Dan, l’opticien écolo qui répare vos lunettes

Dan Alcabès, gérant de Dingue de lunettes, à Paris. - © Mathieu Génon / Reporterre
Dan Alcabès, gérant de Dingue de lunettes, à Paris. - © Mathieu Génon / Reporterre
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Alternatives Quotidien« Restaurer des lunettes, ce n’est pas sorcier » : dans une jolie boutique parisienne, M. Alcabes vend de « magnifiques » montures vintage ou invendues retapées. Résultat ? Des paires écolos et « uniques, qui ont une histoire ».
Paris, reportage
Dans le dixième arrondissement de Paris, la petite boutique de Dan Alcabes a tout d’une brocante. Le vieux canapé, l’armoire Second empire, la commode de marine paraissent sortis d’un salon de la Belle époque. Mais contre le mur, des dizaines de binocles élégamment suspendues sur un antique sommier à ressorts éclairent le client interloqué : il s’agit bien d’un magasin d’optique. « Ici, nous sauvons des lunettes, en leur redonnant une seconde vie », présente, enthousiaste, Dan Alcabes.
Dans son arrière-boutique, l’opticien se faufile entre des cartons remplis de montures, sa « matière première ». Il en choisit une à l’allure défraîchie — mais « un modèle des années 1970, de bonne facture » — puis se dirige vers son établi. Quelques coups de polissoir, de lime et de meuleuse plus tard, voici que la paire a retrouvé une nouvelle jeunesse. « Restaurer des lunettes n’est pas sorcier, mais très peu d’opticiens savent encore le faire, dit le créateur de Dingue de lunettes. La plupart des grandes enseignes externalisent toute la fabrication et n’ont plus les machines ni le savoir-faire pour ça. »
Passionné de brocante, Dan Alcabes a commencé il y a onze ans par y chiner de vieilles montures, qu’il réparait dans un atelier semi-clandestin, en sous-sol, sur son temps libre. « Je voulais surfer sur la vague vintage, et surtout, je n’avais pas d’argent pour me lancer comme opticien indépendant et acheter un stock. » Puis vint la conscience écologique : « Sept Français sur dix portent des lunettes, et changent de monture tous les deux à trois ans, dit-il. Ça fait un paquet de montures qui dorment dans nos tiroirs. » Plus de 100 millions, selon une étude OpinionWay.

Plutôt que de réparer et réutiliser nos anciennes binocles, la plupart des opticiens proposent d’attrayantes offres pour de nouveaux équipements. « Aujourd’hui, on privilégie la quantité au détriment de la qualité, déplore l’opticien écolo. Fabriquer du neuf, en Chine ou dans d’autres pays, revient bien moins cher que de réparer l’existant. » Non sans conséquences pour l’environnement.
« Il y a trente ans, on fabriquait les montures en France. Cette filière a aujourd’hui largement disparu, les industries sont parties, principalement en Italie, mais aussi en Asie », reconnaît Éric Plat, président-directeur général d’Atol, joint par Reporterre. « L’empreinte carbone est ainsi surtout liée au transport : une lunette fabriquée en France émettra beaucoup moins de carbone qu’une autre faite en Asie, et 2 à 3 fois moins qu’une faite en Italie. » La plupart des montures sont aujourd’hui en métal ou en acétate de cellulose, issue du coton ou du bois. « L’extraction des métaux ou la culture du coton et du bois peuvent être source de pollution », poursuit M. Plat, dont l’entreprise promeut des lunettes bio. La fabrication des verres est aussi particulièrement polluante car très gourmande en eau et en produits chimiques : la conception d’un verre consomme environ 20 litres d’eau, selon M. Plat.
« Pourquoi continuer à fabriquer en masse des lunettes dans d’autres pays ? »
Au-delà des verres, des branches et de la face, de nombreux petits éléments entrent dans la composition d’une paire — détaillés par le label écoresponsable Optic for good – qui rendent la traçabilité d’une lunette très complexe. « L’optique-lunetterie n’a pas pour habitude de divulguer la manière exacte de production des lunettes, explique le site du label. Quand on fait un état des lieux de la composition d’une monture, on s’aperçoit qu’il y a beaucoup de parties prenantes dans ce processus… » Ainsi, il suffira qu’une paire soit assemblée en Europe pour qu’elle soit vendue comme « locale », alors même que certains de ses composants peuvent provenir d’Asie.
La plupart des opticiens ont entamé leur mue écologique, assure néanmoins Éric Plat : développement de lunettes « Origine France garantie », mise en place de filières de recyclage des verres et des lentilles, dons de montures usagées à des associations caritatives...
À Paris, Dan Alcabes promeut pour sa part le réemploi. « Pourquoi continuer à fabriquer en masse des lunettes dans d’autres pays, souvent de moindre facture, alors qu’il est possible d’en retrouver de magnifiques, encore parfaitement utilisables, et dont la restauration crée de l’activité en France ? » résume-t-il sur son site. En onze ans, son aventure est passée du souterrain à la lumière : l’atelier comprend plusieurs imposantes machines, et l’opticien récupère une grande quantité de modèles neufs issus de stocks dormants ; les clients se bousculent désormais à la porte vitrée de sa boutique, et un nouveau magasin vient d’ouvrir à Lyon.

Croisé dans l’enseigne parisienne, un trentenaire « fidèle de la première heure » confirme le succès : « Les lunettes qu’on achète ici sont uniques, elles ont une histoire, qui devient la nôtre. » À ses côtés, Vincent, opticien nouvellement arrivé, opine du chef. « Le client s’y retrouve, et nous aussi, on retrouve un sens à notre métier », explique ce lunetier, qui a passé une dizaine d’années dans les grandes enseignes. À Dingue de lunettes, l’équipement est vendu en moyenne 300 euros — 600 euros pour des verres progressifs — avant remboursement par la mutuelle, mais des montures sont vendues à partir de 70 euros.