Loi Agriculture et Alimentation : des améliorations, mais beaucoup de déceptions

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Lors des discussions sur le projet de loi Agriculture et Alimentation, les députés ont refusé d’inscrire dans la loi l’interdiction du glyphosate. Le ministre de l’Agriculture Stéphane Travert soutient cependant que son texte amène une « révolution ». Ses détracteurs y voient une série de mesurettes qui ne changeront pas grand chose pour les paysans et les consommateurs. Voici un bilan complet.
Encore au menu de l’Assemblée nationale jusqu’à demain mercredi, le projet de loi Agriculture et Alimentation aura été débattu par les députés durant plus d’une semaine. Le ministre de l’Agriculture, Stéphane Travert, avait annoncé, juste avant l’ouverture des débats, une « révolution ». D’autres continuent de pointer le manque d’ambition du texte en comparaison avec les milliers d’heures de réunion et les centaines de participants aux états généraux de l’alimentation censés l’avoir inspiré.
« Il suffisait de trois experts dans un ministère, autour d’un bureau, pour rédiger ces mini-mesures qui nous font hausser les épaules. Cela n’est pas à la hauteur de l’attente, de l’urgence », a regretté dans l’hémicycle François Ruffin, député France insoumise de la Somme. Quelques pincées de sel n’ont pas suffisamment relevé le plat pour le mettre au goût de ceux qui partagent l’avis de M. Ruffin.
Symbole de ce manque d’ambition du gouvernement pour ses détracteurs, le refus d’inscrire dans la loi l’interdiction du glyphosate d’ici trois ans. Même l’amendement porté par le député LREM (La République en marche) Matthieu Orphelin, proche de Nicolas Hulot, et une cinquantaine de députés de la majorité a été retoqué. C’était pourtant une promesse présidentielle. « J’ai confiance dans la parole du Président, il s’est engagé sur une interdiction dans trois ans, mais en convaincant ses partenaires européens et en trouvant des solutions aux impasses techniques », explique à Reporterre le rapporteur LREM du projet de loi, Jean-Baptiste Moreau. « Le gouvernement peut prendre la décision quand il le souhaite, il suffit de suspendre l’autorisation de mise sur le marché. Nous sommes là pour écrire la loi, pas pour prendre des mesures symboliques. »
Parmi les députés de la majorité qui soutenaient l’amendement de M. Orphelin, Sandrine le Feur, agricultrice bio dans le Finistère. « Le gouvernement nous a expliqué qu’il ne voulait pas que le monde agricole ne retienne de cette loi que l’interdiction du glyphosate », regrette-t-elle.
« Dans [l]e match qui oppose la santé publique aux intérêts des industriels et à l’agrochimie, il faut un cadre et des règles qui protègent tout le monde », a réagi l’ONG Foodwatch dans un communiqué, qualifiant le refus d’inscrire l’interdiction du glyphosate dans la loi de « tout simplement incompréhensible. »
Le reste du projet de loi reste lui aussi mi-figue, mi-raisin, laissant les défenseurs de l’environnement et de l’agriculture paysanne dubitatifs quant à l’efficacité de ses mesures.
Dans son titre I, le projet de loi entend rétablir « l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire » en faveur des producteurs écrasés par un rapport de force inégal. Parmi les mesures phares, l’encadrement des promotions, le relèvement du « seuil de revente à perte » (un produit alimentaire doit impérativement être revendu au prix d’achat plus 10 %) et le fait que désormais ce seront les producteurs (et non pas les acheteurs) qui proposeront les contrats.
D’autres, au contraire, estiment que rien dans ces mesures ne permettra vraiment aux agriculteurs de vendre leur production à des prix leur permettant de vivre. « Elles ne vont pas chambouler le modèle agricole actuel et les rapports entre producteurs et distributeurs », réagit Nicolas Girod, secrétaire national de la Confédération paysanne.
Un élargissement de la définition des néonicotinoïdes
Le syndicat a soutenu plusieurs amendements tentant de corriger le tir. Il demandait notamment qu’un prix minimum, correspondant au prix de production, soit défini pour les denrées agricoles. « L’idée a été balayée, regrette-t-il. Le gouvernement a même porté des amendements qui annulent certaines avancées. » Exemple : une mesure prévoyait qu’un producteur qui passe en bio ne puisse pas subir de sanction de la part de ses acheteurs pour interruption de contrat. Elle a été supprimée. « C’est pourtant ce qui se passe pour les producteurs de lait qui sont chez Sodiaal ou Lactalis, et qui vont chez Biolait : on leur demande des indemnités, c’est la bagarre pour retrouver les modalités des contrats. »
Jean-Baptiste Moreau défend à l’inverse un « changement de paradigme ». « Il sera obligatoire au sein des contrats de prendre en compte les coûts de production et de préciser quels indicateurs servent à les définir », rassure-t-il.
Le titre II du projet de loi nous promet ensuite « une alimentation saine et durable ».
Plusieurs mesures votées par les députés satisfont à la fois le gouvernement, le rapporteur et les défenseurs de l’environnement :
- l’usage de l’additif E171, le dioxyde de titane sous forme de nanoparticule, est suspendu au nom du principe de précaution ;
- un élargissement de la définition des néonicotinoïdes, permettant d’interdire les insecticides aux modes d’action similaires et donc le sulfoxaflor, qui avait fait polémique à l’automne dernier ;
- l’obligation, d’ici 2022, d’avoir 50 % de produits sous signes de qualité, dont 20 % de bio, dans les cantines ;
- la reconnaissance des « préparations naturelles peu préoccupantes » (purin d’ortie et autres préparations à base de plantes utilisées en agriculture).

