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En brefMonde

Du Mexique à la France, de la protection de la faune à la lutte contre le plastique, les héros 2020 de l’environnement

La Fondation Goldman pour l’environnement a attribué le 30 novembre ses prix pour l’année 2020. Considéré comme le Nobel vert, le prix Goldman est décerné chaque année à six activistes, choisis dans chacune des six régions du globe. « Ils démontrent l’impact qu’un individu peuvent avoir sur toute la collectivité », a dit, lors de la cérémonie, John Goldman, président de la Fondation basée à San Francisco. Les lauréats 2020 sont Kristal Ambrose (Bahamas), Paul Sein Twa (Myanmar), Leydy Pech (Mexique), Lucie Pinson (France), Chibeze Ezekiel (Ghana), et Nemonte Nenquimo (Équateur).

Cette année, c’est l’actrice Sigourney Weaver qui présentait, depuis son salon, la cérémonie. « Nous sommes les gardiens de la Terre, a-t-elle déclaré, il faut faire passer les animaux sauvage, la nature, tout ce qui permet à la vie de continuer, en premier ! » L’actrice avait joué le rôle d’une protectrice des gorilles de montagne dans le film Gorilles dans la brume, sorti en 1988, un an avant la création du prix par Rhoda et Richard Goldman. Elle a conclu, optimiste : « La réussite des six lauréats est là pour montrer qu’une seule personne déterminée peut changer la donne. »

Kristal Ambrose

Kristal Ambrose a fait passer une loi bannissant le plastique à usage unique aux Bahamas.

À 18 ans, Kristal Ambrose travaillait dans un aquarium. Un jour, elle a dû maintenir une tortue de mer pendant qu’un vétérinaire lui retirait du rectum des emballages de bonbons, des morceaux de sacs plastique... Le souvenir de « l’agonie de douleur » de la tortue ne l’a plus quitté. Elle a alors décidé d’agir sur les causes structurelles et politiques du problème du plastique, au Bahamas. Elle a d’abord mobilisé les enfants puis, avec un groupe d’activistes, a organisé des manifestations à Nassau début 2018. Objectif : que le ministre de l’Environnement interdise les plastiques à usage unique, ce que plusieurs pays des Caraïbes avaient déjà fait. Kristal a été entendue et invitée à participer à la rédaction de la loi entrée en vigueur cette année. Elle poursuit désormais son doctorat en biologie marine.

Paul Sein Twa

Paul Sein Twa a créé un Parc de la paix au Myanmar.

Après la Seconde Guerre mondiale, le peuple Karen, l’un des huit principaux groupes ethniques du Myanmar, voulait un État indépendant, ce qui a provoqué un conflit politique armé de soixante-dix ans avec le gouvernement birman.

Paul Sein Twa, 47 ans, est un Karen qui a grandi le long de la frontière thaïlandaise et birmane. Il a passé sa vie dans les zones de conflit. Profondément lié foyer des Karen, le bassin de la rivière Salween, le plus long fleuve à écoulement libre d’Asie, il a consacré sa vie à préserver sa terre et ses traditions. Cette zone de biodiversité majeure abrite certaines des dernières zones sauvages intactes de l’Asie du Sud-Est continentale : des vastes forêts de teck, où vivent tigres, pangolins de la Sonde, léopards, gibbons, ours noirs d’Asie et ours malais. En 2001, il a cofondé le Karen environmental and social action network (Kesan) afin de protéger l’environnement et la culture des Karen.

La transition de la dictature militaire à la démocratie capitaliste en Birmanie s’est accompagnée d’une augmentation de l’exploitation forestière, des mines, de l’agroalimentaire, des barrages et de l’extraction du caoutchouc dans la région. En 1998, le gouvernement birman a décidé la construction du barrage Hatgyi, qui a coûté 2,6 milliards de dollars et a une capacité de 1.360 mégawatts, dans le sud du bassin de Salween, au cœur du territoire Karen.

