membres du gouvernement, les trois plaignants ont choisi de cibler « les cinq ministres qui sont responsables d’organiser la lutte contre le dérèglement climatique » et qui auraient pourtant accumulé les « renoncements ». Au long des 70 pages du dossier, Me Julie Gonidec rappelle le destin brisé du projet de loi Climat et résilience, élaboré avec une forte ambition par les 150 membres de la Convention citoyenne pour le climat… [1] puis vidé de sa substance par l’exécutif et l’Assemblée nationale. Reporterre a montré que seules 10 % des propositions de la Convention citoyenne avaient été reprises par le gouvernement dans le projet de loi final. Le texte a par ailleurs été fustigé par le Haut conseil pour le climat et par le Conseil économique, social et environnemental et le Conseil national de la transition écologique.

Une plainte pour espérer une taxe sur les transactions financières et une meilleure loi Climat

« À plusieurs reprises, en un an, les ministres en charge de ces dossiers ont pris des décisions amenant à diminuer l’efficacité de la loi Climat et de l’ensemble des politiques de lutte contre la pollution et contre le dérèglement climatique », peut-on lire dans la plainte. Les plaignants ont par exemple identifié le moment où Jean-Baptiste Djebbari a émis un avis défavorable aux amendements visant à privilégier le train aux trajets en avion ; ou encore le moment où Barbara Pompili a repoussé l’interdiction des chaudières au fioul à mi-2022, en arguant qu’il fallait « y aller tranquillement ». « C’est la preuve qu’ils ont une responsabilité personnelle », estime l’eurodéputé Pierre Larrouturou.

La date du dépôt de plainte n’a pas été choisie au hasard. Ce 19 juin, les ministres des Finances européens doivent négocier la mise en place (ou non) d’une taxe sur les transactions financières. Si celle-ci était mise en place à l’échelle européenne, elle permettrait de mettre dans les caisses 60 milliards d’euros, dont 10 milliards pour la France, qui serviraient à financer la transition écologique. « Mais on a la preuve écrite que la France bloque ces négociations », avance Pierre Larrouturou. Cette plainte est donc une façon de « mettre la pression » au ministre des Finances Bruno Le Maire. « Elle pourrait aussi permettre d’avoir une nouvelle loi Climat plus ambitieuse, lorsqu’elle reviendra en juillet à l’Assemblée nationale », espère l’eurodéputé.

Cyril Dion (au centre), avec des jeunes militants écologistes mobilisés pour la loi Climat devant l’Assemblée nationale, début avril. © Lea Dang/Reporterre

Les trois plaignants ont lancé un site internet pour inciter les Français à soutenir leur plainte. Celle-ci va d’abord être examinée par la commission des requêtes (composée de sept magistrats issus de la Cour de cassation, du Conseil d’État et de la Cour des comptes). Si elle est recevable, elle sera transmise à une commission d’instruction (composée de trois magistrats de la Cour de cassation) qui devront ensuite décider (ou non) du renvoi devant la CJR.

Une autre décision de justice concernant l’inaction climatique du gouvernement est attendue dans les prochains jours. Le 11 juin, le rapporteur public du Conseil d’État a recommandé à celui-ci d’enjoindre l’exécutif à prendre « toutes les mesures utiles permettant d’infléchir la courbe des émissions de gaz à effet de serre produites sur le territoire national afin d’assurer sa compatibilité avec [ses] objectifs ». Si les juges suivaient ces recommandations (le délibéré sera connu à la fin du mois de juin), l’État aurait neuf mois pour se mettre en conformité.

« Il faut utiliser tous les recours en notre possession quand on est un citoyen inquiet pour notre avenir, dit à Reporterre la militante écologiste Camille Étienne. Il y a déjà eu des recours contre le gouvernement, ils sont utiles, et cette fois on pointe nominativement des personnes : on décide d’attaquer les gens qui ont sciemment décidé de ne pas agir alors que la population est en danger, et qu’ils sont au courant. »

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