Devant l’Assemblée, ils se collent aux pavés pour exiger l’isolation des logements

Face à l'Assemblée nationale à Paris, le 28 juin 2022. - © Anna Kurth / Reporterre
Face à l'Assemblée nationale à Paris, le 28 juin 2022. - © Anna Kurth / Reporterre
Les activistes de Dernière rénovation ont essayé d’alerter les nouveaux députés sur les importants enjeux énergétiques des bâtiments. La police les a écartés de l’Assemblée avant que les élus n’aient pu les voir.
Place du Palais Bourbon, Paris (Île-de-France), reportage
« C’est le moment ! » Mardi 28 juin, peu avant 15 h, trois activistes se sont assis en tailleur au milieu de la route, juste devant l’entrée du Palais Bourbon, dans le 7ᵉ arrondissement de Paris. Après avoir enfilé des gilets orange fluo, ils se sont enduit la main gauche de glu et l’ont collée sur les pavés. De l’autre, ils ont chacun déployé une affiche à l’effigie de leur collectif : Dernière rénovation, qui milite pour la rénovation énergétique globale de tous les bâtiments en France.
Depuis avril, ce groupe d’activistes s’est distingué en orchestrant plusieurs blocages du périphérique parisien et en interrompant un match de tennis lors du tournoi de Roland Garros, le 3 juin dernier. L’image de la jeune Alizée, à genoux, enchaînée au filet par le cou a fait le tour du monde.

Place du Palais Bourbon, ils souhaitaient interpeller les députés fraîchement élus qui lançaient officiellement la nouvelle législature et élisaient la présidence de l’Assemblée nationale. « Nous leur demandons d’inclure la rénovation énergétique dans le projet de loi Pouvoir d’achat qui sera examiné en Conseil des ministres le 6 juillet », dit Alizée, qui était porte-parole du mouvement pour cette action, à Reporterre.
Traînés « comme des chiens »
Les députés n’ont pas eu l’occasion de les apercevoir : après deux minutes, les activistes ont été « décollés » du sol par les policiers, traînés derrière des barrières, et empêchés de revenir devant le bâtiment. Sasha, Guillaume et Nicolas, choqués, sont repartis avec des morceaux d’asphalte collés aux mains. « Je suis en colère, tempête Alizée. Les politiques actuelles nous mènent dans l’horreur la plus absolue, le gouvernement a été deux fois condamné pour inaction climatique, et celles et ceux qui mettent leurs corps en opposition pour que les choses changent se font traîner comme des chiens. »

Quelques minutes auparavant, Reporterre s’était entretenu avec les activistes dans le petit parc où ils se sont donnés rendez-vous. Parmi eux, trois sont des néomilitants : Alizée et Sasha, 22 ans, et Nicolas, 20 ans. Guillaume, 48 ans, a lutté pendant quelques années au sein du mouvement Extinction Rebellion.
S’ils ont choisi de s’engager avec Dernière rénovation, c’est que la stratégie du collectif promet d’être novatrice. « Par rapport aux autres organisations du mouvement climat, notre résistance s’inscrit sur le long terme avec un foisonnement d’actions de désobéissance civile, une répétition dans le temps qui va nous permettre de construire un rapport de force », explique Nicolas, étudiant en licence de physique. Le tout articulé « autour d’une revendication simple, consensuelle, qui fait du bien à tout le monde : la rénovation énergétique des logements, poursuit-il. Si on n’arrive même pas à faire ça, on n’arrivera jamais à avancer. »
« Si on n’arrive même pas à faire ça, on n’arrivera jamais à avancer »
Pour les militants, assis à l’ombre des arbres, la rénovation des bâtiments aurait un double avantage :
- D’une part, « en gaspillant moins d’énergie, la France réduirait ses émissions de CO₂ », défend Nicolas. Selon des chiffres du ministère de la Transition écologique, publiés en 2020, le secteur du bâtiment génère en effet 23 % des émissions de gaz à effet de serre du pays.
- D’autre part, elle permettrait « d’améliorer les conditions de vie des citoyens vivant dans des bâtisses humides ou trop chères à chauffer, qui peinent à payer leurs factures de gaz et d’électricité », avance Sasha, étudiante. En 2020, près de cinq millions de logements étaient des passoires thermiques. La précarité énergétique toucherait ainsi plus de 12 millions de Français.
Face à ce chantier, Guillaume dénonce l’insuffisance des moyens alloués par les services publics : « La Convention citoyenne pour le climat prônait la rénovation énergétique obligatoire des bâtiments d’ici à 2040 et proposait d’allouer un budget de 13 milliards d’euros par an. Cette mesure a été rejetée et le gouvernement ne débloque que deux milliards d’euros par an pour MaPrimeRénov’, ce qui est largement insuffisant. »

Sasha opine. Pour elle, le problème réside aussi dans le manque de qualité des rénovations réalisées : « Le gouvernement s’est vanté en 2021 d’avoir permis la réalisation de 700 000 travaux de rénovation, mais MaPrimeRénov’ contribue seulement à financer des travaux uniques, par petit pas. Il n’y a eu que 60 000 rénovations globales et performantes, en France, l’année dernière. C’est contre-productif : si un foyer s’engage à changer de chauffage, par exemple, il sera sûrement frileux à mener des travaux d’isolation de sa maison quelques années plus tard. »
Ultimatum
Dès sa fondation, le collectif avait envoyé une lettre au gouvernement, exigeant qu’il s’engage « à financer intégralement la rénovation énergétique des logements de tous les ménages en situation de précarité énergétique, d’ici à 2030 et à rendre obligatoire sous six mois la rénovation globale du parc immobilier français d’ici 2040 ». L’ultimatum était posé au 28 mars. Faute de réaction, les militants sont « entrés en résistance civile ».

Depuis qu’il opère, le collectif a essuyé plus d’une vingtaine d’arrestations. « Peu importe qu’on enchaîne les gardes à vue, parce que si on perd ce combat, face au changement climatique, notre casier judiciaire sera le cadet de nos soucis », souffle Sasha. Cette fois, devant l’Assemblée nationale, personne n’a été embarqué. Nicolas ne cachait pas sa déception. « On ne court pas après, mais c’est un moyen de faire parler de notre combat », explique-t-il.
Quoi qu’il en soit, les activistes comptent persister et d’autres actions seront menées dans les prochains jours et les prochaines semaines, avec des antennes locales qui se structurent hors d’Île-de-France. « Jusque-là, nous avons fait du bruit, mais rien n’a changé, déplore Alizée. Alors nous n’avons aucune raison d’arrêter, le gouvernement ne nous laisse pas le choix. Quand on voit les conséquences probables d’un réchauffement des températures à 3 °C sur les conditions de vie sur Terre, les politiques menées actuellement sont génocidaires. »
Notre reportage en images :