Élysée, braconnier devenu cultivateur de cacao

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Animaux Agriculture Monde Forêts tropicalesEN PHOTOS — Élysée vit dans la réserve camerounaise du Dja. Il a un temps été braconnier, chasseur « opportuniste » de tout ce qui pourrait lui rapporter l’argent nécessaire au quotidien de sa famille. Jusqu’à ce qu’il abandonne ce métier dangereux pour la production de cacao grâce à une coopérative locale.
Changement climatique, Covid-19, violences policières, chômage des jeunes… Le fond de l’air est triste. Mais il se passe aussi plein de choses revigorantes. Cette semaine, Reporterre vous présente des initiatives pleines d’espoir, qui rompent avec le système dominant. On peut vivre autrement, coopérer, s’émanciper, s’inspirer les unes les autres. Bonne lecture !
- Réserve du Dja (Cameroun), reportage
Au Cameroun, la réserve de faune du Dja, d’une superficie de 526.000 hectares de forêt, a longtemps été considérée comme l’une des régions les plus riches du pays en matière de biodiversité [1].

Dès les années 1980 cependant, la crise économique et la chute du cours des produits agricoles sur les marchés mondiaux ont fortement ébranlé la relation équilibrée qui existait entre les communautés locales travaillant ces produits, et leur environnement, obligeant celles-ci à développer de nouvelles stratégies.
La culture du cacao, principale source de revenus des populations de cette région, située à l’est de Yaoundé, la capitale du pays, a ainsi été abandonnée au profit du braconnage, de l’orpaillage et de la déforestation de la zone par des entreprises tierces, l’État leur ayant ouvert les portes de la réserve à la suite de cette crise.

Ainsi, la surexploitation des ressources naturelles, conjuguée à des mesures de protection de la nature souvent défaillantes, entraîna une perte de la biodiversité, au détriment de la population rurale la plus pauvre, qui en vivait traditionnellement.

Élysée est l’un de ces habitants nés durant cette crise. En 1987, le chômage explosa dans la réserve du Dja. Adulte, il décida de travailler comme taxi-moto pour faire construire sa case et prendre soin de sa famille. Mais, au fur et à mesure du temps, plus celle-ci s’agrandissait et plus les besoins financiers augmentaient. Voyant que son activité ne lui rapportait plus assez d’argent pour s’occuper de ses sept enfants, Élysée changea de profession pour la seule qui rapportait assez d’argent dans les environs, le braconnage. Il s’acheta un fusil et partit en forêt chasser du gibier, espèce menacée ou non, tant que cela lui rapportait de l’argent [2].

Cette profession est rapidement très rentable. En trois jours, un chasseur peut gagner 30.000 francs CFA (soit 45 euros, l’équivalent d’un salaire d’un mois pour vivre correctement dans la réserve). La chasse a permis à Élysée de sortir de la pauvreté et de scolariser ses enfants. Mais le revers de cette activité est qu’elle peut être mortelle. Élysée témoigne : « J’ai déjà été surpris par des éléphants ou des gorilles durant certaines chasses. Ces rencontres peuvent nous coûter la vie et certains de mes voisins sont morts à cause de ça. »
De plus, le braconnage étant évidemment illégal, les risques encourus sont gros pour le braconnier. « Quand je me faisais attraper par un des gardes de la réserve, si je n’arrivais pas à le soudoyer, il me conduisait devant la justice où je devais payer d’encore plus gros pots-de-vin. »
En 2013, fatigué par l’aspect dangereux de ce travail et par le stress qui en découlait, Élysée s’est rapproché d’une jeune coopérative dans la réserve. La Société coopérative des producteurs de cacao du Dja lui a ainsi donné la possibilité de suivre un programme de reconversion pour devenir producteur de cacao (lire ici notre appui sur la coopérative).


À l’époque, le braconnage me stressait tellement que je me disputais quasiment tous les jours avec ma femme. Un jour, j’ai même failli tuer un homme qui m’avait dénoncé auprès des gardes de la réserve, alors qu’il avait accepté un pot-de-vin de ma part. C’est cet évènement qui m’a fait prendre conscience que je devais changer. » Élysée
Aujourd’hui engagé dans cette coopérative dont 70 % des adhérents sont d’anciens braconniers, Élysée espère ne jamais avoir à reprendre son ancienne activité. « Ce travail me rend plus tranquille. J’aime ce que je fais et je suis fier de ça. »