En 2005, alors que le développement industriel augmentait dans la région, Paul Sein Twa a commencé à établir des cartes du territoire, et à répertorier la biodiversité. Une approche communautaire pour protéger le bassin de la rivière Salween, avec le soutien du gouvernement local. Il a découvert le modèle du Parc de la Paix et a lancé une stratégie proactive de protection de l’environnement et d’autodétermination pour les Karen.

Les Parcs de la paix, également appelés Zones protégées transfrontalières, servent à préserver des zones de biodiversité et de patrimoine culturel pour promouvoir la consolidation de la paix. Le corridor Selous-Niassa (Tanzanie/Mozambique), la zone de conservation du Triangle d’Émeraude (Thaïlande/Laos/Cambodge) et la Cordillère du Condor (Équateur/Pérou) sont des exemples de parcs de la Paix antérieurs.

Il a réussi à créer, en décembre 2018, dans le bassin de la rivière Salween, un Parc de paix de 1,35 million d’hectares (incluant la zone du projet controversé de barrage…), pour faire « prendre conscience de l’importance de la culture des indigènes et la faire respecter ».

Leydy Araceli Pech Martin

Leydy Araceli Pech Martin a vaincu Monsanto au Mexique.

L’État de Campeche, dans la péninsule du Yucatan au Mexique, est un mélange de forêts, d’apiculture, d’agriculture locale, et un lieu où la culture maya est profondément enracinée. À Campeche, 25.000 familles indigènes mayas dépendent de la production de miel. Il y a vingt ans, Monsanto a commencé à cultiver des parcelles expérimentales de soja génétiquement modifié Roundup Ready, programmé pour résister à de fortes doses de l’herbicide Roundup, reconnu comme carcinogène probable. En 2010 et 2011, le gouvernement a élevé ces projets au rang de projets pilotes. En 2012, sans consulter les communautés mayas locales, le gouvernement mexicain a accordé à Monsanto des permis pour planter du soja transgénique sur 235.000 hectares.

Leydy Pech, 55 ans, est apicultrice dans un collectif de femmes mayas, et élève une espèce d’abeille indigène rare, Melipona beecheii. Elle est également membre d’une coopérative d’agriculture biologique et d’agroforesterie composée uniquement de femmes mayas. Leydy s’est aperçue que Monsanto rasait des forêts pour planter son soja, et qu’après des épandages de pesticide, les habitants tombaient malades, et que ses abeilles mouraient.

En juin 2012, indignée, elle a réuni des apiculteurs et des ONG environnementales et a créé la coalition Sin Transgenicos (Sans OGM). Ils ont intenté un procès au gouvernement mexicain pour faire cesser la plantation de soja OGM. Ni le gouvernement ni Monsanto n’avaient en effet consulté les communautés indigènes avant d’approuver les permis, en violation de la Constitution mexicaine et de la Convention 169 de l’Organisation internationale du travail (OIT).

En novembre 2015, la Cour suprême du Mexique a décidé à l’unanimité que le gouvernement devait consulter les communautés indigènes et a suspendu les permis de Monsanto qui a néanmoins continué à planter. Leydy Pech a continué sa lutte et finalement, en septembre 2017, le Service alimentaire et agricole du Mexique a révoqué le permis accordé à Monsanto pour la culture de soja génétiquement modifié dans les sept États concernés. « Je veux dire au monde qu’il faut cesser le vol des terres indigènes », dit-elle dans son discours d’acceptation du prix, « nous luttons pour notre vie, et la vôtre ».

Chibeze Ezekiel

Chibeze Ezekiel a bloqué le projet d’une centrale à charbon au Ghana.

Chibeze Ezekiel, 40 ans, et son organisation 350G-Roc (une filiale de l’ONG 350.org), a organisé une campagne populaire de quatre ans contre la construction de la première centrale électrique au charbon de 700 mégawatts au Ghana et de son port attenant, construction soutenue par un prêt de 1,5 milliard de dollars du Fonds de développement africain de la Chine.

