Malgré la sortie du nucléaire, les activistes allemands toujours combatifs

Action à Berlin contre le stockage définitif des déchets radioactifs à Gorleben, en Allemagne, en 2012. - Wikimedia Commons/CC BY-SA 3.0/Jakob Huber
Action à Berlin contre le stockage définitif des déchets radioactifs à Gorleben, en Allemagne, en 2012. - Wikimedia Commons/CC BY-SA 3.0/Jakob Huber
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Un demi-siècle après les premières manifestations antinucléaires, le village allemand de Gorleben, symbole de la lutte, continue de fédérer. Retour sur des années de résistance.
Vous lisez le premier article de l’enquête « L’Allemagne et le nucléaire, une histoire qui dure ».
Gorleben (Allemagne), reportage
Pour qui ne connaîtrait pas l’histoire de Gorleben et sa région, l’endroit pourrait surprendre. À quelques dizaines de mètres de l’entrée de la mine d’exploration près du village, un navire est simplement posé sur une prairie à l’orée d’une forêt de pins. C’est ici que se trouve le musée en plein air du Triangle de Beluga — en référence au nom du bateau qui trône parmi les panneaux pédagogiques retraçant l’histoire du mouvement antinucléaire allemand.
Entre 1985 et 2004, le Beluga a servi les actions et les activités de recherches de Greenpeace : au large des usines de retraitement d’uranium de La Hague et de Sellafield en Irlande, pour notamment récupérer des échantillons d’eau et de sédiments et analyser les rejets radioactifs de Sellafield. Presque dix ans après son dernier voyage, le Beluga a été placé en monument à Gorleben, lieu symbolique de la lutte.

Des initiatives antinucléaires connectées
Pour comprendre l’histoire de celle-ci, il faut remonter à la première action d’envergure, à la frontière rhénane. En 1975, le chantier de la centrale de Wyhl était occupé. Durant les années suivantes, les initiatives antinucléaires se sont connectées et structurées.
Gorleben, village au bord de l’Elbe, à mi-chemin entre Hambourg et Berlin, est entré dans l’histoire radioactive allemande en 1977, quand le ministre président du Land de Basse-Saxe décida que la localité pourrait accueillir le site de stockage définitif des déchets hautement radioactifs ainsi qu’une usine de retraitement.

La petite commune du Wendland devint l’épicentre de la lutte en Allemagne de l’Ouest. Dans ce contexte, un État fictif fut créé, la République libre du Wendland. Son drapeau, un soleil orange sur fond vert, est devenu avec le temps un des symboles des luttes écologiques.
En 1979, les manifestations contre le projet de complexe nucléaro-industriel de Gorleben ont atteint les 100 000 participants. Et entre les années 70 et 90, deux projets furent abandonnés dans le pays grâce aux protestations : la centrale de Wyhl et l’usine de retraitement de Wackersdorf.

Gorleben devait devenir un site de stockage de déchets hautement radioactifs. Entre 1995 et 2011, 113 Castor — des conteneurs de combustible usagé — y ont été acheminés par voie ferrée. La majeure partie d’entre eux provenaient de La Hague, en France, où ils avaient été exportés pour retraitement.
Quand les premiers Castor sont arrivés à Gorleben au milieu des années 1990, l’initiative X-Tausendmal Quer (littéralement « X mille fois en travers ») organisa de nombreux blocages non violents. Le X jaune devint un signe de soutien à l’initiative. On le retrouve aujourd’hui aux coins de rue et sur les portails dans le Wendland. Mais également dans un tout autre contexte, lors des manifestations contre l’extension de la mine de charbon à Lützerath.

En tout cas, Gorleben, le site de stockage potentiel — une mine de sel — a été officiellement écarté, sur la base des nouvelles recherches géologiques, près de quarante-trois ans et 1,9 milliard d’euros après le lancement du projet. Le maintien en l’état de la structure de la mine coûte tout de même chaque année 20 millions d’euros.
Si les trois derniers réacteurs ont été retirés du réseau mi-avril 2023, « ce n’est pas seulement le fruit de notre action, mais aussi grâce à une série de hasards heureux et d’événements malchanceux », explique Wolfgang Ehmke, 74 ans, porte-parole de l’initiative citoyenne BI Lüchow-Dannenberg. Les accidents de Tchernobyl et de Fukushima y ont autant contribué que les actions de Wyhl, Gorleben et Wackersdorf.

Le passage aux autres générations
Pour lui, la genèse du mouvement s’explique par son inclusion dans un contexte spécifique à l’Allemagne : « Le mouvement anti-atome s’est construit en parallèle du mouvement pacifiste dans une société d’après-guerre. » Il cite l’auteur autrichien Robert Jungk, pour qui « la conversion du nucléaire militaire au civil a changé la nature de la violence. Tout d’abord employée contre l’ennemi militaire, elle se retourne contre les citoyens ».
Wolfgang Ehmke voit dans la lutte antinucléaire l’établissement d’une culture contestataire, dont le continuum se trouve aujourd’hui dans les initiatives pour le climat et contre les énergies fossiles. Malgré cette continuité, il souhaiterait plus d’échanges entre les différentes générations.
« La première génération a fait son travail jusqu’à la mise à l’arrêt des centrales, maintenant, nous voulons sensibiliser une nouvelle génération pour ce qui va suivre, le démantèlement et la gestion des déchets. », explique Helge Bauer, de l’ONG Ausgestrahlt. Et c’est le but que l’ONG s’est fixé. Depuis quelques mois, elle se mobilise pour construire des liens avec Fridays for Future, Ende Gelände ou bien Letzte Generation.

Cependant, le mouvement antinucléaire, tout comme le secteur industriel, ressent un manque d’intérêt. « Je travaille avec des professeurs et des professeures qui me racontent que les filières de recherche dans le nucléaire intéressent de moins en moins d’étudiantes et étudiants », explique Helge Bauer. L’ONG peine à trouver des volontaires pour participer à ses ateliers et ses excursions.
Si pour le moment, le thème du nucléaire fait moins réagir, c’est aussi à cause d’un contexte politique particulier : « Le climat, la question de la guerre en Europe et le populisme d’extrême droite sont autant de sujets qui demandent un engagement de la part des plus jeunes », explique Helge Bauer, qui ajoute que la lutte antinucléaire est plutôt calme en ce moment.
Mais l’idée que rien n’est définitivement acquis est bien présente. Tous les dimanches à Gorleben, un petit groupe se réunit pour une marche autour de l’ancienne mine de sel. « Depuis la décision, il y a deux ans, de ne pas opter pour Gorleben comme site de stockage définitif, la mine n’a pas encore été démantelée, dit Wolfgang Ehmke, et tant que rien n’est entrepris, la situation peut rapidement tourner. »