En Andalousie, un écolieu lutte contre la désertification

Jeltje Gijzel, une habitante de l'écolien Sunseed desert technology, en Andalousie. - © Paco Puentes / Reporterre
Jeltje Gijzel, une habitante de l'écolien Sunseed desert technology, en Andalousie. - © Paco Puentes / Reporterre
En Andalousie, l’écolieu le Sunseed accueille depuis trente-cinq ans des jeunes du monde entier. Cette communauté autogérée lutte contre la désertification en restaurant les écosystèmes et expérimente un mode de vie respectueux de la nature.
Los Molinos del Río Aguas (Andalousie, Espagne), reportage
L’endroit se situe à l’entrée du minuscule village de Los Molinos del Río Aguas. Une oasis d’à peine vingt habitants nichée au milieu des montagnes andalouses dans le parc naturel de Karts en Yesos. Après avoir roulé une dizaine de minutes en compagnie de Chloé et Idir, deux habitants de Sunseed desert technology, nous marchons jusqu’à une grande bâtisse blanche. C’est la maison principale — the « Main house ». Les Sunseeders, c’est ainsi qu’on les nomme, viennent de terminer leur déjeuner et nous accueillent dans une ambiance joyeuse. Après trois semaines de pluie intense bloquant toute la vie de l’écolieu — une sorte de communauté éducative, écolibertaire et internationale créée en 1986 — le soleil est enfin de retour. Les membres, soulagés, peuvent reprendre leurs activités.
« Sunseed, c’est un projet d’éducation alternatif pour montrer qu’une autre vie est possible », explique Michael, le doyen du groupe. Cet espagnol de 36 ans est de retour sur place après une première expérience en 2017. Ici, on vit en collectivité, pour quelques semaines ou quelques mois. Actuellement, le lieu compte une quinzaine de membres, venus principalement d’Europe (Angleterre, Espagne, France, Italie ou encore Pays-Bas). Les Sunseeders se répartissent en six départements de travail : potagers écologiques, écomaintenance et low-tech [1], restauration des écosystèmes, vie durable, communication et éducation.

Dans la salle commune, Inès, 25 ans et étudiante en biologie, donne un cours sur les fungi, terme scientifique pour désigner les champignons. Le lieu est connu pour multiplier les projets autour de ces espèces afin d’étudier leur rôle dans la préservation des écosystèmes en milieu aride. C’est d’ailleurs l’une des raisons qui a poussé la jeune femme à venir ici. Pendant une heure, elle partage ses connaissances en se fondant notamment sur des expérimentations menées au potager. Ici, toute les cultures sont pensées pour faire face au manque d’eau et aux sécheresses : plantation en compagnonnage, arrosage peu fréquent et paillis pour préserver l’humidité.

Tous les vendredis matin, les Sunseeders prennent part à une activité commune. Ce jour-là, c’est au tour de Silvia, une Italienne de 29 ans. Cette spécialiste en conservation de la nature nous emmène sur les terres qui entourent le site pour un atelier de restauration écologique. Durant toute la matinée, les équipes plantent différentes variétés d’espèces endémiques afin de favoriser la revégétalisation et stopper l’érosion de ces plaines désertiques. « Notre objectif est de donner un coup de main au processus de régénération naturelle », explique Silvia. Parmi ces plantes locales : l’Esparto grass. Très résistante aux sécheresses, elle est aussi traditionnellement utilisée par les populations locales pour fabriquer de la fibre textile.

À Sunseed, le brassage de savoirs est riche mais l’apprentissage n’est pas toujours facile puisqu’il ne repose pas sur un programme d’enseignement classique. « Depuis que je suis ici, j’ai énormément appris, mais pas forcément de la manière à laquelle je m’attendais », dit Inès. « Il n’y a personne pour vous dire exactement quoi faire ou quoi apprendre mais j’ai aussi compris que je pouvais donner vie à mes propres projets. » Tout se fait de façon collaborative et libre. Même si l’organisation des départements reste relativement similaire, les projets et les savoirs partagés évoluent en fonction des personnes présentes. « À partir du moment où tu viens à Sunseed, tu deviens toi-même une partie de l’expérience », résume Michael.

