Didier Guillaume, un ministre de l’Agriculture qui aime la bio ?

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Agriculture PolitiqueLe remaniement gouvernemental, mardi 16 octobre, a acté le remplacement, au poste de ministre de l’Agriculture, de Stéphane Travert par Didier Guillaume. Ce dernier vient de la Drôme, un département précurseur en matière de bio. Les écolos peuvent-ils y voir un bon signe ?
Après deux semaines d’attente, depuis la démission du désormais ex-ministre de l’Intérieur Gérard Collomb début octobre, le remaniement ministériel a enfin été annoncé hier, mardi 16 octobre, aux alentours de 9 h 30. Parmi les gros ministères qui changent de patron, l’Agriculture. Stéphane Travert laisse sa place à Didier Guillaume. Les deux hommes ont en commun d’être d’anciens socialistes ralliés à la Macronie.
Stéphane Travert ne sera pas regretté des écolos et des défenseurs d’une agriculture paysanne. L’ex-ministre a porté le gros chantier des états généraux de l’alimentation. Ils avaient laissé entrevoir l’espoir d’un changement de cap de la politique agricole française, axé sur l’amélioration du revenu des agriculteurs et la « montée en gamme » — plus de bio, de label rouge, d’élevage en plein air, etc. Mais la loi « pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine et durable » qui en a découlé en a déçu plus d’un. Le texte a paru peu ambitieux, en comparaison avec les milliers d’heures de réunion et les centaines de participants aux états généraux de l’alimentation censés l’avoir inspiré. « Il suffisait de trois experts dans un ministère, autour d’un bureau, pour rédiger ces mini-mesures qui nous font hausser les épaules. Cela n’est pas à la hauteur de l’attente, de l’urgence », résumait en mai dernier François Ruffin, député France insoumise de la Somme.
« Les quelques rares avancées votées ne masqueront pas l’échec global d’une loi qui ne fixe aucun cap clair pour aider les agriculteurs à sortir de leur dépendance à la chimie et leur assurer un revenu décent », concluait l’association Agir pour l’environnement lors de l’adoption de la loi le 2 octobre dernier.
Symbole de ce manque d’ambition, le glyphosate : la promesse du président Emmanuel Macron d’interdire l’herbicide le plus utilisé au monde d’ici trois ans n’a pas été gravée dans la loi. Stéphane Travert s’est opposé, au nom du gouvernement, à tous les amendements qui le proposaient. Le sujet l’a d’ailleurs confronté à Nicolas Hulot. Quand l’écolo se battait pour que la France défende une interdiction d’ici trois ans, le ministre de l’Agriculture tentait de retarder l’échéance. Plus globalement, son action dans le dossier des pesticides apparaît timide. Le plan de réduction des pesticides annoncé en avril dernier est loin d’avoir convaincu. « Le gouvernement propose des solutions qui n’ont pas fonctionné ces dix dernières années », réagissait alors France Nature Environnement. Stéphane Travert retrouve désormais son poste de député au sein du groupe LREM à l’Assemblée.
Un ex-fidèle de Valls qui connaît bien l’agriculture bio
Son successeur sera-t-il plus engagé sur ces questions ? Didier Guillaume, 59 ans, sénateur de la Drôme depuis 2008, a fait sa carrière au Parti socialiste et a été jusqu’au début de l’année président du groupe socialiste au Sénat. Fidèle de François Hollande, puis de Manuel Valls (il a été son directeur de campagne pour la primaire socialiste), Didier Guillaume s’est vu reprocher dernièrement une trop grande proximité avec Emmanuel Macron par certains de ses confrères sénateurs.
Anecdote largement relayée par nos confrères, il y a dix mois, il annonçait sur sa page Facebook avoir « décidé de quitter la vie politique »…
… avant de revenir : le poste d’organisateur de la coupe du monde de rugby qu’on lui proposait ne lui convenait finalement pas.
La FNSEA, le syndicat agricole majoritaire, a salué un « élu rural et familier du monde agricole », quand la Confédération paysanne, syndicat alternatif, note qu’il « connaît bien son sujet », en tant qu’ancien rapporteur au Sénat de la loi d’avenir pour l’agriculture, à l’époque de François Hollande. Ce syndicat espère également que son département d’origine, la Drôme, pionnier dans le développement de la filière bio, inspirera le nouveau ministre. « Il a été président du club Ambition bio au Sénat, note le sénateur écologiste Joël Labbé, et je ne manquerai pas de le lui rappeler dans nos futurs échanges. »
« Lors des débats sur la loi d’avenir pour l’agriculture, nous avons réussi à faire passer une trentaine d’amendements et il avait été un vrai soutien, notamment sur la mise en place des projets alimentaires territoriaux et les mesures de réduction des pesticides », poursuit le sénateur Labbé. Didier Guillaume apparaît ainsi moins proche de la FNSEA et moins enclin à défendre l’agriculture productiviste classique que son prédécesseur Stéphane Travert.
« L’agriculture française, c’est la compétitivité, le développement économique et l’export, et en même temps, c’est le lien local, l’agroécologie », a prudemment déclaré le nouveau ministre lors de son investiture hier midi, ajoutant qu’il « ne faut céder à aucun lobby ».
Sur le dessus de la pile de dossiers qui l’attendent se trouve la mise en application de la loi Agriculture et Alimentation récemment adoptée. « L’objectif, c’est des agriculteurs qui aient un vrai revenu », a-t-il insisté, souhaitant rendre le métier attirant pour les jeunes.
Sur la question du glyphosate, Didier Guillaume a assuré qu’il serait interdit d’ici la fin du quinquennat, mais qu’il fallait « trouver les substitutions » grâce, notamment, à la recherche.
Enfin, autre « sujet essentiel pour l’agriculture, c’est la politique agricole commune (PAC) », a également déclaré le ministre. « Je vais mettre toutes mes forces dans la bataille parce qu’il en va de la survie d’une partie de notre agriculture. » Reste à savoir s’il défendra son verdissement auprès de ses partenaires européens.
LES ÉCOLOS S’INTERROGENT SUR CERTAINES NOMINATIONS
- Emmanuelle Wargon, énarque de 47 ans , directrice des affaires publiques et de la communication de Danone, devient secrétaire d’État auprès du ministre de la Transition écologique et solidaire. Elle revient donc dans le public après un passage dans le privé, tout comme sa collègue Brune Poirson (passée chez Veolia), elle aussi secrétaire d’État à la Transition écologique, ou son camarade de la promotion Marc Bloch de l’ENA, le Premier ministre, Édouard Philippe (ex-lobbyiste chez Areva). Elle a récemment déclaré que s’opposer aux OGM était une position « dogmatique », un « refus de la science ». Elle devrait reprendre les dossiers de Sébastien Lecornu, notamment celui de la poubelle nucléaire de Bure et de la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim.
- Christophe Castaner passe du poste de secrétaire d’État aux relations avec le Parlement à celui de ministre de l’Intérieur. Rappelons que dans son fief de Forcalquier (Alpes-de-Haute-Provence), il promeut l’agrandissement d’un supermarché, au grand dam des commerçants de centre-ville et des défenseurs des terres agricoles.
- Édouard Philippe, Christophe Castaner et Laurent Nuñez, mardi 16 octobre, au ministère de l’Intérieur.