Il a travaillé avec les communautés locales pour mettre en évidence les dommages que la centrale aurait causés, et a persuadé son gouvernement que les énergies renouvelables étaient la voie à suivre. Ils ont réussi à convaincre le ministre ghanéen de l’Environnement, empêchant ainsi l’industrie du charbon d’entrer au Ghana. En juin 2017, le président ghanéen a annoncé que les nouveaux projets d’électricité seraient uniquement basés sur les énergies renouvelables.

Nemonte Nenquimo

Nemonte Nenquimo a bloqué la vente de 205.000 ha de forêt amazonienne en Équateur.

Nemonte Nenquimo, 33 ans, est une Waorani, engagée à défendre son territoire ancestral, son écosystème, sa culture, son économie et son mode de vie. Elle a cofondé en 2015, l’Alliance Ceibo, une organisation indigène, pour lutter contre les projets de concessions pétrolières. En 2018, le ministre équatorien des hydrocarbures a annoncé une vente aux enchères de seize nouvelles concessions pétrolières, sur trois millions d’hectares de forêt amazonienne primaire. Les concessions étaient situées sur les terres titrées des nations Waorani, Shuar, Achuar, Kichwa, Shiwiar, Andoa et Sápara, en violation directe des droits des autochtones. Une des zones chevauchait presque entièrement le territoire de Waorani représentant un dixième de ses terres ancestrales d’origine et où vit 80 % de la population Waorani.

En réponse à l’annonce de la vente aux enchères, Nenquimo a lancé un projet de cartographie communautaire qui a permis de répertorier plus de 200.000 hectares du territoire Waorani, englobant seize communautés. Elle a ensuite organisé les communautés Waorani (assemblées régionales et entretiens avec les chefs de village), puis lancé une campagne numérique ciblant les investisseurs potentiels avec le slogan « Notre forêt tropicale n’est pas à vendre », ainsi qu’une pétition adressée à l’industrie pétrolière et au gouvernement équatorien, signée par 378.000 personnes du monde entier. Nenquimo a aussi aidé les communautés à conserver leur indépendance en installant des systèmes de collecte des eaux de pluie et des panneaux solaires et en soutenant une entreprise de production de cacao et de chocolat biologique dirigée par des femmes.

Finalement, Nenquimo a participé au procès des Waorani contre le gouvernement équatorien pour violation du droit des Waorani à un consentement libre, préalable et éclairé. En avril 2019, les tribunaux équatoriens se sont prononcés en faveur des Waorani, une décision qui a été confirmée par la cour d’appel en juillet de la même année. Une jurisprudence historique pour l’obligation d’obtenir le consentement libre, préalable et éclairé de toutes les communautés indigènes en Équateur (Convention 169 de l’OIT), et un revers majeur dans les projets du gouvernement équatorien d’extraire du pétrole dans le centre-sud de l’Amazonie.

« Les compagnies pétrolières n’apportent que la mort et la maladie et laissent en partant des épandage de pétrole et de pollution », conclut-elle.

Lucie Pinson

Lucie Pinson obtient des promesses de la finance française.

Sous la pression de Lucie Pinson, seize groupes financiers français, dont le Crédit agricole, Axa, BNP Paribas et la Société générale, se sont engagés à sortir totalement du charbon en excluant de leur portefeuille les entreprises qui développent de nouveaux projets et en demandant aux autres d’adopter des plans de sortie de cette énergie. Par la suite, quarante-trois banques et assureurs internationaux ont cessé de soutenir la construction de mines et de centrales à charbon. Reporterre l’a interviewée

Aux États-Unis, l’administration Trump veut contrer ce mouvement de désengagement des énergies fossiles. Le Bureau du contrôleur de la monnaie (OCC) du département du Trésor américain vient de proposer une nouvelle règle présentée comme visant à garantir, pour toutes les entreprises, un « accès équitable » au financement par des banques. Une mesure qui empêcherait les grandes banques de refuser de faire des affaires avec certaines industries ou certains groupes d’entreprises et pourrait mettre fin aux campagnes de désinvestissement et de boycott des combustibles fossiles. La proposition de l’administration Trump cite spécifiquement les efforts des banques pour répondre aux risques du changement climatique ou pour se conformer à l’accord de Paris.

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