Pour diffuser ses pratiques, le lieu propose des activités à destination du grand public. Ateliers, tours, mini-marchés sont régulièrement organisés. Cette semaine, ils s’apprêtent d’ailleurs à accueillir les élèves d’une école danoise.

Dès le début du projet, la transmission des savoirs a été placée au cœur de la démarche. Le lieu a été créé en 1986 par un groupe de chercheurs britanniques travaillant sur la réhabilitation des milieux désertiques en Afrique. Ils avaient décidé de rapprocher leur programme de recherche en s’installant dans la région d’Alméria, le seul désert d’Europe. Très vite, ils ont opté pour un projet éducatif et communautaire afin de développer de nouveaux modes de vie tout en luttant contre la dégradation des milieux.
Dans les archives de la bibliothèque s’entassent des classeurs qui regorgent d’articles, de dossiers, de notes… donnant un aperçu des multiples projets et réflexions menées depuis des générations. On y retrouve les premières expérimentations d’un four solaire datant des années 1990. « C’est incroyable, il nous faudrait un temps fou pour tout consulter », s’exclame Chloé, 29 ans, designeuse et membre de l’équipe « écomaintenance ». « Malgré tout, le manque de structure et le renouvellement permanent des membres font qu’il y a aussi une grande déperdition de savoirs » remarque-t-elle. Un constat partagé par l’ensemble de la communauté.

Car, après deux ans de pandémie, le Sunseed Desert Technology ne traverse pas sa période la plus facile. Depuis quelques mois, le lieu a débuté une phase de transition afin de retrouver un cap et relancer sa dynamique. Encore sous l’égide anglaise, l’association cherche à devenir 100 % espagnole et de grands chantiers sont en cours : achat de nouvelles parcelles de jardins, rénovation des bâtiments, recrutement de membres à long terme, développement de l’ancrage local…
« L’eau, c’est la vie »
La gestion de l’eau est une préoccupation majeure dans cette zone particulièrement menacée par la désertification. Los Molinos, le village qui abrite Sunseed, n’est raccordé à aucun réseau. Toutes les maisons sont équipées de panneaux solaires. L’approvisionnement en eau repose sur un système d’irrigation traditionnel unique en son genre, complètement low-tech. L’eau est prélevée des acequia — les canaux — provenant de la rivière Río Aguas à l’aide d’une pompe hydraulique. Sa particularité ? Elle fonctionne uniquement grâce à l’énergie générée par la pression de l’eau arrivant des niveaux supérieurs pour ensuite être propulsée vers les cuves qui alimentent les habitations. Un bel exemple de ce que peut être une technologie douce, sobre et adaptée à son milieu.

« Cette pompe, c’est comme le cœur du village qui bat. Sans elle, il n’y aurait pas de vie possible ici », dit Mattia, un ingénieur hydraulique d’une trentaine d’années. « Ici, on s’efforce de maintenir l’eau la plus propre possible », indique celui qui s’occupe du système d’épuration de Sunseed. Aucun produit chimique n’est autorisé. Tout le cycle de l’eau est pensé de façon entièrement circulaire, depuis l’approvisionnement jusqu’au traitement des eaux usées, afin de ne rien gaspiller. L’infrastructure ne nécessite aucune énergie et passe par une série d’étapes de filtration naturelles, comme la phytoépuration.
Sur les murs du bureau, à l’étage de la Main house, s’étale une série d’affiches en l’honneur du « Festival de Agua », qui a eu lieu en avril. Initié par Sunseed en 2017, ce festival de l’eau est l’occasion de sensibiliser à l’importance de cette ressource vitale. Et pour cause : la rivière alimentant le village est en péril. Son niveau ne cesse de diminuer en raison de l’agriculture intensive qui ravage la région. Dave Dane, un activiste néerlandais de 74 ans — l’un des plus anciens habitants du village — se bat depuis des années pour dénoncer cet écocide. « L’eau, c’est la vie », dit-il.