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ÉditoPolitique

De l’urgence de débattre au sein du mouvement écologiste

Cyril Dion a exprimé son agacement après la publication d’un de nos articles concernant son action. Au-delà de ce différend, l’épisode révèle le besoin urgent de réfléchir collectivement sur les stratégies que doit suivre le mouvement écologiste. Pour infléchir réellement le cours inquiétant de la dégradation de la biosphère, quelle position est la plus utile : une écologie « radicale » ou une écologie « de compromis » ? Et y en a-t-il d’autre ?

Cyril Dion manifeste quelque courroux après l’article de Reporterre racontant comment il a élaboré avec Emmanuel Macron et leurs équipes respectives la Convention citoyenne pour le climat annoncé par le Président de la République le 25 avril. Il me l’a manifesté par courriel, et nous avons échangé des arguments, courtoisement. Il m’a laissé un message téléphonique samedi dernier, message que j’ai trouvé trop tard pour le rappeler, et il a choisi d’exposer notre différend sur sa page Facebook. Je trouve cela très compréhensible, et poursuis donc moi aussi publiquement cet échange. Car derrière le point litigieux, il y a une question de fond qui mérite une attention et une réflexion collectives.

Le courroux de l’auteur du Petit manuel de résistance contemporaine provient, non pas de l’article lui-même, dont il ne conteste pas l’exactitude, mais de son titre et de la photo qui l’illustre :

« Non écrit-il, je n’ai pas “élaboré le projet de convention citoyenne avec Emmanuel Macron” comme Reporterre, le quotidien de l’écologie (ou plutôt Hervé Kempf si j’ai bien compris) l’a titré en choisissant de mettre nos deux photos et en retournant la mienne pour renforcer l’idée de connivence. »

Et bien, si. Le titre est réducteur, comme tout titre, mais il résume le processus décrit dans l’article : il y a eu élaboration commune. On ne rencontre pas le président de la République — surtout dans une période très agitée par le mouvement des Gilets jaunes, en février dernier — pour papoter et prendre le thé. La rencontre entre MM. Dion et Macron a été importante et a posé les grandes lignes de ce qui a ensuite été mis en musique par leurs équipes respectives, avant d’être validé par retour au sommet.

Il va de soi que le président de la République ne va pas suivre personnellement toutes les réunions qui formalisent un dispositif de cette nature. Mais quand la décision de lancer la Convention citoyenne pour la transition écologique a finalement été prise et annoncée en avril, elle a bien sûr été préparée et validée au niveau du chef de l’État, après le travail réalisé avec les conseillers de l’Élysée et avec le ministre de la Transition écologique dans plusieurs réunions auxquelles Cyril Dion a participé (échangeant par ailleurs avec Emmanuel Macron par quelques textos), et où il dit avoir posé, avec le collectif Démocratie ouverte, « des lignes rouges ».

Quant à la photo rapprochant les deux portraits, elle exprime la réalité physique de la rencontre entre les deux hommes. Dans la maquette de Reporterre (comme dans celle de bien des sites et journaux), la photo de tête d’un article est par définition une métaphore du récit de l’article. Soit on présente une image illustrant un épisode précis de celui-ci, soit on présente une image symbole de la réalité évoquée : c’est bien le cas ici. Il n’y aurait problème que si les deux hommes ne s’étaient pas rencontrés.

Le reproche qui m’est fait est d’autant plus étrange que dans l’article, discuté en commun par toute la rédaction comme tous ceux de Reporterre, nous avons choisi de ne pas énoncer tous les problèmes soulevés par cette collaboration entre Cyril Dion et ses amis et le président de la République et ses subordonnés. Certains lecteurs sagaces s’en sont étonnés dans le Club des lecteurs, et nous l’ont reproché. Car bien sûr, que des écologistes estimables acceptent de travailler, en pleine crise sociale, avec un président qui couvre une politique répressive d’une violence jamais vue depuis trente ans, qui lance une section de lutte antiterroriste contre les activistes du climat qui décrochent son portrait, qui poursuit une politique des plus néfastes en matière d’écologie, doit être discuté. Comme doit être discuté la possibilité que ces écologistes estimables soient instrumentalisés, malgré le gain important qu’ils estiment avoir obtenu. Mais mon intention n’est pas de le faire ici.

Pourquoi ? Parce qu’il me parait plus urgent et utile de souligner deux choses.

D’une part, qu’il faut admettre la nécessité du débat au sein de la galaxie écologiste. Il est nécessaire que l’on parvienne à sortir soit du consensus béat au motif que nous sommes tous et toutes d’accord sur la gravité de la crise écologique, soit de l’irritation indignée quand on pointe une position problématique. Une des ambitions de Reporterre est de parvenir à mettre en scène ce débat entre une écologie « radicale » et une écologie de « compromis ». Ce n’est pas toujours facile. Ainsi, les habitants actuels de la Zad ont-ils d’abord mal vécu qu’on puisse exprimer à propos de la Zad un point de vue plus radical que le leur. Avant d’accepter de jouer le jeu et de produire une explication argumentée et utile de leur position. De même Nicolas Casaux et Cyril Dion avaient exprimé en vis-à-vis des positions diamétralement opposées sur les énergies renouvelables (ici et ).

Que le débat soit vif n’est pas un problème, au contraire, je suis persuadé qu’on peut le faire de manière sereine. Un bon exemple en était la Fête des 30 ans de l’écologie, où les invités allaient de zadistes et de Gilets jaunes à Corinne Lepage et à Yann Arthus-Bertrand. Un très large arc-en-ciel, où tout le monde a joué le jeu avec une chaleureuse bienveillance, ce qui n’empêchait pas de vrais dissensus, comme par exemple entre Damien Carême et un Gilet jaune sur le rôle de la représentation politique, ou entre Claire Nouvian et Yann Arthus-Bertrand sur le rôle des lobbies.

Et d’autre part, il y a un besoin urgent de débattre de la stratégie du mouvement écologiste. En reconnaissant que personne n’a la clé magique d’une situation où la situation écologique s’aggrave constamment. Faut-il refuser tout accommodement positif de la part d’un gouvernement et d’un système de pouvoir au motif qu’ils sont intrinsèquement nuisibles et violents ? Mais les postures les plus radicales ont-elles obtenu des résultats probants ? Ne touchent-elles pas une minorité trop restreinte, malgré son énergie, pour bousculer le système ? Et n’est-il pas nécessaire de parvenir à mobiliser des masses plus importantes pour faire poids, ce qui implique de mettre de l’eau dans son vin ? Est-il prioritaire de développer des « récits » ou de susciter le rejet d’un capitalisme en pleine évolution autoritaire et élitaire ?

Ce ne sont là que quelques questions parmi celles qu’il nous faut explorer quitte, peut-être, à conclure à des différends irréconciliables ou, au contraire, à une analyse commune renforçant l’énergie collective.

Aider ce débat est le rôle que s’assigne pour l’heure Reporterre, en invitant Cyril Dion à un débat sur le site ou à s’exprimer par une tribune, ainsi qu’à Patrick Viveret (avec qui nous avons aussi échangé) ou à tout autre voulant intervenir de manière claire et argumentée. Nous avons aussi lancé une enquête au sein du mouvement écolo pour savoir comment sont perçues les deux lignes stratégiques, et irons au Camp climat organisé par Alternatiba début août avec cette préoccupation en tête.

Profitons de l’été pour réfléchir et discuter, avant une année qui sera de nouveau cruciale pour la cause écologique.

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