Média indépendant, en accès libre pour tous, sans publicité, financé par les dons de ses lecteurs

EnquêteDéchets nucléaires

Malgré la sortie du nucléaire, les activistes allemands toujours combatifs

Action à Berlin contre le stockage définitif des déchets radioactifs à Gorleben, en Allemagne, en 2012.

Un demi-siècle après les premières manifestations antinucléaires, le village allemand de Gorleben, symbole de la lutte, continue de fédérer. Retour sur des années de résistance.

Vous lisez le premier article de l’enquête « L’Allemagne et le nucléaire, une histoire qui dure ».



Gorleben (Allemagne), reportage

Pour qui ne connaîtrait pas l’histoire de Gorleben et sa région, l’endroit pourrait surprendre. À quelques dizaines de mètres de l’entrée de la mine d’exploration près du village, un navire est simplement posé sur une prairie à l’orée d’une forêt de pins. C’est ici que se trouve le musée en plein air du Triangle de Beluga — en référence au nom du bateau qui trône parmi les panneaux pédagogiques retraçant l’histoire du mouvement antinucléaire allemand.

Entre 1985 et 2004, le Beluga a servi les actions et les activités de recherches de Greenpeace : au large des usines de retraitement d’uranium de La Hague et de Sellafield en Irlande, pour notamment récupérer des échantillons d’eau et de sédiments et analyser les rejets radioactifs de Sellafield. Presque dix ans après son dernier voyage, le Beluga a été placé en monument à Gorleben, lieu symbolique de la lutte.

Le « Beluga », qui a navigué pour Greenpeace entre 1985 et 2004, se trouve aujourd’hui devant la mine de prospection de Gorleben. © Guillaume Amouret / Reporterre

Des initiatives antinucléaires connectées

Pour comprendre l’histoire de celle-ci, il faut remonter à la première action d’envergure, à la frontière rhénane. En 1975, le chantier de la centrale de Wyhl était occupé. Durant les années suivantes, les initiatives antinucléaires se sont connectées et structurées.

Gorleben, village au bord de l’Elbe, à mi-chemin entre Hambourg et Berlin, est entré dans l’histoire radioactive allemande en 1977, quand le ministre président du Land de Basse-Saxe décida que la localité pourrait accueillir le site de stockage définitif des déchets hautement radioactifs ainsi qu’une usine de retraitement.

Village et drapeau de la République libre du Wendland, en 1980. Wikimedia Commons/CC BY 2.0/In Memoriam : Christopher Bulle et CC0

La petite commune du Wendland devint l’épicentre de la lutte en Allemagne de l’Ouest. Dans ce contexte, un État fictif fut créé, la République libre du Wendland. Son drapeau, un soleil orange sur fond vert, est devenu avec le temps un des symboles des luttes écologiques.

En 1979, les manifestations contre le projet de complexe nucléaro-industriel de Gorleben ont atteint les 100 000 participants. Et entre les années 70 et 90, deux projets furent abandonnés dans le pays grâce aux protestations : la centrale de Wyhl et l’usine de retraitement de Wackersdorf.

Les manifestations antinucléaires majeures en Allemagne dans les années 1970.

Gorleben devait devenir un site de stockage de déchets hautement radioactifs. Entre 1995 et 2011, 113 Castor — des conteneurs de combustible usagé — y ont été acheminés par voie ferrée. La majeure partie d’entre eux provenaient de La Hague, en France, où ils avaient été exportés pour retraitement.

Quand les premiers Castor sont arrivés à Gorleben au milieu des années 1990, l’initiative X-Tausendmal Quer (littéralement « X mille fois en travers ») organisa de nombreux blocages non violents. Le X jaune devint un signe de soutien à l’initiative. On le retrouve aujourd’hui aux coins de rue et sur les portails dans le Wendland. Mais également dans un tout autre contexte, lors des manifestations contre l’extension de la mine de charbon à Lützerath.

Des tracteurs et des activistes (avec une pancarte « Résistance » et la croix jaune symbolique) lors de la manifestation anti-Castor à Gorleben, le 6 novembre 2010. Wikimedia Commons/CC BY-SA 2.0/Bündnis 90/Die Grünen Nordrhein-Westfalen

En tout cas, Gorleben, le site de stockage potentiel — une mine de sel — a été officiellement écarté, sur la base des nouvelles recherches géologiques, près de quarante-trois ans et 1,9 milliard d’euros après le lancement du projet. Le maintien en l’état de la structure de la mine coûte tout de même chaque année 20 millions d’euros.

Si les trois derniers réacteurs ont été retirés du réseau mi-avril 2023, « ce n’est pas seulement le fruit de notre action, mais aussi grâce à une série de hasards heureux et d’événements malchanceux », explique Wolfgang Ehmke, 74 ans, porte-parole de l’initiative citoyenne BI Lüchow-Dannenberg. Les accidents de Tchernobyl et de Fukushima y ont autant contribué que les actions de Wyhl, Gorleben et Wackersdorf.

