Crise du lait ? Pas pour les éleveurs bio

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AgricultureLe grand salon agricole Space s’ouvre à Rennes mardi 13 septembre. Ambiance morose, en raison de la grave crise du secteur laitier. Mais certains paysans y échappent : les éleveurs en agriculture bio ont établi un rapport de force favorable avec les laiteries. Et obtiennent un prix de vente bien supérieur.
- Rennes (Ille-et-Vilaine), correspondance
Julien Sauvée produit 500 tonnes de lait par an à Melesse, au nord de Rennes, qu’il vend à Lactalis, le numéro un mondial du lait. Mais il n’est pas allé manifester à Laval devant le siège de son client, dont il ne dit d’ailleurs pas vraiment de mal. La raison, c’est peut-être parce qu’il ne vient pas, lui, d’obtenir à l’arraché un prix de vente à 290 euros la tonne de lait : il la vend entre 450 et 460 euros la tonne. Pourquoi ? Parce que son lait est certifié bio. L’écart de prix est énorme et ce n’est pas un hasard.
À la différence du lait conventionnel, le lait bio est en sous-production : il y a plus de demande que d’offre et cela fait monter les prix. Par exemple, en Allemagne, les laiteries achètent la tonne de lait à près de 600 euros.
Le marché du lait bio est en plein essor en France comme dans le reste de l’Europe, même s’il reste minoritaire ; mais là encore, il y a des nuances entre les États membres. En Autriche, le lait bio représente 15 % de la production nationale alors qu’en France, il n’en représente que 2 %. Les premières régions productrices de l’Hexagone sont la Bretagne et les Pays de la Loire. Deux régions où les conversions des exploitations laitières vers le bio se multiplient.
« La motivation économique est très forte, c’est sûr »
Depuis le début de l’année 2016, 134 fermes ont commencé leur conversion, elles étaient 64 en 2015. Aujourd’hui, on compte 646 fermes en lait bio en Bretagne. David Roy est coordinateur et technicien lait de l’association et syndicat Agrobio 35. « Nous avons connu une première vague de conversion en 2009-2010, ce qui correspond à la dernière crise laitière ; depuis deux ans, nous sommes dans une nouvelle vague de demandes. Il est clair qu’entre le prix du lait bio et la crise actuelle, de nombreux agriculteurs veulent passer en bio. »
Son travail consiste à former et à accompagner ceux qui passent du lait conventionnel au lait bio, autant dire qu’il a vu tous les profils et qu’en général, ce ne sont pas les convictions écologistes qui les poussent à passer les portes d’Agrobio. « La motivation économique est très forte, c’est sûr », mais il y a aussi un certain ras-le-bol, qui se fait entendre lors des formations qu’il organise : « Certains en ont marre d’être poussés à produire toujours plus, d’autres s’inquiètent des produits phytosanitaires, de l’impact sur la santé des agriculteurs et de la population. »

Si la situation est prospère pour le lait bio, cela est dû aux efforts de la filière pour se structurer et éviter de répéter les erreurs du conventionnel. Principal écueil à éviter : la dépendance du producteur à sa laiterie — c’est elle qui fixe le prix et décide si les volumes doivent être ajustés. Face à Lactalis, numéro un mondial, quelle marge de manœuvre peut bien avoir un agriculteur ?
Dans le bio, des organisations de producteurs ont été créées pour chaque laiterie, comme dans le conventionnel. Sauf que ça ne s’arrête pas là : ces organisations sont elles-mêmes regroupées par région, comme l’organisation de producteurs Seine-et-Loire. Autre échelon, le national. Toutes les organisations de producteurs sont réunies à travers la structure nationale Lait bio de France.
« Nous pouvons aussi réguler la production nous-mêmes »
Et ça fait toute la différence, comme l’explique Julien Sauvée, le producteur laitier des environs de Rennes. « La clef réside dans l’information sur les volumes présents et à venir et sur les prix. Avec cette information, on peut argumenter avec les laiteries et trouver un accord satisfaisant. » C’est pour cette raison que l’observatoire de la filière, lié au Centre national interprofessionnel de l’économie laitière (le Cniel), existe. « Quand la filière a commencé à se mettre en place, il n’y avait pas grand-chose pour les producteurs. Nous avons tout fait nous-mêmes en fonction de nos besoins, ainsi nous avons des outils efficaces et adaptés. »

