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ReportageÉconomie

Contre la BNP et l’évasion fiscale, les militants ont fait le plein à Carpentras

Mardi 6 février, Nicole Briend, militante d’Attac, était convoquée au tribunal de Carpentras pour sa participation à une action de fauchage de chaises dans une agence BNP Paribas. Près d’un millier de personnes sont venues la soutenir dans ce combat contre l’évasion fiscale. L’audience étant reportée au 7 juin, une nouvelle mobilisation se prépare.

  • Carpentras (Vaucluse), reportage

De toute la France, mille personnes ont fait le déplacement pour le procès d’une faucheuse de chaises à Carpentras, dans le Vaucluse. La mobilisation est une nouvelle réussite pour la dénonciation de l’évasion fiscale, après les procès de Jon Palais, militant de Bizi !, à Dax (Landes) le 9 janvier 2017, et de Florent Compain, président des Amis de la Terre, le 11 avril à Bar-le-Duc (Meuse).

« Oh Nicole, tu animes le Comtat venaissin ! » dit en rigolant un soutien de Nicole Briend. C’est vrai que Carpentras, capitale du Comtat venaissin, n’avait pas connu de manifestation aussi importante au moins depuis la déferlante de lycéens dans ses rues face au choc Le Pen, lors de la présidentielle de 2002. Ce mardi 6 février, la militante d’Attac (Association pour la taxation des transactions financières et pour l’action citoyenne) était appelée à la barre du tribunal de Carpentras pour sa participation en mars 2016 à une action de réquisition de chaise dans l’agence BNP Paribas de la sous-préfecture du Vaucluse. « Il s’agit de notre première militante inquiétée par la justice », nous dit Raphaël Pradeau, porte-parole d’Attac. Jon Palais, qui avait été relaxé, et Florent Compain, qui a fait appel de sa condamnation à 500 euros d’amende, ne sont pas membres d’Attac.

Devant le tribunal de Carpentras.

Le mouvement des faucheurs de chaise a commencé ses actions en février 2015. Leur idée est simple : réquisitionner des chaises dans des agences bancaires aux pratiques peu scrupuleuses pour faire éclater au grand jour le financement d’industries aux pratiques climaticides et l’évasion fiscale facilitée par lesdites banques. Les chaises ont été rendues à la justice ou à l’administration fiscale. Ces actions sont non violentes et les militants prennent le soin d’informer les employés de banque sur leurs motivations.

À l’entrée du tribunal de Carpentras. Derrière la banderole, de gauche à droite : Jon Palais, Nicole Briend, Florent Compain et Raphaël Pradeau.

« Une action de désobéissance civile, tout l’inverse d’un acte criminel »

Nicole Briend est accusée de « vol en réunion ». Son avocate, Me Durand, souhaite plaider la « nullité des faits et la relaxe ». « Elle a participé à une action médiatisée, à visage découvert, pédagogique et symbolique. Ce qui est tout l’inverse d’un acte criminel. C’est un exemple parfait de liberté d’expression. Nicole Briend devrait bénéficier du statut de lanceur d’alerte », nous dit son avocate. « C’est une action de désobéissance civile. Nicole n’a pas piqué une chaise pour s’asseoir dessus ou améliorer le confort de sa maison. Elle a agi pour l’intérêt général », complète Raphaël Pradeau. « L’évasion fiscale, c’est 60 milliards à 80 milliards d’euros d’impôts qui ne rentrent pas dans les caisses de l’État et qui devraient financer les services publics et la transition écologique », soutient-il. À propos des pratiques de fraude et d’évasion fiscale, Xavier Ferrucci, secrétaire général de Solidaires finances publiques parle de « terrorisme social, économique et environnemental ». Son administration a de moins en moins de moyens pour assumer les contrôles fiscaux. 38.000 emplois y ont été supprimés depuis 15 ans, dont 3.000 de contrôleurs fiscaux, « qui sont pourtant très rentables avec l’argent qu’ils rapportent par leurs redressements », nous dit le syndicaliste.

