Du barbouillage au prétoire, le combat antipub continue

- © Caroline Varon / Reporterre
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Médias LuttesAprès le bombage de publicités, les militants antipubs usent désormais de techniques plus juridiques en enchaînant les plaintes. De quoi limiter l’expansion de la publicité dans l’espace public.
Vous lisez la partie 3 de notre enquête « La publicité à l’heure du défi climatique ». La 1 est ici et la 2 ici.
Chez les antipubs, l’heure n’est plus aux grosses opérations de barbouillage. Au début des années 2000, on pouvait voir des centaines de militants débouler à visage découvert dans une station de métro pour taguer les publicités à la bombe de peinture avec des slogans anticonsuméristes. Ces actions particulièrement télégéniques avaient mis le mouvement antipub dans la lumière. Jusqu’à ce que les tribunaux ne refroidissent ses ardeurs. En 2004, la régie Métrobus et la RATP ont poursuivi 62 militants, réclamant 1 million d’euros de dommages et intérêts au civil. Chaque accusé a finalement été condamné à une somme de 2 500 euros.
Un petit réseau militant réuni au sein du collectif des Déboulonneurs (ou Barbouilleurs), créé en 2005, en avait néanmoins fait son mode opératoire. « On allait directement à la police après nos actions, pour qu’une procédure de flagrant délit s’ouvre, au pénal, où les arguments moraux ont leur place contrairement au civil », raconte Thomas Bourgenot, vingt ans de combat antipub au compteur et porte-parole de Résistance à l’agression publicitaire (RAP). De procès en procès, ces irréductibles enchaînèrent les tribunes politiques, les condamnations symboliques ou avoisinant les 200 euros et au moins trois relaxes fracassantes, au nom de la liberté d’expression ou de « l’État de nécessité ».

Mais leur énergie militante s’est amenuisée. Le mouvement antipub, incarné notamment par RAP, s’est transformé, remisant l’action frontale pour un travail plus classique de plaidoyer, de veille et de mobilisation. Il travaille avec des ONG de tous horizons, qui portent chacune dans leur domaine un grief contre la publicité.
Adidas, New Balance, Total…
Signe d’un changement de rapport de force, la Convention citoyenne pour le climat s’est alignée en 2020 sur une partie des revendications antipubs. « Il y a vingt ans, on nous prenait pour des gens qui n’avaient rien à faire de leur vie, témoigne Thomas Bourgenot. Depuis trois ou quatre ans, les gens font davantage le lien entre la surconsommation et la destruction du vivant. »
Les avancées réelles restent modestes, mais elles créent des failles dans lesquelles les ONG peuvent s’engouffrer. Grâce à une disposition de la loi Climat et Résilience, une entreprise peut désormais être attaquée en justice pour des allégations environnementales trompeuses. Depuis, les plaintes s’enchaînent, comme celle de Zero Waste France en juin contre Adidas et New Balance, ou du trio Les Amis de la Terre, Greenpeace et Notre affaire à tous en mars contre Total et sa communication autour de son objectif de « neutralité carbone en 2050 », alors que les énergies fossiles représentent encore 90 % de son activité.

L’autre bagarre juridique se joue autour des règlements locaux de publicité, qui fixent les règles en matière d’affichage public. Ils ont été révisés partout en France depuis trois ans, à la suite d’une disposition issue du Grenelle de l’environnement forçant les exécutifs locaux à les mettre à jour. Ce sont plus de 300 consultations locales que l’association Paysage de France a engagées pour tenter d’arracher des petites victoires. « Un travail de fou furieux », résume Pierre-Jean Delahousse, son porte-parole.
Faute de victoires spectaculaires, ces efforts permettent de limiter les dégâts, notamment sur le front désormais prioritaire des écrans publicitaires [1], que des dizaines de villes interdisent sur le mobilier urbain. Pas de quoi contenter Pierre-Jean Delahousse. Le militant associatif n’a pas de mots assez durs envers des municipalités qui s’affichent antipubs, mais continuent de déroger au Code de l’environnement pour permettre « massivement » les publicités qui seraient par défaut interdites (trottoirs, abords des monuments historiques, etc.). Avec son association, il totalise une centaine de procès victorieux contre l’État, en vingt-cinq ans, pour faire démonter des publicités illégales.

Davantage de plaintes
Une autre stratégie consiste à utiliser les mécanismes d’autorégulation mis en place par l’industrie de la publicité pour éviter une législation trop contraignante. Mathieu Jahnich, formateur en publicité responsable et lanceur d’alerte contre l’écoblanchiment, dépose environ 20 plaintes par an devant le Jury de déontologie publicitaire. Il en gagne, selon son estimation, 80 %, ce qui contribue au moins à rendre le problème visible.
« Le nombre de plaintes explose depuis quelques mois, notamment grâce à des particuliers qui se saisissent de cet outil », assure-t-il. Les chiffres communiqués à Reporterre par l’Autorité de régulation de la publicité le confirment : sur les neuf premiers mois de l’année 2022, le jury a reçu 120 plaintes relevant de ses recommandations « développement durable », contre 90 sur la même période en 2021. Les plaintes pouvant être au final reconnues comme fondées ou infondées.
Toutes ses évolutions n’ont toutefois pas totalement éclipsé le rituel militant du barbouillage. En mars, Extinction Rebellion, RAP et le collectif lyonnais Plein la vue ont lancé la plateforme Respiro, qui ouvre les panneaux pour en retirer les publicités, sur demande des citoyens invités à pétitionner en ligne. Sur son site internet, l’objectif est fièrement affiché : « La publicité bientôt interdite dans les espaces publics en France. »