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Culture et idées

Des écoféministes et des clownes ont jubilé contre le patriarcat

Lors de la conférence perturbée du 10 juin 2021.

Écoféminisme, clownes, superhéroïnes, capitalisme, patriarcat... Avec humour, énergie et gaieté, la conférence perturbée organisée par Reporterre et le Samovar a donné des clés pour mieux comprendre le mouvement écoféministe.

Bagnolet (Seine-Saint-Denis), reportage

À l’occasion de la quatrième conférence perturbée organisée jeudi 10 juin par Reporterre et le Samovar, un lieu dédié à l’art clownesque à Bagnolet (Seine-Saint-Denis), nous avons plongé dans l’univers des enfants, des superhéroïnes et des sorcières en compagnie d’un trio explosif : Myriam Bahaffou, doctorante en philosophie et études de genre et militante écoféministe, perturbée par les deux clownes Camille Moukli-Perez et Adèle Michel de la compagnie Quand les Moules auront des dents. Tantôt extravagantes, tantôt austères, changeant de costume à la vitesse de l’éclair, elles ont parsemé de leurs numéros le propos de Myriam Bahaffou avec humour et finesse.

La conférence s’est ouverte sur une musique épique, avec l’arrivée sur scène des deux clownes triomphantes en tenue de superhéroïnes. Après avoir situé son point de vue (femme, cisgenre [1], racisée [2], queer [3]), Myriam a posé quelques pistes pour appréhender le mouvement écoféministe : on peut être féministe et écolo sans être écoféministe ! Cherchez le piège…

Plutôt qu’une juxtaposition des deux termes, elle voit l’écoféminisme comme une grille de lecture, une prise de conscience des liens qui existent entre l’exploitation des femmes et celle des ressources naturelles.

© Mariane Fers/Reporterre

Tandis que les clownes défilaient en arrière-plan en brandissant des slogans de manifestations — « Mort au patriarcat, pas au climat », « Féminicides – écocides », ou encore « La planète, ma chatte : protégeons les zones humides » — Myriam racontait les origines de ce mouvement. Les premières écoféministes, même si elles n’utilisaient pas le terme, étaient des femmes des pays du Sud, pauvres, victimes de la « mission civilisatrice » des pays occidentaux. Elles agissaient, entre femmes, contre les puissances colonisatrices qui ravageaient leurs vies, leurs cultures et leurs terres.

© Mariane Fers/Reporterre

Difficile de définir un point de départ unique aux luttes écoféministes, car le mot « écoféminisme » est apparu en Occident sous la plume de Françoise d’Eaubonne en 1974. Il s’agit d’un mouvement militant, transversal et décolonial, qui lutte pour la survie.

« La destruction du monde est perpétrée par une poignée d’hommes riches et intouchables »

La destruction des écosystèmes a tout à voir avec le patriarcat, a ensuite affirmé Myriam. Selon les écoféministes, les mêmes valeurs sont à l’œuvre dans les deux systèmes : la violence, la domination, l’insensibilité, le détachement de ses émotions entraînent la destruction du vivant et l’exploitation des corps (féminins, racisés).

La domination patriarcale se construit dès le plus jeune âge, à l’échelle de nos sociétés et banalise la transgression des limites : sur le corps des femmes, sur celui des autres espèces et sur des territoires géographiques. « La destruction du monde est actuellement perpétrée par une poignée d’hommes cisgenres, Blancs, riches, intouchables, à la tête d’institutions au pouvoir », estime Myriam, en précisant néanmoins que les valeurs dites « masculines » peuvent tout à fait être assimilées par des femmes. Ainsi, les hommes ne sont pas les seuls acteurs de la domination patriarcale.

En plus de dénoncer le patriarcat, les écoféministes pointent la vision dualiste qui régit notre société : Blanc/Noir, femme/homme, nature/culture, raison/émotion, corps/esprit, avec à chaque fois un rapport de domination d’une catégorie sur l’autre.

Les clownes ont illustré la socialisation masculine/féminine à l’œuvre dès l’enfance. © Mariane Fers/Reporterre

Un monde plus juste, ce n’est pas un monde dans lequel on convoiterait l’autre catégorie, a dit Myriam. Au contraire, les écoféministes rejettent les positions de pouvoir et refusent d’écraser les plus faibles à leur tour. Elles souhaitent une destruction du pouvoir et pas une prise de ce dernier par une catégorie (en l’occurrence les femmes).

Une pincée de magie s’est alors invitée sur scène alors que Myriam évoquait la figure de la sorcière : les deux clownes déambulaient solennellement, en mimant un rituel à grand renfort d’encens, de balai, de feuilles mortes et… d’un aspirateur souffleur.

© Mariane Fers/Reporterre

Ensuite est venue la question de l’écoféminisme dans nos assiettes. Myriam est végane et nous a expliqué de quelle façon les représentations des femmes et des animaux se croisent. Elle a pointé les similitudes entre le champ lexical de la chasse et celui de la séduction, entre la représentation des femmes et des animaux dans les publicités. La notion de « consommable » paraît évidente.

Alors que nous analysions le mythe de l’homme chasseur, les clownes, elles, dressaient la table. Elles s’installèrent face à face et s’attaquèrent à leur repas. Peu à peu, le buffet a viré au cannibalisme grand-guignolesque et le sang a giclé sur scène.

© Mariane Fers/Reporterre

La conférence perturbée s’est terminée par une citation de Paul B. Preciado « Nous disons révolution », suivie d’une dernière intrusion de Camille, courant nue sur scène et traversant le public, poursuivie par son acolyte cherchant en vain à couvrir sa nudité à l’aide de cartons pixelisés.

Vous avez dit exhibition ? Elles disent réappropriation.

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