Haie d’honneur pour accompagner l’entrée de Nicole Briend au tribunal de Carpentras.

Peu après 8 h du matin, la haie d’honneur qui accompagne la militante jusqu’au tribunal est impressionnante. « C’est pas Nicole qu’il faut juger, c’est l’évasion fiscale en bande organisée. » Dans l’étroitesse de la rue de la République, dans le centre ancien au tracé médiéval, les slogans résonnent de plus belle en cognant sur les façades.

« Vol en réunion et refus de vous soumettre au prélèvement biologique » (autrement dit de prélèvement ADN), dans la salle d’audience le juge rappelle les chefs d’inculpation. Nicole Briend, retraitée tranquille qui passe pour la première fois à la barre, reste droite et concentrée. D’entrée, le juge annonce le report de l’audience au 7 juin. Le traitement de ces deux chefs d’inculpation nécessite la réunion d’un collège de trois juges. « Nous en avons été informées hier vers 16 h », nous confiait peu avant l’entrée au tribunal, Me Durand, l’avocate de Nicole Briend. Dans la salle montent les clameurs de la manifestation. « Avec ce fond sonore qui m’oblige à hausser la voix, je n’ai pas beaucoup de regrets [de reporter]. Traiter la fraude fiscale demande beaucoup de temps et le temps est consacré à des dossiers à l’importance bien moindre », digresse le juge.

« Un combat que l’on ne peut gagner qu’une seule fois »

À l’extérieur, les prises de paroles s’enchaînent. Jon Palais et Florent Compain ont fait le déplacement. Les députés Adrien Quatennens (FI) et Elsa Faucillon (PCF) sont présents pour soutenir, tout comme Corinne Morel Darleux (FI), conseillère régionale Auvergne-Rhône-Alpes. Les élus locaux brillent par leur absence. Jon Palais se félicite de cette nouvelle étape du mouvement des faucheurs de chaise : « Il n’y a pas eu de procès à Paris ou dans une autre grande ville alors que la majorité des actions s’y sont produites. Les procès sont intentés dans des petites villes parce qu’il y semble difficile de mobiliser. Aujourd’hui, on a montré une nouvelle fois le contraire », nous dit le militant.

Pendant les prises de paroles devant le tribunal de Carpentras.

« Il faudrait décerner des médailles à Nicole Briend plutôt que de la mettre au tribunal », dit ensuite Elsa Faucillon. « Il faut faire sauter le verrou de Bercy, revenir sur la suppression de l’ISF et l’allégement pour les plus riches. 32 % des bénéfices vont dans les paradis fiscaux », affirme la députée, qui dénonce, « un système antisocial et climaticide qui permet de continuer à accumuler profit et argent pour un petit nombre ». Florent Compain prend la parole pour rappeler « l’urgence écologique et sociale. C’est un combat que l’on peut gagner une seule fois mais aussi perdre une seule fois », dit-il.

Une bruine froide se met à tomber. Elle n’altère pas la motivation des manifestants, qui partent en cortège dans les rues au son d’une batucada improvisée sur des bidons en plastique. Le 7 juin à 13 h 30, Nicole Briend reviendra au tribunal de Carpentras. Ce sera la deuxième page du procès de l’évasion fiscale dans la cité du Vaucluse. « Nous préparons d’autres mobilisations, qui auront lieu avant », promet Raphaël Pradeau. Une grosse année en perspective pour Attac, qui fête ses 20 ans. L’association est attaquée en justice, « pour un autre procès-bâillon » : le 12 février à 13 h 30, au tribunal de grande instance de Paris par la société Apple, suite aux actions faites pour dénoncer l’évasion fiscale de cette dernière. Pour Xavier Ferrucci, « plus que jamais les citoyens doivent s’engager pour que les politiques luttent concrètement contre l’évasion fiscale ».

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