La députée LREM Sandrine Le Feur se félicite également de l’ouverture du conseil d’administration des chambres d’agriculture aux ONG et associations. « Cela pourra donner aux chambres d’agriculture plus d’ouverture vers les modèles alternatifs », espère-t-elle.
Adopté contre l’avis du gouvernement, mais défendu par la députée de la majorité Barbara Pompili, un amendement apporte à partir de 2023 de nouvelles informations sur les étiquettes : elles devront indiquer le mode d’élevage des animaux (cage, sol, plein air), s’ils sont « nourris aux OGM », l’origine géographique pour les denrées alimentaires d’origine animale et le nombre de traitements pesticides sur les fruits et légumes frais.
La vidéosurveillance dans les abattoirs a elle aussi été affaiblie
L’interdiction de l’élevage de poules en cage, promis par le président de la République lors de sa campagne et à Rungis, a lui été retoqué. Les associations de défense du bien-être animal doivent se contenter de l’interdiction de l’installation de nouveaux élevages de poules en cage. « Cela amènera ce mode d’élevage à disparaître d’ici 2028, on ne pouvait pas mettre en place une interdiction brutale, car les éleveurs ont déjà lourdement investi pour s’adapter au nouveau règlement européen sur les cages », explique la députée LREM du Finistère Sandrine Le Feur. « Il n’y a plus d’installations ou d’extensions depuis plusieurs années faute de débouchés », dénonce de son côté l’association L214, qui considère que cette mesure revient à n’avoir « rien » voté.
La vidéosurveillance dans les abattoirs a elle aussi été affaiblie, la volonté de la mettre en place remplacée par une expérimentation de deux ans pour les établissements volontaires. « Reste à voir ce qui sera fait pour inciter les abattoirs à mettre en place cet outil », s’interroge l’association de défense des animaux d’élevage CIWF France.
Toujours dans ce même volet, la Confédération paysanne se félicite que le principe de l’expérimentation d’un abattoir mobile, permettant aux éleveurs d’abattre leurs animaux à la ferme, ait été accepté.
Enfin, beaucoup de mesures prônées par les défenseurs de l’environnement et d’une alimentation plus saine n’ont pas été adoptées :
- la création de périmètres de protection contre les épandages de pesticides autour des habitations (Stéphane Travert a retiré son amendement) ;
- l’introduction d’un menu végétarien dans les cantines ;
- l’interdiction des contenants alimentaires en plastique dans les cantines ;
- l’interdiction des publicités pour les aliments trop gras, trop sucrés, trop salés destinés aux enfants ;
- l’obligation d’indiquer le « Nutri-Score » (système officiel de classification des aliments en fonction de leur qualité nutritionnelle) des aliments dans les publicités a elle aussi été rejetée.

« Le texte a été considérablement enrichi », se félicite tout de même son rapporteur, Jean-Baptiste Moreau. À la Confédération paysanne, on ne semble pas avoir goûté la même recette : « On nous a fait miroiter des choses, mais il n’y aura pas de vrai changement », déplore Nicolas Girod.
Les débats à l’Assemblée se termineront demain mercredi. Dernier sujet sensible non encore abordé, la séparation de la vente et du conseil des pesticides, autre promesse faite par Emmanuel Macron.
La prochaine étape du projet de loi sera ensuite le Sénat. Les chances de faire évoluer le texte sont désormais restreintes. Le gouvernement l’a placé en procédure accélérée.