Même s’il gagne moins qu’avant (25.000 FCFA contre 100.000 à l’époque), cette vie-là lui suffit. Il comble le manque de revenus par ce qu’il appelle « la débrouille » en fabriquant par exemple son propre savon et en le revendant ou en faisant de l’élevage. « Je gagne moins, oui, mais c’est un sacrifice nécessaire pour mes enfants. Ce sont eux qui me poussent à être un homme meilleur et je ne veux pas qu’ils voient leur père avoir des ennuis. »


Son frère Destin, quant à lui, continue toujours à braconner malgré les risques d’être arrêté ou blessé. Anciennement employé par une compagnie forestière, ce scieur de profession a perdu son travail il y a dix ans quand la compagnie a fait faillite et n’a jamais réussi à retrouver un travail semblable à celui qu’il avait avant. Destin affirme : « Pour moi, vivre ça veut dire manger et subvenir aux besoins de la famille. En plus de payer la nourriture, il faut s’occuper des enfants, les emmener à l’école, payer l’essence, les médicaments et répondre aux autres tracas du quotidien. Aller en forêt pour chasser ce n’est pas un plaisir, c’est même dur, mais c’est un moyen de survie. Sans ça, je ne pourrais pas vivre décemment. Les gens sont pauvres ici, l’électricité, le congélateur, tout ça manque, mais au moins j’ai du travail. » Comme beaucoup de chasseurs de la région, Destin pourrait être qualifié d’opportuniste : il chasse ce qu’il trouve, des espèces prolifiques comme des espèces en danger, même s’il dit « essayer d’éviter ces dernières ». Une fois rapportée au village, la carcasse de l’animal tué est découpée. Une partie est vendue et l’autre est gardée pour nourrir la famille ou le village dans certains cas.


Aujourd’hui, comme son frère avant lui, Destin est fatigué de la vie de braconnier. Il aimerait avoir un travail régulier lui permettant de vivre et d’arrêter la chasse, mais la coopérative ne lui plaît pas. Il juge difficile de vivre de l’agriculture seule et dit que cette activité ne lui permettrait pas de vivre assez bien à court terme.
Même si aujourd’hui Destin continue à chasser et à braconner, cela ne l’empêche pas de se dire conscient du déclin de certaines espèces, comme les grands singes. « Quand j’étais jeune, on pouvait voir les chimpanzés au bord du village en train de manger les cannes à sucre cultivées. Aujourd’hui, il est très rare d’en apercevoir en forêt. Il faut marcher au moins 15 kilomètres pendant la bonne saison pour espérer en voir. »
LA SOCIÉTÉ COOPÉRATIVE DES PRODUCTEURS DE CACAO DU DJA, ARME CONTRE LA PAUVRETÉ

Dans ces régions reculées, la pauvreté et le chômage sont souvent les graines du braconnage. Créer des aires protégées permet une réduction de la chasse dans certaines zones mais sans solutions adaptées pour vivre autrement, les communautés locales refuseront toujours de faire passer la protection de la diversité du vivant avant eux. Mais tout n’est pas sans espoir pour autant. Même si la pauvreté constitue une immense barrière pour lutter contre la disparition des espèces, certaines initiatives locales permettent à des hommes et des femmes de se tourner vers des activités légales et beaucoup moins destructrices pour l’environnement.
La création en 2013 de la Société coopérative des producteurs de cacao du Dja a ainsi marqué un énorme bouleversement dans la réserve. Le regroupement de ces producteurs locaux a permis l’augmentation du prix de vente du cacao et l’amélioration de leur niveau de vie. « En nous payant le cacao à un prix plus juste que les acheteurs extérieurs, la coopérative nous permet d’améliorer nos revenus et d’être autonomes plus rapidement », explique un de ces producteurs, qui souhaite rester anonyme. Une fois la coopérative rejointe, ces producteurs bénéficient de formations pour un développement plus efficace de leur activité et de manière plus durable pour la forêt et sa biodiversité.

Depuis le démarrage des activités de la coopérative, environ 50 hectares d’anciennes cacaoyères ont été réhabilités afin d’éviter l’ouverture de nouvelles parcelles dans des espaces forestiers vierges et 158 producteurs sont désormais regroupés en son sein. La coopérative est rentable depuis 2017.


Les mentalités ont beaucoup changé dans la région depuis dix ans. Avant, le braconnage était accepté et même banal, mais depuis qu’un travail de sensibilisation a été mis en place et que la culture du cacao est rentable pour les villageois, le braconnage représente maintenant, pour beaucoup de locaux, une menace pour la biodiversité de la boucle du Dja. Ainsi, les efforts de reconversion et les messages de la coopérative portent leurs fruits après dix ans de travail.