Au point que le rapport de force entre les grandes laiteries et les producteurs s’améliore ? « Oui, répond sans hésiter Julien Sauvée, nous avons la même information sur le marché que les laiteries, nous connaissons nos points forts et points faibles et ceux des laiteries. Avec des arguments pareils, on peut négocier. »
La laiterie Biolait, qui regroupe des producteurs de lait bio et représente 35 % de la production française, est un cas à part. Cette fois, ce sont les éleveurs qui ont la main, car Biolait est un groupement de producteurs qui choisit lui-même les entreprises auxquelles il fournit son lait, que ce soit pour de la vente ou de la transformation en crème, beurre ou yaourts.
Se regrouper permet d’être mieux informé, d’être plus alerte pour répondre aux aléas et de mieux anticiper les évolutions du marché. « Vu les conversions en cours, on s’attend à voir une hausse de la production de plus de 200 millions de litres de lait bio en France d’ici à deux ans, explique David Roy. En étant organisé, on peut anticiper cela et éviter les à-coups dans les variations de prix. » L’éleveur Julien Sauvée va plus loin : « Nous pouvons aussi réguler la production nous-mêmes, nous avons signé des accords en ce sens avec certaines laiteries. » Ainsi, lorsque l’on sent que le lait va déborder, soit chaque éleveur réduit sa production et les prix sont maintenus ; soit en charge à la laiterie de trouver de nouveaux débouchés.
Repenser toute l’organisation de l’exploitation
À l’inverse, dans le secteur conventionnel, avec la fin des quotas laitiers, en avril 2015, chacun a ouvert le robinet, misant sur les débouchés en Chine ou en Russie. Mais, avec l’embargo russe, la progression du lait lyophilisé en Chine, l’évolution des prix du pétrole, ceux du soja… l’équilibre ne tient plus.
Vu sous cet angle, le bio apparaît comme la panacée. Un peu de paperasse à remplir pour obtenir une certification et c’est parti. Or, ce n’est pas si simple. Même si la tonne de lait bio est payée 450 euros environ, la tonne de soja bio pour nourrir les bêtes, elle, coûte près de 1.000 euros. Le compte n’y est donc pas.

Pour qu’une conversion soit pertinente et rentable, il est nécessaire de repenser toute l’organisation de l’exploitation, en particulier l’alimentation des vaches. Selon David Roy, technicien à Agrobio 35, la clef réside dans l’autonomie. « Pour nourrir les bêtes, il faut réussir à bien équilibrer l’alimentation entre herbe et maïs, voire du soja, mais peu, pour ne pas en devenir dépendant. Il faut aussi avoir en tête qu’en bio, une vache produit moins de lait. » En moyenne, une vache conventionnelle produit plus de 7.500 litres de lait par an ; en bio, 5.500. Et puis une conversion prend entre 18 et 24 mois, période durant laquelle le lait, qui est en train de devenir bio, est payé au tarif du conventionnel.
Pour que cette transition se déroule bien, le mieux est d’avoir une avance de trésorerie. « Mais ce n’est jamais le cas. De nombreuses personnes réfléchissent au bio parce qu’elles ne s’en sortent pas financièrement, alors, avoir une trésorerie pour les deux années à venir… » La situation n’est cependant pas insoluble et l’agriculteur qui veut se convertir peut trouver des financements. Y compris de la part des laiteries elles-mêmes, car, comme l’explique Julien Sauvée, certaines « financent la conversion de leurs producteurs vers le bio ».
- Pour s’informer sur les conversions et les formations, le salon agricole de la bio La terre est notre métier se tient à Retiers (35) du 28 au 29 septembre.