Déforestation, luttes indigènes... les enjeux écolos de la présidentielle au Brésil

The French Travel Photographer/ Flickr / CC BY-NC-SA 2.0 - La forêt amazonienne, vue de la tour d’observation du MUSA. Manaus, Brésil (2018).
The French Travel Photographer/ Flickr / CC BY-NC-SA 2.0 - La forêt amazonienne, vue de la tour d’observation du MUSA. Manaus, Brésil (2018).
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Monde Forêts tropicalesCe dimanche 2 octobre, 156 millions d’électeurs brésiliens se rendront aux urnes pour élire leur président. Les deux principaux candidats, Bolsonaro et Lula, portent deux visions de l’écologie radicalement différentes.
Dimanche 2 octobre, 156 millions d’électeurs brésiliens se rendront aux urnes pour élire leur président. L’ex-capitaine de l’armée Jair Bolsonaro brigue un second mandat alors que le pays s’enfonce dans la crise : 15 % des ménages souffrent de la faim [1]. L’actuel président d’extrême droite est en grande difficulté dans les sondages face à l’ex-président Lula, empêché d’être candidat il y a quatre ans pour une condamnation pour corruption, depuis annulée par la justice. Déjà favori à l’époque, il pourrait même obtenir les 50 % des voix nécessaires pour être élu dès le premier tour.
Outre l’économie, le pouvoir d’achat et les politiques de redistribution sociale, le débat électoral est marqué par un profond clivage idéologique entre les deux grands favoris. La question environnementale est souvent reléguée au second plan dans les débats mais c’est tout de même la première fois qu’elle fait partie intégrante du programme des principaux candidats à la présidentielle. Et pour cause, le Brésil a connu ces deux dernières années des événements climatiques extrêmes : une sécheresse historique dans le Centre-Ouest et des inondations meurtrières dans les régions littorales. Cet intérêt renforcé pour la crise climatique découle aussi des pressions internationales exercées depuis l’élection de Bolsonaro en 2019 — notamment qu’il lutte, enfin, contre la déforestation.

Dimanche dernier, en campagne à Belém, la capitale de l’État du Para, Jair Bolsonaro n’a pas eu un seul mot pour l’environnement. Cet État deux fois plus grand que la France a pourtant concentré à lui seul près de 40 % de la déforestation en Amazonie l’an dernier. Dans son programme, le président candidat propose d’adopter de nouvelles technologies pour suivre la déforestation, mettant en doute les données satellitaires fournies depuis quinze ans par l’Institut national de recherche spatiale.
Face à lui, Lula est de loin le candidat qui s’est le plus engagé pour la protection de l’environnement. Il a promis de créer un ministère des Indigènes et une tolérance zéro contre l’orpaillage, la déforestation et les incendies en Amazonie. Ses mesures efficaces de lutte contre la déforestation pendant les huit ans où il a gouverné le Brésil entre 2003 et 2010 donnent une certaine crédibilité à ses engagements, même si son bilan environnemental est loin d’être irréprochable. C’est notamment lui qui a décidé de construire l’immense barrage hydroélectrique de Belo Monte en pleine forêt amazonienne.
Déforestation, terres indigènes spoliées, meurtre d’opposants...
Sous la présidence de Jair Bolsonaro, en moyenne 720 kilomètres carrés ont été déboisés tous les mois en Amazonie jusqu’en juillet 2022, c’est environ deux fois plus que sous les gouvernements de ses prédécesseurs, Dilma Rousseff et Michel Temer. La déforestation et l’élevage bovin sont les principales sources d’émission de gaz à effet de serre au Brésil, et selon une étude publiée l’an dernier, une part croissante de l’Amazonie, en particulier le Sud-Est, émet désormais davantage de CO2 qu’elle n’en absorbe. Selon Paulo Moutinho, directeur de recherche à l’Institut de recherche sur l’environnement en Amazonie, « la violence et la criminalité liée a l’accaparement des terres et à l’orpaillage sont les conséquences d’une administration publique mise au service d’un discours extrêmement agressif ». Il estime qu’au moins dix ans seront nécessaires pour récupérer tout ce qui a été détruit sous le gouvernement de Bolsonaro.

Lutter contre la déforestation requiert un renforcement des organes fédéraux de contrôle, dont l’action a été paralysée ces quatre dernières années, notamment par de drastiques coupes budgétaires. Cela implique aussi une prise de conscience de la part des agriculteurs que la destruction de la végétation et le changement climatique sont une menace directe pour leur activité. Dans les régions de frontières agricoles où l’économie repose sur l’élevage, la production de soja, mais aussi l’abattage et le commerce du bois, l’orpaillage, ainsi que la chasse et le commerce d’animaux sauvages, le vote Bolsonaro avait atteint des sommets en 2018. La doctrine du président d’extrême droite sur l’Amazonie reste inchangée. Conformément à ce qu’il avait promis, son gouvernement a bloqué toute démarcation de terre indigène depuis quatre ans, alors que 300 territoires sont encore dans l’attente d’une reconnaissance juridique officielle. Les terres indigènes reconnues comme telles représentent 13 % du territoire brésilien, et c’est beaucoup trop selon M. Bolsonaro.
« Le gouvernement de Bolsonaro s’inscrit dans la droite lignée de la colonisation »
La plus grande réserve du Brésil, celle du peuple Yanomami, grande comme le Portugal, et située à l’extrême Nord du pays, a vu ces dernières années les orpailleurs fondre sur elle. Ils attaquent des villages, contaminent les rivières et les populations avec le mercure, et violent des femmes et adolescentes Yanomami. D’après les leaders indigènes, il y aurait 20 000 orpailleurs en activité sur leur territoire, où vivent environ 30 000 autochtones. Comme le dit à Reporterre Shirley Krenak, leader indigène de l’État de Minas Gerais, « le gouvernement de Bolsonaro s’inscrit dans la droite lignée de la colonisation. La violence contre les femmes et les enfants indigènes a considérablement augmenté ». Mme Krenak estime qu’une réélection de Bolsonaro est impensable : « Depuis quatre ans, nous vivons dans un état de résistance permanent. Cette année, Il y a plus de 180 candidats autochtones lors de ces élections générales. » Les électeurs brésiliens vont en effet élire leurs gouverneurs et renouveler leur Congrès et les assemblées législatives des vingt-sept États que compte le pays.
Le climat de persécution contre les défenseurs de l’environnement en Amazonie, dont l’un des épisodes marquants fut le meurtre du journaliste britannique Dom Phillips et de l’anthropologue Bruno Pereira en juin dernier, a fait naître des vocations politiques. Le commissaire de la police fédérale Alexandre Saraiva, limogé de son poste dans l’État d’Amazonas après avoir accusé l’ex-ministre de l’Environnement Ricardo Salles de favoriser le trafic de bois illégal, est aujourd’hui candidat à la Chambre des représentants. « La destruction commence au Congrès », explique-t-il à Reporterre par téléphone. « La police est toujours limitée par la loi. Le problème, c’est quand les lois sont faites par des criminels, on ne peut pas les laisser occuper cet espace. »
Plus de 200 candidats concourant à l’une des cinq élections qui se tiennent ce 2 octobre ont déjà été condamnés à des amendes pour des infractions environnementales. Le commissaire conclut, prudent : « C’est une erreur de croire qu’en cas de défaite de Bolsonaro, l’Amazonie sera sauve. Ce sont notamment les autorités locales, les parlements des États qui octroient les permis pour déboiser. »