La mine de prospection de Gorleben doit être démantelée à partir de 2024. © Guillaume Amouret / Reporterre

Le passage aux autres générations

Pour lui, la genèse du mouvement s’explique par son inclusion dans un contexte spécifique à l’Allemagne : « Le mouvement anti-atome s’est construit en parallèle du mouvement pacifiste dans une société d’après-guerre. » Il cite l’auteur autrichien Robert Jungk, pour qui « la conversion du nucléaire militaire au civil a changé la nature de la violence. Tout d’abord employée contre l’ennemi militaire, elle se retourne contre les citoyens ».

Wolfgang Ehmke voit dans la lutte antinucléaire l’établissement d’une culture contestataire, dont le continuum se trouve aujourd’hui dans les initiatives pour le climat et contre les énergies fossiles. Malgré cette continuité, il souhaiterait plus d’échanges entre les différentes générations.

« La première génération a fait son travail jusqu’à la mise à l’arrêt des centrales, maintenant, nous voulons sensibiliser une nouvelle génération pour ce qui va suivre, le démantèlement et la gestion des déchets. », explique Helge Bauer, de l’ONG Ausgestrahlt. Et c’est le but que l’ONG s’est fixé. Depuis quelques mois, elle se mobilise pour construire des liens avec Fridays for Future, Ende Gelände ou bien Letzte Generation.

Sit-in anti-Castor à Gorleben en 2011. Wikimedia Commons/CC BY 2.0/Bundjugend

Cependant, le mouvement antinucléaire, tout comme le secteur industriel, ressent un manque d’intérêt. « Je travaille avec des professeurs et des professeures qui me racontent que les filières de recherche dans le nucléaire intéressent de moins en moins d’étudiantes et étudiants », explique Helge Bauer. L’ONG peine à trouver des volontaires pour participer à ses ateliers et ses excursions.

Si pour le moment, le thème du nucléaire fait moins réagir, c’est aussi à cause d’un contexte politique particulier : « Le climat, la question de la guerre en Europe et le populisme d’extrême droite sont autant de sujets qui demandent un engagement de la part des plus jeunes », explique Helge Bauer, qui ajoute que la lutte antinucléaire est plutôt calme en ce moment.

Mais l’idée que rien n’est définitivement acquis est bien présente. Tous les dimanches à Gorleben, un petit groupe se réunit pour une marche autour de l’ancienne mine de sel. « Depuis la décision, il y a deux ans, de ne pas opter pour Gorleben comme site de stockage définitif, la mine n’a pas encore été démantelée, dit Wolfgang Ehmke, et tant que rien n’est entrepris, la situation peut rapidement tourner. »

Alors que les alertes sur le front de l’environnement se multiplient, nous avons un petit service à vous demander. Nous espérons que les dernières semaines de 2023 comporteront des avancées pour l’écologie. Quoi qu’il arrive, les journalistes de Reporterre seront là pour vous apporter des informations claires et indépendantes.

Les temps sont difficiles, et nous savons que tout le monde n’a pas la possibilité de payer pour de l’information. Mais nous sommes financés exclusivement par les dons de nos lectrices et lecteurs : nous dépendons de la générosité de celles et ceux qui peuvent se le permettre. Ce soutien vital signifie que des millions de personnes peuvent continuer à s’informer sur le péril environnemental, quelle que soit leur capacité à payer pour cela.

Contrairement à beaucoup d’autres, Reporterre ne dispose pas de propriétaire milliardaire ni d’actionnaires : le média est à but non lucratif. De plus, nous ne diffusons aucune publicité. Ainsi, aucun intérêt financier ne peut influencer notre travail. Être libres de toute ingérence commerciale ou politique nous permet d’enquêter de façon indépendante. Personne ne modifie ce que nous publions, ou ne détourne notre attention de ce qui est le plus important.

Avec votre soutien, nous continuerons à rendre les articles de Reporterre ouverts et gratuits, pour que tout le monde puisse les lire. Ainsi, davantage de personnes peuvent prendre conscience de l’urgence environnementale qui pèse sur la population, et agir. Ensemble, nous pouvons exiger mieux des puissants, et lutter pour la démocratie.

Quel que soit le montant que vous donnez, votre soutien est essentiel pour nous permettre de continuer notre mission d’information pour les années à venir. Si vous le pouvez, choisissez un soutien mensuel, à partir de seulement 1 €. Cela prend moins de deux minutes, et vous aurez chaque mois un impact fort en faveur d’un journalisme indépendant dédié à l’écologie. Merci.

Soutenir Reporterre

Abonnez-vous à la lettre d’info de Reporterre
Fermer Précedent Suivant

legende